Musée de Vence, du 27 janvier au 27 mai 2018
Ceux
qui se souviennent des premières œuvres de Titus-Carmel dans les
belles années 70 savent combien elles étaient en décalage par
rapport à avec l'optimisme qui prévalait alors. L'artiste dessinait
à la perfection mais, déjà, avec des réserves de vide et
d'insoupçonnables claudications de sens. Elles laissaient présager
la décomposition en œuvre dans la représentation de coffrets
inquiétants, de cordelettes, d'épissures et de nœuds relâchés.
Sentiment de déréliction ou pressentiment d'une corruption de toute
représentation avant que celle-ci même ne se formule. En évoluant
vers la peinture, par des passages réguliers vers la gravure et la
poésie, Titus-Carmel n'a jamais cessé de penser les incertitudes de
l'abstraction et du réel, la relation de l'espace à la figure, le
rapport du signe à l'écriture. Cette exposition, parce qu'elle se
limite à des travaux récents - peintures, gravures, livres - nous
permet de comprendre combien l’œuvre s'intègre dans une série.
Et comment celle-ci s'articule à ses préparatifs dont elle n' est
qu'une ramification. Le peintre excelle dans cette illustration d'une
pensée en acte, avec cette capacité de relier synthèse et
fragmentation, contrôle et aléatoire, tension et liberté.
Cette peinture à la composition dense et légère, dans sa couleur
sombre ou glorieuse, parvient à parler entre les lignes. Elle énonce
cette quête de ce que Titus-Carmel appelait un « lointain
intérieur ». Cette obsession d'une écriture qui ne pourrait,
qu'en partie, s'exprimer hors d'elle-même et qui, sous les auspices
de l'art , se retrouve libérée dans la composition de toiles ou de
dessins. Le cadrage obéit à de savants jeux de mise en page, à des
déboîtements qui accusent l'expressivité d'un signe comme pour le
réduire au silence. Ou bien le geste se dissout dans une forme
géométrique. Toujours cet acharnement de l'artiste à briser les
cadres, à traquer du sens là où seul le poète peut prétendre à
le faire éclore.
A
l'origine, des feuillages, des branches, des traits. Les stries et
hachures du dessin. Le spectre de la peinture avant que la couleur ne
s'y dépose. L'origine suggère une suite, musicale et logique.
Rythme, raclure de teintes, déviations, étranglements, souffle
vainqueur, et dans ce vieux treillage d'une forme, d'une beauté,
voire d'une mythologie, l'horizon d'une pureté : Couleur,
lignes, sens. Essoufflements, salissures, le corps ne s'y risque pas.
Ou seulement à la marge, comme réserve de sens ou d'un repentir
quand l'artiste, toujours, laboure ce territoire de l'art qui est
celui d'une terre inconquise. Titus-Carmel est sans doute l'un des
derniers grands peintres français dans un pays qui fut le premier à
donner sens à la peinture et qui, aujourd'hui, est le dernier à y
croire. Raison de plus pour se précipiter sur cette imbrication de
rythmes, de couleurs et de rectitude qui nous font espérer du monde.
Ne
pas oublier pourtant Matisse. Puisque le Musée consacre désormais
un espace dédié aux portraits, aux papiers collés et à de
somptueuses études pour la chapelle de Vence. Est-ce un hasard ?
Les arabesques végétales, les courbes et les angles de l'un
répondent, très longtemps après, aux attentes poétiques de
l'autre qui, ici, lui donnent corps. Beauté intemporelle.
Michel Gathier, La Strada, N°287