mercredi 10 octobre 2018

Bernar Venet, "Les années conceptuelles 1966-1976"


« Un coup de dés jamais m'abolira le hasard », écrivait Mallarmé dans un poème où les mots jouaient de leur disposition et les phrases s’énonçaient par fragments. En ôtant le d à la fin de son prénom, Bernar Venet pensait-il déjà à ce concept d'un jeu où l’aléatoire se mesurait aussi bien à lui-même qu'à la rigueur d'une règle ?
« Les années conceptuelles 1966-1976 » illustrent parfaitement ces expériences de sens et de non sens qui furent au cœur des préoccupations de l'artiste. Il confronte alors le hasard à la logique mathématique et les équations à l'espace. Pour s'attaquer aux conventions de l 'art français de son époque, il se réfère aussi bien à Marcel Duchamp qu'au formalisme américain. Partant de ce principe d'incertitude et de mise en accusation du sens, comme le fit en un autre temps Mallarmé, Bernar Venet renie tout subjectivisme et rompt avec les tentations romantiques toujours à l’œuvre dans l'Ecole de Paris.
L'exposition du MAMAC s'intéresse donc à cette première période de l'artiste qui réfute toute portée esthétique ou symbolique dans sa pratique artistique pour la confronter à sa forme seule, à sa relation au plein et au vide. Aussi Bernar Venet, bien avant les gigantesques sculptures en acier corben qui feront sa réputation aux quatre coins du monde, s'intéresse-t-il au concept même de l’œuvre et de l'idée qu'elle sous-tend jusqu'à laisser celle-ci exclure la notion même de créateur. L'artiste est alors pluridisciplinaire, tour à tour plasticien, musicien, poète et même créateur de ballet. Mais la recherche mathématique et sa réflexion sur l'art et son rapport au minimalisme ne cesseront d'être le centre de gravité de son travail.
Quittant la France, il s'installe à New York en 1966 à la suite d'Arman dont il sera un moment l'assistant. Dès lors il délaisse ses premiers travaux marqués par le noir, le goudron, le charbon et les matériaux pauvres tels le carton. Loin de l’expressionnisme qui domine encore en Amérique, ses rencontres avec Donald Judd, Sol LeWitt, Robert Smithson ou Michael Heizer, l'orientent vers un minimalisme de plus en plus radical. L’œuvre tend à se dématérialiser. S'il s'empare du principe tautologique énoncé par Stella : « Ce que vous voyez est ce qui est à voir », paradoxalement il revendique davantage « un art du contenu plus que de la surface ». En effet, ces dix années conceptuelles sont pour Bernar Venet l'objet d'un processus d 'épuration des formes et de la matière à partir d'une recherche autour des sciences exactes, de l'astrophysique et des mathématiques. Autant d'approches pour défaire les paramètres qui définissent l'objet. Celui-ci se dissout désormais dans la pensée et atteint la pureté du concept lorsqu'il n'est plus plus que réductible à des courbes, à des dessins industriels, à des diagrammes mathématiques.
Tout se réduit alors à des lois essentielles, à des plans, à une esthétique de la pensée. En 1968 il expose déjà dans les galeries les plus influentes de Manhattan, chez Léo Castelli ou la Paula Cooper Gallery. En collaboration avec des chercheurs de Columbia, il créée une performance au Judson Church Theater. Puis il s'impose un retrait de la scène artistique, revient à Paris où il continuera sa réflexion sur l'art à la Sorbonne et dans plusieurs universités européennes. En 1976 Bernar Venet retourne à New York. Une nouvelle aventure commence alors avec l'éclosion des sculptures de lignes indéterminées.

La Strada, N°301

MAMAC, Nice du 12 octobre 2018 au 13 janvier 2019





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