Moya
c'est tout à la fois un style et un concept. Ses œuvres se
distinguent par la profusion des formes qui, de l'abstraction jusqu'à
une figuration teintée de baroque, s'emparent de couleurs parfois
poussées jusqu'à l'outrance. Mais le concept d'une œuvre tendue
vers son paroxysme l’exige et l'artiste ne cesse de pousser
l'histoire de l'art dans ses retranchements, ses limites, et qu'il en
explore, jovial et candide, ses manques comme ses excès. Derrière
les figures empruntées au monde de l'enfance, ce n'est jamais ici un
paradis qui éclot. Mais plutôt les ombres des feux d'un enfer
grimaçant, peuplé d'un Pinocchio au nez menteur. Car le mensonge
n'est toujours que le langage de la duplicité qui se formule ici par
cette récurrence de la figure du dédoublement et du double :
Ce miroir si déformé de nous-mêmes, nous peinons à le distinguer
mais il est bien le marqueur obsessionnel de cette ouvre.
L'intérêt de cette
exposition provient aussi d' un cheminement historique qui entraîne
le visiteur dans une chronologie autobiographique où ironie et
amertume se côtoient. Le monde de Moya est complexe par son
ambivalence et repose sur des contraires qui ne cessent de se
heurter sous couvert de douceur. La joie porte toujours ici les
stigmates colorés de l'inquiétude ; l'innocence est tout aussi
suspecte dans ses atours sirupeux. Et l'artiste s'amuse à nous
égarer dans la prolifération d'un labyrinthe peuplé de créatures
trop lointaines pour être crédibles ou pour sembler aussi
humaines que nous croyons l 'être quand nous ne savons que
claudiquer entre les mots, les images et le réel.
Mais telle est la
règle du jeu et l'artiste lui-même n'est-il pas la représentation
d'une maladresse au monde et d'une grande solitude ? Moya
égocentriste ? Ne serait-ce pas plutôt une forme d'illusion
que l'artiste nous renvoie ? Une distance vertigineuse s'établit
entre l'ego omniprésent dans ses peintures - cet ego revendiqué de
façon étymologiquement « obscène » - et les figures
qui en rendent compte. Il y a ce Pinocchio, une marionnette de bois,
ces moutons en peluche et cet univers de fiction d'un « meilleur
des mondes » dans le virtuel informatique de Double life... Ce
monde en est la parodie.
Et
ce Moyaland défie les règles de notre espace quotidien tout autant
qu'il dérègle notre conception du temps. Tantôt l'artiste se
projette dans des imitations ironiques de la peinture ancienne,
tantôt il erre dans un univers de science fiction. Tout cela est
foisonnant ; l'artiste s'empare de tous les procédés pour
illustrer cette complexité et ce rapport peut-être impossible qu'il
entretient avec le monde. Il y faut donc certes de la peinture , mais
aussi de la sculpture, des objets, de l'installation, des images 3D ,
de la video... Il y a là quelque chose de gargantuesque dans cette
frénésie, cette démence refoulée à vouloir tout absorber,
d'être en soi-même un univers entier, l'alpha et l’oméga.
Mais
Patrick Moya ne se dérobe jamais et explore les limbes de la
transgression.Toujours aux portes du paradis et de l'enfer.
L'exposition se parcourt alors sous le signe de l' exhibition et sous
les auspices d’une auto-psychanalyse caricaturale. L'artiste joue
avec humour de cette déambulation faussement pathologique qui se
mesure aux clichés des représentations populaires des concepts de
Freud et de Lacan. Il y ajoute cette touche de perversité qui
interroge les notions de norme et de normalité. Aussi cette
généalogie imagée qui structure l'exposition commence-t-elle par
« Le nom du père » avant de se poursuivre dans « Le
stade du miroir » et de s'achever dans « Le surmoi de
Moya ». Et puisque le titre de l'exposition est « Le cas
Moya », rassurons-nous, ce cas-là ne sera jamais résolu !
Les indices sont trop visibles ; l'artiste installe des leurres
qui ne seront qu'en définitive que des chausse-trappes pour nous
égarer et nous inciter à retrouver la route. L'apparente légèreté
est le voile d'un mal plus profond.
L'artiste se
représente ici en ange ou en diable. Ailleurs il se dissout dans un
bestiaire ou dans un univers mythologique. Ubiquité parfaite :
Mais l'artiste est-il encore de ce monde ? Ou bien à l'issue
d'une Odyssée de l'art, n'aurait-il pas échoué sur cet univers
qu'il s'est créé ? Cette question est peut-être au cœur des
préoccupations de Patrick Moya : On se crée un monde, on y est
seul, on veut alors le partager. Et peut-être l'art demeure-t-il le
dernier continent où l'on se console de la vie et qu'on y sème les
germes du bonheur.
Michel Gathier, La Strada N°287
Michel Gathier, La Strada N°287
Jusqu'au
11 mars 2018,
Galerie Port Lympia, Nice