mardi 19 mars 2019

Marc Lapolla et Florence Borga, "Défloraison"



Cette illusion de vouloir dire la fleur, la représenter, quand elle s'obstinera à se confiner dans ce point aveugle à tout langage. Au point d'ailleurs qu'on parlera de fleurs de rhétorique pour traduire tous les artifices d'un discours quand il se développe autour d'un centre qu'on pressent indicible.
La fleur est cette chair végétale dans laquelle circulent les méandres de nos désirs et de nos émois. Poètes et peintres n'ont cessé, cette fleur, de l'ériger comme figure emblématique de la vie. Ronsard pour dire le temps qui passe. Baudelaire pour les fleurs du mal ou, ailleurs, dans les peintures de vanités, ces fleurs qui se fanent comme pressentiment de la mort. Car toutes traduisent ce trouble de l'interstice où le désir se conjugue aux larmes quand les fleurs sont des pleurs de joie ou de douleur, de la naissance à la mort.
Serrer la fleur au plus près, en extraire les sucs et les sens, tel est le défi photographique de marc Lapolla et de Florence Borja. Pétales fripés ou corolles glorieuses parlent alors de cet instant où la vie jaillit dans toute son intensité au delà du plaisir et des blessures. La photographie capte ce tremblement où le végétal se confond aux convulsions organiques du corps et du cœur. Sensuelle et cosmique, l'image de la fleur, saisie dans ses entrailles, n'est que palpitation, attente d'un jaillissement muet. Nacre, velours ou soie, aucun mot jamais ne saura s'en saisir. Aucune représentation non plus puisqu'elle n'est que métaphore ou métamorphose. Elle n'est vouée qu'au silence et aux convulsions amoureuses. Fleur et pleur tout à la fois, elle rayonne dans l'effusion des sens qu'elle condense dans une origine du monde toujours recommencée.
Ces images définissent la beauté dans cette longue filiation picturale où l'on y croise les gammes sensuelles de Georgia O'Keeffe par l'extase de la couleur et la transgression des formes. Il s'y déploie, au-delà de leur fixité incertaine , ce fantasme de la femme-fleur, cette union des corps avec l'éternité de la nature. Elles énoncent au plus intime, jusqu'au vertige, ce qu'on ne dit qu'avec des fleurs. La photographie s'exerce alors comme une mise à jour, une défloraison, une apothéose.

Conciergerie Gounod, Nice, du 20 au 27 mars 2019

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