-Galerie le 22, Nice
-Roseraie du jardin du Monastère de Cimiez, Nice
Une
mémoire se forge au fur et à mesure que des sensations s’imprègnent
en nous ou s'imposent dans un espace donné. Mais la mémoire est
ondulatoire, fuyante et ne se résout à aucun cadre. De l'ordre du
temps, elle se défie autant de l'espace qu'elle érode linéarité
et pourtours, qu'elle malmène toute idée de forme même si elle ne
cesse de balbutier des images. Infidèle de nature ou, pour citer le
titre d'un poème de Jules Supervielle , « Oublieuse
mémoire », elle s'ouvre à toutes les fables, elle est
créatrice de mythes.
Difficile
pour un plasticien de s'emparer de l'idée de mémoire sauf à la
réduire à une exploration du passé. Caroline Bouissou joue sur un
tout autre registre. La mémoire est un processus de connaissance et
de reconnaissance qui défigure en même temps qu'il propose une
hypothèse de figuration nouvelle. Comme écho déformé d'une
réalité, elle est une fiction qui s'énonce dans un récit
déconstruit. Aussi faut-il à l'artiste, multiplier mediums et
supports, mêler humour et rêverie, science et poésie pour
installer ce qui serait un lieu expérimental où se déclineraient
les diverses potentialités de cette mémoire.
Qui
ne connaît la Joconde ? Tout le monde possède la mémoire de
cette peinture, pourtant chacun la restituera autrement. Caroline
Bouissou demande à des gens de la dessiner de mémoire et chacun
propose une image unique et déformée qui en dit davantage sur le
regardeur que sur Mona Lisa. Ailleurs elle reprend cette même icône
sur des dessins numériques réalisés à partir du mouvement de
l'observation de l’œil de plusieurs regardeurs qui se confrontent
à la réalité de l'image. Ainsi sommes-nous interrogés sur la
réalité de l'image, son origine, sa fiabilité, son apparition et sa
disparition. Et l'artiste ne peut être seule dans ce champ
d'expérimentation.
L'exposition
de la Galerie 22 s'intitule « Plein soleil ». Titre
paradoxal quand on sait combien le soleil éclaire autant qu'il
aveugle. Et cette Joconde ne serait-elle pas l'ombre de Jocaste quand
Antigone guide Oedipe dans sa nuit ? Dans le poème de
Supervielle précité se trouve ce vers : « Pâle
soleil d’oubli, lune de la mémoire . » Il résonne
d'autant plus ici que l'idée d'un soleil se découpe sur du grès en éléments
mythologiques semblables à des runes ou à d'autres symboles renvoyant à
ceux d'une civilisations hypothétique. Les pierres gravées de
signes, qu'on suppose solaires, simulent une mémoire aux prises
d'une expédition archéologique et les caisses qui les enferment ou
leur servent de socle, sont comme les accessoires d'un film d'Indiana
Jones. De l'humour, de la fantaisie et de l'image sur l'image...
Ailleurs, dans la roseraie du jardin du Monastère de Cimiez, Caroline Bouissou
s'empare de nouveau de signes qui évoquent des rosaces et parfois
des éléments de moucharabieh. "Observatoire", cette sculpture cinétique blanche modèle le
lieu, joue sur les gammes de la transparence, crée des variations
de lumières. Mais pour un monastère, on peut-y voir aussi l'image
d'un claustra, d'une fenêtre alvéolée qui délimite l'intériorité et un extérieur quand cette frontière serait aussi
un lieu de passage pour la lumière et l'illumination d'un jardin.
M.G
M.G