« Un
coup de dés jamais m'abolira le hasard », écrivait Mallarmé
dans un poème où les mots jouaient de leur disposition et les
phrases s’énonçaient par fragments. En ôtant le d à la
fin de son prénom, Bernar Venet pensait-il déjà à ce
concept d'un jeu où l’aléatoire se mesurait aussi bien à
lui-même qu'à la rigueur d'une règle ?
« Les années conceptuelles 1966-1976 » illustrent
parfaitement ces expériences de sens et de non sens qui furent au
cœur des préoccupations de l'artiste. Il confronte alors le hasard
à la logique mathématique et les équations à l'espace. Pour
s'attaquer aux conventions de l 'art français de son époque,
il se réfère aussi bien à Marcel Duchamp qu'au formalisme
américain. Partant de ce principe d'incertitude et de mise en
accusation du sens, comme le fit en un autre temps Mallarmé, Bernar
Venet renie tout subjectivisme et rompt avec les tentations
romantiques toujours à l’œuvre dans l'Ecole de Paris.
L'exposition du MAMAC s'intéresse donc à cette première période
de l'artiste qui réfute toute portée esthétique ou symbolique dans
sa pratique artistique pour la confronter à sa forme seule, à sa
relation au plein et au vide. Aussi Bernar Venet, bien avant les
gigantesques sculptures en acier corben qui feront sa réputation aux
quatre coins du monde, s'intéresse-t-il au concept même de l’œuvre
et de l'idée qu'elle sous-tend jusqu'à laisser celle-ci exclure la
notion même de créateur. L'artiste est alors pluridisciplinaire,
tour à tour plasticien, musicien, poète et même créateur de
ballet. Mais la recherche mathématique et sa réflexion sur l'art et son rapport au minimalisme ne cesseront d'être le centre de gravité de
son travail.
Quittant la France, il s'installe à New York en 1966 à la suite
d'Arman dont il sera un moment l'assistant. Dès lors il délaisse
ses premiers travaux marqués par le noir, le goudron, le charbon et
les matériaux pauvres tels le carton. Loin de l’expressionnisme
qui domine encore en Amérique, ses rencontres avec Donald Judd, Sol
LeWitt, Robert Smithson ou Michael Heizer, l'orientent vers un
minimalisme de plus en plus radical. L’œuvre tend à se
dématérialiser. S'il s'empare du principe tautologique énoncé par
Stella : « Ce que vous voyez est ce qui est à voir »,
paradoxalement il revendique davantage « un art du contenu plus
que de la surface ». En effet, ces dix années conceptuelles
sont pour Bernar Venet l'objet d'un processus d 'épuration des
formes et de la matière à partir d'une recherche autour des
sciences exactes, de l'astrophysique et des mathématiques. Autant
d'approches pour défaire les paramètres qui définissent l'objet.
Celui-ci se dissout désormais dans la pensée et atteint la pureté
du concept lorsqu'il n'est plus plus que réductible à des courbes,
à des dessins industriels, à des diagrammes mathématiques.
Tout se réduit alors à des lois essentielles, à des plans, à une
esthétique de la pensée. En 1968 il expose déjà dans les galeries
les plus influentes de Manhattan, chez Léo Castelli ou la Paula
Cooper Gallery. En collaboration avec des chercheurs de Columbia, il
créée une performance au Judson Church Theater. Puis il s'impose un
retrait de la scène artistique, revient à Paris où il continuera
sa réflexion sur l'art à la Sorbonne et dans plusieurs universités européennes.
En 1976 Bernar Venet retourne à New York. Une nouvelle aventure
commence alors avec l'éclosion des sculptures de lignes indéterminées.
La Strada, N°301
La Strada, N°301
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