samedi 2 janvier 2016

Quentin Derouet, "Les larmes d'Eros"

         


     Galerie Helenbeck, Nice
    
                       Quand, d’ordinaire, une exposition nous  propose de circuler dans un espace qui permet le dialogue des œuvres,  nous pénétrons comme par effraction dans cet univers autre, qui interroge la peinture en nous désignant aussi les contours de son  ailleurs: Un territoire paradoxal quand le signifiant même  de la peinture, le pigment, met en scène ce qu’il serait censé représenter alors qu’il énonce et dévoile le récit  même de son essence. De cette torsion du sens , de cette mise en abyme peut-être,  un territoire poétique s’organise et impose son empreinte sur ce qui se donnerait pour de la  peinture…

                          Or, pourtant, la peinture est ici absente: il n’y a que la rose, dans sa matière et dans sa force symbolique. C’est toute une histoire, une culture, une civilisation que cette fleur incarne. D’une intensité telle  qu’ici, elle se refuse à toute anecdote et qu’elle ne  peut  se permettre désormais de se formuler sinon qu’en tant que blason et concept.

                   Entre ces deux pôles de la matérialité et d’une représentation quasiment abstraite, Quentin Derouet ne célèbre pas la fleur: il laisse celle-ci écrire sur la toile sa propre partition. La rose est ainsi soumise à ses propres variations, au jus de ses décoctions , de ses traces, de ses arrachements. Elle étale ses blessures. Elle se soumet à ses fragments de pétales, à ses brûlures, aux gestes et aux caprices de celui qui s’en empare pour une estafilade ou un baiser. Ou de qui la cicatrise

                            Avec la fleur,  l’artiste énonce  la peinture. Il faudrait dire: il peint la peinture. Celle-ci se dévoile en son essence quand, sur la toile, il  renvoie l’écho de ce que furent les Nymphéas de Monet  ou les déchirures altières de Cy Twombly. De lointaines citations pour nous inciter à fouiller la trame de ce fond végétal, de ce magma de vie et d’extinction d’où suinte la mélancolie de la couleur.
                        Car la rose est triste. Elle arbore ici la grandeur d’une histoire fanée, les réminiscences d’un sang coagulé ou les cernes braise et cendre du regard ou du sexe . De ses déclinaisons de rouge, d’ombre et de flamme éteinte,  la rose se fronce dans le violet, elle ourle ses reliques et ses  pétales dans  les teintes du deuil.
                Mais ceci n’est pas la vérité: l’art ne sera  toujours qu’un ailleurs qu’on désigne. Si la nostalgie se donne ici à voir, si elle s’exhibe dans tous les atours de la séduction, si elle ose même célébrer la beauté, c’est que ce parcours se développa aussi dans un autre domaine, celui d'une  naissance.
                 En effet, Quentin Derouet travaille désormais, en collaboration avec l’entreprise de création de roses, la famille Meilland, à l’élaboration d’une nouvelle fleur dont  le pigment permettrait la plus belle trace quand on l’écraserait sur un support… Ainsi cette aventure artistique trouve-t-elle sa source non pas dans une vision de la nature, une image,  mais dans sa matière organique, dans ce fil biologique d’où la couleur va éclore. La peinture ce n’est plus le pinceau, mais bien ce qu’elle fut dans ses tâtonnements, dans la peinture rupestre, les végétaux macérés, les traces brûlées, les lignes encore incertaines. Une histoire inscrite dans son balbutiement. 

                Dans cette œuvre faussement douce, ni même acidulée, mais convulsive dans l’état de son  magma originel, nous voyons ruisseler une lave, rose, tendue: toute la violence d’une poésie qui se terre dans le regard douceâtre  de celui qui contemple son miroir dans la recherche de l’image d’une  fleur immortelle que ce miroir lui rendrait. Le piège empoisonné de l'image. Son paradis.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire