Villa Paloma, Nouveau Musée National de Monaco
Jusqu’au 7 avril 2024
Penser la maison idéale c’est définir de nouvelles formes, développer d’autres attitudes pour une autre façon d’habiter le monde. Pier Paolo Calzolari appartient à cette mouvance de l’Arte Povera qui, avec Penone, Merz, Pistoletto et quelques autres, à la fin des années 60, bouleversa en Italie la définition même de l’art par sa volonté de l’inscrire en négatif de l’image Pop Art qui prévalait alors. Face au consumérisme et à la saturation spectaculaire, cette mouvance artistique prônera désormais la pauvreté des matériaux, la méditation silencieuse et l’expression du vivant par la seule intelligence des sens. L’exposition présentée à la Villa Paloma avec des œuvres produites entre 1960 et 2014 se veut une illustration de ce Manifeste de l’Arte Povera dans lequel Calzolari revendiquait cette utopie poétique d’une «maison idéale».
Face à la peinture, à son histoire et à ses artifices, Pier Paolo Calzolari, entre sculpture, installation et forme picturale, par le choix de matériaux organiques, l’utilisation de l’humilité du plomb ou du feutre, réécrit une histoire de l’art dans laquelle résonnent pourtant les voix de l’Antiquité ou de la Renaissance. Métaphysique, aspiration mystique et alchimie se confondent alors dans des installations, autels ou bas-reliefs, où le blanc immaculé parle aussi de corruption, de trace sale et de disparition. Blancheur lumineuse du sel qui corrode ou du givre qui fond, la couleur est celle des éléments fondamentaux qui se mêlent au rebus, au végétal, à l’inscription ou à l’éphémère. Cette lumière répond pourtant à celle du néon dont les signes, à moins qu’ils ne fussent déjà des mots, écrivent l’espace d’un fleuve bleuté qui l’auréole de mystère.
Sont-ce des autels ou des suaires, des plis et des replis de sens, des vanités, la vie et la mort? Tout coïncide ici dans une œuvre tout à la fois grave et sereine, dans laquelle l’éphémère se conjugue à l’éternité, l’humanité à la plume d’un oiseau ou à des feuilles mortes dont on pressent encore le froissement. Calzolari sait ce souffle de l’écriture quand elle se saisit de fragments comme autant de signes qu’il nous faut déchiffrer pour dévoiler cet «être au monde» qui nous unit. Une grand table, Tomeo («Ptolémée») est dressée, comme rappel de ce géographe de l’antiquité. A la surface de ce meuble de cuivre réfrigéré, une couche de givre fond peu à peu pour délivrer sur ses bords, des reliefs encadrant des semblants de rivières et de lacs. Métaphore d’une terre plate telle que les anciens l’imaginèrent. L’art est cette lecture du temps, de ses contractions et de l’éphémère.
Ailleurs l’artiste dispose un miroir de cuivre tel un «Memento mori» sur lequel notre visage apparaît dans un cadre constellé de feuilles d’arbre de Judée desséchées. Voici donc un mobilier tout en mouvements et en vagues pour exprimer le flux du temps dans lequel l’humain se brasse aux aspérités du bois, au feu ou à la glace. Nous habitons cette maison dans laquelle reposent aussi six matelas blancs alignés où s’inscrivent en néon des mots peu déchiffrables. Permanence de ce blanc qui taraude l’œuvre de Calzolari mais d’un blanc aux multiples variations qui épouse cette superbe méditation poétique sur ce temps qui s’accorderait à notre maison idéale pour peu que nous sachions y vivre et l’aimer.