vendredi 22 mars 2019

Frédérique Lucien, "Corps et décors"

Musée Matisse, Nice,  jusqu'au 2 juin 2019


Loin des lignes angulaires et des strates colorées de Cézanne, loin de la matière vivante de Van Gogh pour une même quête de cette essence du monde que la peinture révélerait, Matisse, plus humblement, et on le sait, à l'origine sans une appétence particulière pour l'art, initia un chemin solitaire que bien d’autres artistes arpentèrent dans son sillage. Frédérique Lucien déroule dans le Musée Matisse de Nice, les fils de sa filiation au Maître et de ceux qu'il a influencés, Hantaï, Shirley Jaffe, les artistes de Support-Surface et bien d'autres. Il lui faut la même humilité pour marcher sur les traces du peintre, à la fois dans l'évidence de son apport et en faisant ici éclore les graines qu'il avait semées.
« Corps et décor » fait ainsi surgir la dimension corporelle qui, apparemment, pour le peintre se réduisait à un motif et à une organisation circulaire pour rythmer maintes compositions d'une œuvre lumineuse. Frédérique Lucien se saisit alors des éléments du décor matissien, arabesques et végétaux, pour les énoncer dans leur relation à ce corps décoratif qu'elle interprète dans les détours du dessin, de la porcelaine émaillée et autres matières. Mais cette artiste, dans une cinquantaine de pièces, retrace aussi les stations de l'histoire d'une œuvre qui se donne en fragments, en découpes et en vastes volumes colorés. Non pas pour compléter le travail de Matisse mais plutôt pour en extraire ce que le peintre, dans son rapport au décor, à la lumière et à la monumentalité, rendait invisible.
Il ne s'agit plus tant d'un dialogue avec l’artiste que de l'occasion de lui insuffler une suite, mais dans le sens d'une suite musicale. Car découpes et arrachements du papier ou aplats de couleurs dont les formes résonnent dans le vide du blanc ou se dispersent sur les murs du musée, s'accordent dans le rythme d'une fugue qui nous entraîne, certes dans les pas de Matisse, mais surtout dans le désir qu'il implique : L'idéal d'une perfection dans un accord sincère avec le monde. Comme si corps et décors se tissaient, s’égrainaient ou se dispersaient comme les instants d'une danse, celle de cette union au monde si chère à l'artiste. La peinture devient alors cet écrin du corps dont l'écho nous parvient dans la restitution de la puissance harmonieuse de Matisse. Elle s'accorde au minéral et au végétal, elle traduit les frémissements de la nature. Elle est un accomplissement.




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