jeudi 3 mars 2016

Patrick Moya

         
    Le comptoir 2 Nicole


             Difficile aujourd’hui pour l'artiste d’envisager une œuvre qui ne bouscule pas les frontières de l’art et ne défriche de nouveaux territoires. Pourtant certains créateurs demeurent convaincus que, sans renier le monde, la technologie ou encore la réalité des images et des mythes qui soutendent  nos représentations mentales, l‘artiste peut encore jouer de la couleurs, des figures, de l‘exubérance, du mépris pour les querelles de chapelle ou pour toute définition trop restrictive de l’art .
             Patrick Moya est de ceux-là. Sa liberté, il la revendique par ses peintures, ses animations  poétiques  dans le monde virtuel  de Double Life   quand ce ne sont par pas ses interventions dans le réel comme pour fabriquer un char de carnaval, des affiches ou autres supports publicitaires. 
             L’artiste est partout et nulle part. Il s’en amuse. Orgueilleux et modeste, il intervient avec poésie et humour; il s’empare de ses icônes récurrentes, le mouton Dolly, Pinocchio ou des avatars de lui-même dans un trouble paradis à l’innocence trompeuse. Acide, doux, son univers rencontre le monde de l’enfance comme celui de la science fiction. Il joue du monochrome ou, à l’inverse, étouffe la toile de couleurs vives.
             Ici il pastiche l’art classique, là il joue du pop art ou de la figuration libre. Il mixe les genres, les hommes et les animaux dans un conte à écrire dans un monde sans nature et pourtant si vivant dans le rêve d’une utopie pour seul horizon. Telle est la liberté de l’artiste démiurge qui se moque des courants, des lieux dans lesquels il intervient, musées, magasins, galeries, chapelle, ou, maintenant en peignant les toilettes d’un restaurant de Nice.
             Patrick Moya ose tout: C’est l’artiste de la liberté.

lundi 8 février 2016

Laurent Faulon, Delphine Reist FLUX TENDU

       La Station, Nice       



                        Une chaîne d’abattage dans ses chambres froides, avec un système de rails au plafond et des crochets pour déplacer les viandes, voici des anciens abattoirs qui sont donc  renvoyés à leur fonction d’origine. Mais en lieu et place de l’équarrissage animal, se déploie une métaphore de l’humain dans son insupportable frivolité : L’intérieur d’une Chevrolet moulé dans une mousse expansive fait écho aux carcasses animales, des appareils de fitness enduits de silicone blanc figurent des ossements, des guirlandes de pneus rappellent  les tripes et des canapés de cuir, la peau…
                      Le visiteur est alors confronté à ce grand écart de ce qui serait un camp d’extermination dans son  flux économique morbide, sa rentabilité marchande comme négation intrinsèque du vivant et de l’ironie qui préside à son spectacle. Ce ne sont donc pas ici les bœufs écorchés  de Rembrandt et de Soutine comme vanités et rappels de crucifiements. Ce ne sont plus des images de souffrance ou de substitut d'humanité, mais bien les rouages, comme traces encore visibles, d’un système dans lequel les flux l’emportent sur les êtres jusqu’à leur disparition.

                  Dans « La société du spectacle », Guy Debord écrit ceci : « L’homme séparé de son produit, de plus en plus puissamment produit lui-même tous les détails de son monde, et ainsi se trouve de plus en plus séparé de son monde. D’autant plus sa vie est maintenant son produit, d’autant plus il est séparé de sa vie. »
                
                        Ainsi peut-on s’autoriser à voir dans « Flux tendu » non pas une illustration mais plutôt  le miroir de ce corps social effacé, de la même manière que ce processus spéculaire, inévitablement, par son étymologie même, conduit au champ spéculatif. Une exposition qui ne donnerait donc rien à voir de plus visible que l’abstraction des flux et l’absence de ceux qui s’y soumettent en les créant. Debord ne cessait jamais  de clamer que le spectacle était cette absorption du vivant par la marchandise.





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mercredi 3 février 2016

Sonia Boyce, "Tiger Paper Soap Whisky Theatre"

                  Villa Arson, Nice

                            

             Nous voici dans un espace concret, physique, qui se construit au rythme de nos déambulations et de notre souffle qui font corps avec l'installation. Tout est là, dans un lieu où l’on circule de vidéos en dessins, parmi des corps représentés quand ce ne sont pas les nôtres. Un espace organique  s’élabore de cette confrontation du réel avec cet instant de l’art où le réel devient insupportable, qu’il est battu en brèche par l’anomie du sens quand  l’aventure dada, au début du XXe siècle, rencontre dans l'Amérique noire celle de l’improvisation vocale propre au jazz-scat. Choc de deux histoires de refus et de deux cultures pour des rencontres aussi improbables que fertiles, et, in fine, une oeuvre puissante.
                   Sonia Boyce parvient ici , non pas à figurer l’image d’une révolte, mais à en restituer les contours rythmiques et physiques par le détour d’une langue scandée dans l’absurdité de son minimalisme répétitif et de corps projetés dans des scénographies dérisoires mais éclatantes de vérité. Car ce qui se met en scène à cet instant, ce sont bien tous les signes d’un refus et  de l’arbitraire  d'un code quand ils interfèrent, quand ils se croisent et se rejettent pour l’aube d’une nouvelle apparence et l’espérance d’un autre sens  à naître. La notion d’engagement est alors saisie à sa source, en amont de tout message qui viendrait parasiter sa force brute.
                   L’art est ici pris à la gorge, dans son histoire, dans son rapport au monde. Il se construit dans cet espace clos, fait d’écrans de différents formats où dessins et vidéos alternent, se répondent ou se contredisent. Mais cet espace interne dans lequel nous évoluons renvoie à l’espace externe de l’architecture brutaliste de la Villa Arson qui se retrouve projeté sur l’écran  en même temps qu’il sert de décor  au  jeu de ses acteurs que sont sont les étudiants.
                   Jeu de hasard, de déchirure, de miroir brisé autant que de rencontres fortuites dans l’élaboration d’une chorégraphie décalée, drôle, qui s’empare peu à peu de l’espace dans lequel nous circulons. Celui-ci n’est plus illusionniste de même qu’il échappe à toute architecture. Tour à tour, il se rétracte, s’épaissit ou s’aère quand les vidéos nous renvoient le choc d’une absence de perspective - pour ne pas dire à une perspective inversée -  quand elles se confrontent aux séquences sérielles des dessins qui forment  la toile de fond de la salle.
                    Les corps représentés se lient et se délient dans l’étrangeté de cet espace qui s'empare de nous frontalement. Ils se meuvent dans une synesthésie stridente, se déplient physiquement, se heurtent, chaotiques,  dans les scansions mécaniques des mots à peine perceptibles et du silence soudain. Cacophonie, tension, accélération, ralentissement, extinction. Le rythme, puissant et doux, se joue à fleur de peau. Quelque chose de beau et de dérangeant s’élabore dans cette zone de conflit que devient cette mise en abyme de la performance et de sa représentation quand la mise à distance parvient, paradoxalement, à provoquer un choc physique pour celui qui s’y soumet. Une expérience qu’il faut vivre le temps de cette exposition d’une rare qualité.

                 




                                 


dimanche 24 janvier 2016

Sylvie Fanchon (avec Jean Luc Blanc, Michel Blazy, Djamel Kokene-Dorléans)

                     Galerie Circonstance, Nice


                         L'oeuvre de Sylvie Fauchon ce n'est pas seulement cela. Mais dans sa réflexion sur la visibilité, elle prend en étau, le texte; elle le mesure à la peinture: Et si la visibilité était aussi une expérience  du lisible? 

                    Des blocs de textes à peine entamés, leurs traces broyés par la peinture : les passer à la lumière rasante du microscope, au découpage au laser, de façon froide et objective. Écraser et donner à voir  ce que furent peut-être la poésie ou toute  représentation mentale et visuelle du monde, avec ses cahots, ses continuités, ses parcelles de rationalité et de folie, ses contradictions, ses espoirs et son pathos.
                      Ce qui va se jouer c'est, paradoxalement, l'hypothèse d' une mise en relief du texte par la mise à plat d’un espace visuel. Et aussi, la protubérance des signes et de la couleur dans leur effacement, avec leur arbitraire, leur organisation logique qui n’exigent   pas tant une représentation ou ce qui résulterait d’une mémoire mais , plutôt,  proposent le reflet de ce que le monde numérique nous abandonne comme déchets échoués sur des rivages où le temps lui-même disparaît. 
                    Pour cela, nulle esthétique n’est nécessaire: la beauté est un engagement qui ici ne trouvera nulle place. Ces blocs ne supportent pas l’aération de même que,  face à  la vitesse toujours accélérée des flux qui désormais structurent nos vies, ils revendiquent la fixité, l’arrêt du regard sur un espace clos, la réflexion sur ce temps mort qu’ils illustrent  et , pour le mieux, le miroir d’une espérance à venir, espérance sans laquelle ils seraient sans objet.

                      Cette espérance a un nom, l’art. Loin de toute nostalgie, il s’agit au contraire de retrouver les conditions d’une création qui renoue avec l’élaboration d’un sens quand les régressions  prolifèrent dans le cri infantile et la pulsion primale de ce qui nous est massivement proposé comme, par exemple, dans le slam, le street art, le graffiti… 
                          Tels sont ces nouveaux leurres qui disent transformer la boue en or. L’art serait partout, pour tous, dans l’hyper marché contemporain! Il suffirait  de crier pour dire , puisque seuls l’intensité, l’inflation, le grossissement, la démesure seraient entendus! Ou bien, dans l’art contemporain, suffirait-il de se coller au présent, de problématiser, de questionner en petit valet médiatique le politique, l’écologie, l’économie, la question sexuelle et je ne sais quoi encore, pour en étrangler tous les constituants quand  on sait que tout se joue à la racine , que c’est là que l’artiste ou le poète existe , loin des images, de la doxa sociale et de ce que l’art frelaté nous propose comme fête triste, spoliation de l’intelligence, consommation encore et encore. L'art c'est de la pensée. Ce n'est pas le spectacle du monde.

                    L’écrivain sait, fut-il essayiste ou poète, ou  bien enfoui dans quelque  expérience où se débattent le style et la pensée,  que les tentations qui l’assaillent rodent dans un même champ où la régression chamanique ou libertaire se heurte, en même temps qu’il la nourrit, à la figure tutélaire d’un discours plein, sans faille, totalisant. Il sait comme l'artiste,  que le corps -physique, textuel ou tout autre corpus artistique -  se perçoit comme frontal ou dorsal, que tout se joue là, au sens mallarméen, dans le pile ou face d’un choix arbitraire et que le supposé hasard n'appartient qu'au maître qui lance les dés qu’il a lui-même fabriqués. 
                       Pourtant peut-il encore  s’illusionner sur sa pratique quand cette expérience tient à un fil sur lequel il se meut dans la transe glacée d’un vertige, là où le réel se cogne aux affres de l’imaginaire? Car là est le danger: la séduction qui, littéralement, nous méduse, à travers tout le prisme de l’écran qui renvoie de nous-mêmes l’être que nous ne sommes pas mais que nous sommes sommés de devenir. De ce qui fut une  illusion  de liberté, l’écran, l’image sont devenus notre prison dorée dans laquelle le spectateur danse avec ses paillettes devant ses nouveaux dieux. 

                       Le propos de l’œuvre de Sylvie Fanchon ne pose ni ne prétend résoudre ces questions là. Et pourtant ce travail leur donne un écho en jouant d’une bichromie aride, d’une mise à plat du texte et de l’image sans profondeur possible. L’artiste ne nomme ni ne décrit mais articule cette imbrication du texte et de l’image quand tout s’annule et se reconstruit dans une planéité nouvelle, là où le texte s’étouffe et reprend son souffle dans les interstices de la couleur. Là surgit ce qui se veut sens et qui reste condamné à l'image.
                            
                   Alors vers quel substantif faudrait-il s’accorder pour désigner ce qui serait du texte s’il faut encore qualifier de la sorte ce qui n’est qu’un ensemble de mots saisis dans leur matérialité ? De par son étymologie le texte trouve sa source dans le tissage, c’est-à-dire dans  la conjugaison de ce qui se joue entre la chaîne et la trame. Pour que le texte advienne, un développement lui est nécessaire, de la gestation d’un outil jusqu’au désir de sens qui se noue dans la texture de cette trame.

               Le texte littéraire, à l’instar d’une œuvre d’art, est empreint  d’un projet qui se dérobe à l’immédiateté du réel. Il se dérobe à lui  parce qu’il énonce son bloc sémiotique en même temps qu’il inscrit cette tentation du vide, cette formulation de la trame à travers laquelle tout se construit sur le refus d‘un sens " réaliste" . Sylvie Fauchon écrit ce texte là, visible et illisible. L'utopie du texte saisit dans la seule matérialité de la peinture.




samedi 23 janvier 2016

Didier Demozay, "Affrontements"

                          Galerie des ponchettes, Nice



                             Nous voici donc affrontés à la peinture. Dans l’intransigeance d’un face à face d’où rien ne doit se dérober, quand, traces, forme, couleur et espace s’étalent  dans la précarité d’un équilibre et  d’une représentation utopique.
                      Car Didier Demozay saisit la peinture à sa source, au point originel où tous ses éléments cherchent leur accomplissement dans la quête d’une exactitude impossible. Toute représentation serait dès lors vouée à  cette utopie d’une finalité, de cet endroit où la peinture rejoindrait un horizon, une narration. Où la peinture se doterait d’ un sens extérieur à elle-même et qui serait son apothéose. Mais on comprend bien, au regard de cette œuvre,  que l’accomplissement même de la peinture, dans son idéal de  perfection, de pureté, de beauté, serait encore l’illustration de cette utopie qui fut sans doute celle des peintres du « Colorfield » et du « Hard Edge » . Illustration à laquelle Demozay se soustrait en reprenant tout à la source, en ne travaillant que sur les seuls constituants de la peinture,  dans un acte radical, pédagogique.

                          Maurice Blanchot dans  le livre à venir écrivait: « Jamais un tableau ne pourrait seulement commencer, s’il se proposait de rendre visible la peinture. »  Le peintre est bien celui qui nous soumet à l’expérience de cette visibilité quand il en énonce les leurres et les contraintes, quand il dévoile la fragilité d‘une mise en scène, l' ambiguïté de ce qui se trame, quand il joue et déjoue les pièges de la perfection et de la séduction. C’est tout l’attirail « artistique » qui est exposé, en creux, et qui est retravaillé, mis à distance , jusqu’à la disparition de l’artiste.
                       Par leur dimension, leur simplicité revêche, leur apparence inaboutie, les toiles de Didier Demozay mettent en scène cet affrontement avec celui qui regarde.

                      Le spectateur est pris à parti, frontalement, et ne peut se dérober à ce que l’artiste désigne. La couleur germe , disgracieuse, souffrante, et se construit dans notre regard. La forme s’installe, hésitante, baveuse, cherche sa place… Mais, on ne sait comment, tout prend forme et se met à vivre par la seule grâce de la peinture. Les vides s’agitent, les champs colorés se toisent , s’élaborent  et voici que nous nous surprenons à compléter mentalement ces toiles que l’artiste nous a livrées entre ébauche et finitude.
                        L’espace prend une résonance particulière, un corps à corps s’installe, la toile nous regarde. Nous résistons. Elle nous répond. Nous sommes pris dans sa matière fœtale, à l'aube de toute intensité, dans les balbutiements d'une géométrie, dans la gestation des couleurs. Nous voulons la voir naître alors qu’elle est là, déjà présente. 

                      Didier Demozay n’est pas un passeur de rêves; il nous confie les clés de la peinture pour une œuvre ouverte  que nous sommes invités à construire mentalement. Cet affrontement est celui d’une expérience des limites, celle ces espaces, des corps, des pensées. Tout se fait ici, sans bordure et sans fin. L’art est cette expérience et, face à ces toiles, nous devenons aussi des créateurs. Sans fin, l’artiste et l’œuvre s’observent.





samedi 2 janvier 2016

Quentin Derouet, "Les larmes d'Eros"

         


     Galerie Helenbeck, Nice
    
                       Quand, d’ordinaire, une exposition nous  propose de circuler dans un espace qui permet le dialogue des œuvres,  nous pénétrons comme par effraction dans cet univers autre, qui interroge la peinture en nous désignant aussi les contours de son  ailleurs: Un territoire paradoxal quand le signifiant même  de la peinture, le pigment, met en scène ce qu’il serait censé représenter alors qu’il énonce et dévoile le récit  même de son essence. De cette torsion du sens , de cette mise en abyme peut-être,  un territoire poétique s’organise et impose son empreinte sur ce qui se donnerait pour de la  peinture…

                          Or, pourtant, la peinture est ici absente: il n’y a que la rose, dans sa matière et dans sa force symbolique. C’est toute une histoire, une culture, une civilisation que cette fleur incarne. D’une intensité telle  qu’ici, elle se refuse à toute anecdote et qu’elle ne  peut  se permettre désormais de se formuler sinon qu’en tant que blason et concept.

                   Entre ces deux pôles de la matérialité et d’une représentation quasiment abstraite, Quentin Derouet ne célèbre pas la fleur: il laisse celle-ci écrire sur la toile sa propre partition. La rose est ainsi soumise à ses propres variations, au jus de ses décoctions , de ses traces, de ses arrachements. Elle étale ses blessures. Elle se soumet à ses fragments de pétales, à ses brûlures, aux gestes et aux caprices de celui qui s’en empare pour une estafilade ou un baiser. Ou de qui la cicatrise

                            Avec la fleur,  l’artiste énonce  la peinture. Il faudrait dire: il peint la peinture. Celle-ci se dévoile en son essence quand, sur la toile, il  renvoie l’écho de ce que furent les Nymphéas de Monet  ou les déchirures altières de Cy Twombly. De lointaines citations pour nous inciter à fouiller la trame de ce fond végétal, de ce magma de vie et d’extinction d’où suinte la mélancolie de la couleur.
                        Car la rose est triste. Elle arbore ici la grandeur d’une histoire fanée, les réminiscences d’un sang coagulé ou les cernes braise et cendre du regard ou du sexe . De ses déclinaisons de rouge, d’ombre et de flamme éteinte,  la rose se fronce dans le violet, elle ourle ses reliques et ses  pétales dans  les teintes du deuil.
                Mais ceci n’est pas la vérité: l’art ne sera  toujours qu’un ailleurs qu’on désigne. Si la nostalgie se donne ici à voir, si elle s’exhibe dans tous les atours de la séduction, si elle ose même célébrer la beauté, c’est que ce parcours se développa aussi dans un autre domaine, celui d'une  naissance.
                 En effet, Quentin Derouet travaille désormais, en collaboration avec l’entreprise de création de roses, la famille Meilland, à l’élaboration d’une nouvelle fleur dont  le pigment permettrait la plus belle trace quand on l’écraserait sur un support… Ainsi cette aventure artistique trouve-t-elle sa source non pas dans une vision de la nature, une image,  mais dans sa matière organique, dans ce fil biologique d’où la couleur va éclore. La peinture ce n’est plus le pinceau, mais bien ce qu’elle fut dans ses tâtonnements, dans la peinture rupestre, les végétaux macérés, les traces brûlées, les lignes encore incertaines. Une histoire inscrite dans son balbutiement. 

                Dans cette œuvre faussement douce, ni même acidulée, mais convulsive dans l’état de son  magma originel, nous voyons ruisseler une lave, rose, tendue: toute la violence d’une poésie qui se terre dans le regard douceâtre  de celui qui contemple son miroir dans la recherche de l’image d’une  fleur immortelle que ce miroir lui rendrait. Le piège empoisonné de l'image. Son paradis.





mardi 29 décembre 2015

Quentin Spohn


Galerie le 22, Nice.  Exposition Gabriel Méo, Delphine Trouche, Quentin Spohn.


                   Quentin Spohn ne cesse de surprendre. Alors qu’il nous avait habitués à d' immenses dessins  dont la charge charbonneuse tendait à étouffer l’espace, à le contracter dans l’horizontalité d’un récit toujours inachevé, le voici qui saisit  maintenant cette histoire à contre-pied. 
                       En effet, en contradiction avec cette représentation tentée par le réel mais malmenée   par le biais du burlesque et du fantastique, l’artiste nous  livre ici  un regard distancé sur une  pratique qu’il poursuit néanmoins par ailleurs comme un journal de bord quotidien, avec ses parcelles d’obsessions, d’images sociales,  dont la résonance ne cesse d’envahir celui qui s’y trouve confronté.

                       Ces nouvelles  œuvres s'affirment  comme une mise à distance, une analyse , un regard lucide sur  cette fresque qui se  développe sur la crête d'une ligne narrative qui s'écoule dans  le flux d'une vie chargée d'images de coercitions, de fantasmes... Loin de l’horizontalité, de la linéarité discursive, de l’épaisseur de la figure et de la frontalité à laquelle la pierre  noire donne tout son poids,  nous voici maintenant plongés dans la légèreté d’un module  dont les six pièces exaltent la transparence, la tentation de la verticalité,  la finesse du trait et les effets de l’effacement.
                Nous voici aux confins de l’abstraction, comme dans ces peintures chinoises des Montagnes Jaunes, tout en élévation et en disparition par le jeu des brumes et des reliefs bien que saisis dans la réalité d’une surface plane.
                          Les jeux du trait et du gommage nous convient à  une traversée des apparences qui met à nu la trame même du dessin. La grille d’une composition improbable, comme le filigrane qui garantirait l'authenticité de l'oeuvre, tend à sourdre comme la promesse d’un récit qui se cherche encore  à l'instant de son balbutiement. L’artiste nous confronte à cette origine où le dessin n’est encore qu’un creux, une hypothèse, un support sur lequel  l’empreinte d’un sens se désire et se refuse tout à la fois. Ou bien Quentin Spohn veut-il exhiber l'envers du dessin, son négatif, dans la nostalgie d'un vide, d'un ailleurs, d'une utopie. Et sans doute lui faudra-t-il, tel Sisyphe, toujours et encore recommencer, arpenter l'espace, le charger de la graphie de cette pierre noire jusqu'à l'effacement, dans l'épuisement de ce qui serait figurable.

                           On sait que "dessin" et "dessein" sont issus  d'une même étymologie, dans l'évocation d'un projet,  et que ces deux mots désignent   en quelque sorte les deux rives d'un même courant  aux flux parfois contraires, celle de la réalisation de l'oeuvre et celle de sa construction mentale. C'est cet interstice que l'artiste nous donne à voir, une zone grise, envoûtante et dangereuse, un territoire à la mesure de nos errances et de nos soifs d'aventure.