Commanderie de Peyrassol, Flassans-sur-Issoles (Var)
Jusqu'au 1 novembre 2022
Il fallait la grâce d'un paysage pour réconcilier l'humanité avec l'innocence des âmes et des corps dans un jardin d’Éden. Dans ses modulations de vignobles et de forêts, la Commanderie Peyrassol est cet écrin pour un paradis qui se crée en correspondance avec l’œuvre de Michelangelo Pistoletto. Artiste de l'Arte Povera en Italie et lauréat du Lion d'Or de Venise en 2003, Pistoletto, dans une voix posée et un français impeccable, ne cesse de prôner une autre société dans laquelle nous serions «unis dans notre diversité». Selon ses mots, l’œuvre d'art possède cette fonction génératrice à partir d'un paradis naturel, d'un paradis artificiel et d'un troisième paradis fondé sur leur convergence dans un nouveau stade de civilisation.
L'art est cet intermédiaire entre le naturel et l'artificiel et le conflit se résout par la simplicité des matériaux issus du quotidien. Ici le présent, par homonymie, prend la force d'une offrande. Le miroir absorbe ce qui se présente à lui, il est tout à la fois reflet et réflexion, une brèche dans le mur, une porte ouverte dans un au-delà. Et le miroir ne ment pas. Au sens fort, les tableaux miroirs de Pistoletto sont des surfaces réfléchissantes. Dans cette série principalement réalisée pendant le confinement, l'artiste dispose un report photographique sérigraphié de corps nus à taille humaine sur le miroir. La beauté des corps parle aussi de la bonté. Adam et Eve dans leur nudité, de tous âges et de toutes couleurs, traversent le temps comme nous traversons avec eux le miroir pour fusionner dans ce nouveau paradis. Le spectateur pénètre physiquement dans l’œuvre qu'il contemple et en fait partie intégrante de façon éphémère.
Face à notre monde dominé par l'individualisme, Pistoletto nous renvoie ainsi à des enjeux collectifs et au dépouillement nécessaire pour créer cette société nouvelle. «La mise à nu de la société» confronte la nature des corps débarrassés de leurs artifices à la pesanteur du corps social et à la solitude des individus.
La notion de partage est au cœur de l'ambition artistique de la Commanderie Peyrassol. L'exposition de Pistoletto est réalisée sous le commissariat de Laurenzo Fiaschi, cofondateur de la Galleria Continua. Parallèlement, et dans le même esprit, une autre exposition se tient «pour briser les frontières», selon les mots du maître des lieux, Philippe Austruy, dont une partie des pièces contemporaines est mise en dialogue avec des œuvres flamandes du XVe au XVIIe siècle en collaboration avec la Gallerie De Jonckeere. Dans ce «Face au temps, Regards croisés sur les collections Philippe Austruy», un paysage d'hiver de Brueghel le Jeune répond à trois toiles d'Etel Adnan - Printemps, Été, Automne. Ailleurs les notions de transparence, de geste, de résistance ou de tension formelle se déploient par de surprenants contrastes comme dans une sculpture d'Anthony Caro qui se heurte à un «Jugement dernier» de Hiéronymus Francken. Présent et passé s'interrogent mutuellement et l'art est bien ici un fascinant jeu de miroirs.