mardi 12 février 2019

Lucien Murat, Eglé Vismanté; Espace à vendre, Nice



Deux expositions pour deux univers étanches qui pourtant, par le biais de l'étrange, permettent d'approcher quelques orientations quant à la nature de l’œuvre d'art aujourd'hui et sa relation au spectateur. Lucien Murat avec "Megathesis ou la possibilité du héros" agit dans la toute puissance d'un travail frontal qui, dans la tradition de la figuration libre, fait coïncider une narration populaire, voire naïve , avec une totale liberté dans l'emploi des couleurs, des matériaux et des références culturelles. Autant dire que l'artiste ne se refuse rien et joue insolemment aussi bien avec les références à l'histoire de l'art qu'avec le mauvais goût le plus assumé. Avec désinvolture et humour, il en exhume les relations honteuses tout en faisant preuve d'une grande maîtrise dans l'élaboration de pièces où l'énormité, dans tous les sens, est poussée à son paroxysme.
L'artisanat se mêle alors à la culture punk ; il témoigne ici des vieux poncifs de la peinture revisités par des fragments de tapisserie grossière qui citent l’Angélus de Millet et tant d'autres œuvres du même registre. Des fleurs et quelques biches, une pincée de Fragonard et une louche de Vermeer, tout cela est cousu dans un patchwork kitsch qui s'annule pourtant quand ces mauvaises copies sont elles-mêmes raturées par des pastiches de l'art populaire d'aujourd'hui, celui des surhommes et des lasers. Il en ressort un bric à brac coloré à l'extrême, contradictoire, mais aussi un puzzle qui nous incite à reconstituer des fragments de temps et d'espaces opposés.
Quel sens donner à cette confrontation entre la niaiserie d'une peinture idéalisée, ces scènes de genre mielleuses et le monde digital qui s'exprime violemment mais pourtant dans une même schématisation naïve ? Sans doute une catastrophe silencieuse, lisse, engoncée dans un mythe de la perfection classique se tapit-elle dans un passé dont les scories se veulent désormais invisibles.A celle-ci répond, dans un hurlement saturé de couleurs comme un clin d’œil au street art, la prémonition d'une apocalypse avec des personnages de science fiction, des armes magiques, des collisions, des incendies, des traces d'émeutes. Des tas de pneus peints ou cousus pendent comme une mauvaise coulure en bas du cadre à peine rectangulaire de l'ensemble du patchwork. Ça claudique de partout et il en résulte quelque chose de dérisoire, de grotesque comme si l'artiste s'amusait à parodier l'art rococo pour pousser à l'extrême tous les artifices de la représentation.
L'art est ici cette excroissance du réel. Comme l'est aussi le monde digital qui dans les œuvres de Lucien Murat apparaît sur une matière lisse dans des zones de pixels par analogie à la trame de la tapisserie mais aussi en opposition à elle.
Loin de cette œuvre qui prend parfois l'épaisseur d'un bas relief, qui s'autorise tout, le rire, le délire ou la grimace, les œuvres d' Eglé Vismanté se rapportent à un passé lointain enseveli dans une mythologie médiévale que l'artiste interprète par fragments, symboles comme autant de signes pour matérialiser l'imaginaire. Le titre « Hics » renvoie à l'adverbe latin pour « Ici » qui, pluralisé au Moyen-Age, prend alors un sens juridique. L'artiste inscrit ainsi une partie de son travail dans la simultanéité et l'éphémère. L’œuvre semble menacé par son effacement. Des réminiscences de monstres, des mutations hostiles, des brides de terreur surgies du noir et du fusain rehaussé de blanc de Meudon irriguent les dessins dans lesquels le réel s'imprègne du mythe et le concret se dissout dans l'abstraction. Il en résulte des figures hybrides, parfois d'apparence biologique – rappels de vertèbres ou de découpe de tête – comme retour inconscient des monstres qui se terrent dans notre imaginaire.










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