Galerie Eva Vautier, Nice
Jusqu’au 5 avril 2025
La figuration se détourne de la simple illustration dès lors qu’elle s’inscrit au sein même de la matière picturale. Celle-ci se charge de toute sa puissance lorsqu’elle se dépouille de toute aspérité pour se dissoudre dans un espace fluide à l’intérieur duquel des formes surgissent et s’enveloppent parmi les méandres d’un récit. L’artiste, dans la seule planéité d’un tableau parvient alors à «mettre au monde» une scène qu’on pourrait qualifier d’«originelle». En choisissant pour titre de cette exposition, «En coulisse», Gilles Miquelis désigne sans doute ce qui se trame dans la peinture en amont de ce qu’elle désigne, c’est à dire la pensée qui déjà déjoue l’action de la matière. «Elle coule, lisse», s’amuserait à dire un Jacques Lacan facétieux, pour faire émerger de sa surface les ombres d’une scène enfouie dans un silence que l’artiste découpe à l’intérieur des fantasmes qui souvent relèvent d’un imaginaire cinématographique avec toujours un entêtant parfum de mélancolie.
Ces images silencieuses, vaguement en retrait de ce qu’elles prétendent signifier, semblent disparaître à l’instant même de leur naissance, déjà happées par l’autorité d’un sens que l’artiste leur refuse pour maintenir l’ambiguïté de l’espace pictural dans l’hésitation de la forme et de la couleur. Celle-ci, souvent légèrement bleutée ou d’un jaune revêtu de glace, se liquéfie pour donner force au traits noirs qui écrivent la scène, la balafrent ou résonnent dans l’apparition d’un rêve éveillé ou d’un champ de ruines. Tout est en gestation et pourtant tout part en fumée, nous semble dire le personnage absorbé dans ses pensées comme dans la fumée d’une cigarette. C’est aussi là le miracle de la peinture quand, détachée de toute illustration, elle s’arrime à la seule matrice de l’image. L’art de Gilles Miquelis est cet art poétique qui se résume dans le titre d’un tableau: « Il s’était couché en colère contre sa femme et contre le monde, puis soudain il s’est réveillé, effrayé d’avoir appris à les aimer tous les deux trop tard.»
Comme à travers le voile du temps, la scène est tremblante et ondule dans ses hésitations. Rire, douleur et toujours le désert de la solitude. Et la seule certitude du doute. Même si elle fait référence à des clichés, la peinture de Miquelis puise dans l’émotion et se réalise dans les coulisses des mots qui ne peuvent s’exprimer que par le passage fiévreux ou léger d’un trait noir parmi les vagues de couleurs froides et leur transparence. Le tableau est alors cet écran qui dissimule en même temps qu’il dévoile. Il se contemple au seuil de la nuit comme un paysage intérieur. Et l’on sait que tout cela est faux mais que l’image mentale peut être plus obsédante que la réalité.
La tendresse se heurte à l’humour tandis que l’amour reste un horizon lointain. Ces vagues de peinture, pourtant, nous y entraînent, parmi les déchirures jaillies de la brosse comme autant d’écueils, même si ce sont elles qui donnent forme au monde, aux visages et à une attente sans rivage. Dans cette œuvre très personnelle, Gilles Miquelis nous livre une magistrale leçon de peinture avec ses clins d’œil au spectacle, ses citations biaisées et sa douce ironie. Rêver, explorer...
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