Musée Bourdelle, Paris
Jusqu’au 16 juillet 2023
Le traitement d’une image dépend davantage de son aspect matériel que de ce qu’elle représente. Aussi, pour Philippe Cognée, la peinture est-elle ce qui fixe l’image à l’instar de la photographie qui parfois la précède. Mais encore faut-il que cette image ne soit pas qu’un simple support mais plutôt une pâte qu’il faut travailler pour en faire jaillir cet instant de trouble entre l’apparition et la disparition. «La peinture d’après» illustre ce passage, ce processus de transition entre une figure d’abord perçue comme telle et ce qui s’est modifié au cours de l’intervention sur la matière picturale.
Reprenant des rudiments de pratiques anciennes souvent liées à l’Afrique où il passa son enfance, Philippe Cognée utilise de la cire chauffée pour lier les pigments avant de déposer un film sur l’image peinte. Une fois fondu par un fer à repasser, celui s’incruste dans la figure qui prend un aspect tremblé et se déporte vers l’abstraction. Car l’image n’est plus qu’un support, un vestige du quotidien quand l’art est vertige, fenêtre pour d’autres regards et ouvertures au monde. C’est pourquoi les peintures des musées sont encore des images à l’égal des autres comme sur l’étal des supermarchés. Philippe Cognée dans un espace labyrinthique du Musée Bourdelle reprend ainsi un millier de ces images extraites de catalogues de Art Basel pour repeindre chacune d’elles. Mais soumises à un tel protocole de masse, elles s’annulent, se neutralisent dans le seul spectacle marchand. Tout n’est qu’objet.
Rien n’est hiérarchisé dans une telle œuvre. Au même moment, dans le Musée de l’Orangerie, Philippe Cognée montre des feuillages fleuris aussi troublés et troublants que d'autres images empruntées à Street view ou, ailleurs, à des foules anonymes dont les corps se confondent avec leurs ombres. En alchimiste, l’artiste recompose la matière picturale pour en extraire ce qu’elle recèle de sève et de sécrétions pour les incruster au cœur de l’image. Sale et délicieuse, celle-ci n’est plus seulement celle qu’on voit mais celle qui s’imprime dans la pensée où elle persiste à vibrer, à se déformer, à se recomposer. Voici une peinture vivante, une «repeinture» du réel dans les angles morts de l’art contemporain.