MAMAC, Nice
Jusqu’au 1er octobre 2023
Conçu dans sa seule approche d’une matérialité et de sa forme, l’art peut se dépourvoir de cette dimension poétique qui irrigue le vivant. Toute l’œuvre de Thu-Van Tran, en de multiples techniques par lesquelles l’image se confronte au langage, résonne de cette force émotionnelle et d’un regard inédit sur le monde quand, tour à tour, l’artiste le perçoit visuellement et le désigne dans le temps contemplatif de la mémoire. Thu-Van Tran a 2 ans quand elle quitte le Vietnam pour la France. La mémoire repose alors sur cette double culture qui revient pour tisser par bribes une œuvre riche en développements quand, par de multiples techniques, elle parle du monde d’aujourd’hui dans ses menaces comme dans ses rêves. «Nous vivons dans l’éclat», tel est le titre de cette exposition qui se développe sous le signe juxtaposé de la lumière et de ses fragments, dans le souvenir du soleil ou des bombes. Et pour vivre, dit-elle en citant un poème de Jacques Roubaud, «Le mieux serait de changer de lumière de vivre dans l’œil de deux grains de sable qui s’écartent.»
Vivre donc et ensemencer ce parcours de fresques, dessins, sculptures et de mots comme autant d’éclats pour ce qui s’incarne en une allégorie du vivant avec ses drames mais aussi son enchantement. Une vie qui s’expose ici en trois chapitres avec d’abord l’aube et de somptueuses fresques abstraites ou résonnent pourtant les couleurs toxiques de l’agent orange dans une forêt ravagée. Mais aussi, la réminiscence du «bois qui pleure» quand l’hévéa est importé d’Amazonie vers le Vietnam pour être incisé pour la production du caoutchouc, «l’or blanc» du colonialisme. Et le geste de la main quand elle blesse ou s'ouvre comme pour une offrande. Nature dénaturée mais nature qui revient et se recompose dans cette beauté trouble que l’artiste ne cesse de raviver par des flaques de latex où s’impriment des feuillages, des déchets de palmes glorifiés par le bronze ou des ailes d’oiseaux pétrifiées dans des débris de roches en porcelaine de Sèvres. Ce voyage dans l’espace et le temps, dans la présence et l’oubli, se clôt sur le crépuscule, l’idée de mutation en particulier par la puissance du récit.
Comme dans les mythes anciens, cette histoire-là nous est racontée dans une dimension qui ramène l’humain au cosmos, à ses déflagrations, à l’hybris et aux caprices du destin. Pourtant elle nous dit aussi nos responsabilités sur les salissures du monde, la destruction écologique et la folie guerrière. Thu-Van Tran relate cette épopée sous forme d’un poème visuel avec ses éclats d’images qui sont pourtant, au-delà des drames, une incitation à l’émerveillement et une croyance absolue en la beauté.
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