samedi 5 juillet 2025

«Cactus»

 


Nouveau Musée National de Monaco, Villa Sauber

Jusqu’au 11 janvier 2026



Avec sa silhouette sculpturale et son caractère bien trempé, ce roi des épines et des terres arides pique notre curiosité. Doux et agressif, fragile et robuste, modeste et extravagant, le cactus incarne le paradoxe avec cette pointe d’ironie qui convient pour une exposition somme toute très duchampienne. Et l’art lui-même ne tient-il pas aussi de ce cactus, image iconique du désert? Irritant, à l’image de l’art, le cactus émerge par son étrangeté avec la nature, son aspect artificiel, sa verticalité boudeuse, ses molles rondeurs et ses oreilles décollées. Avec condescendance, mais sans quelque précaution, on le toise pour la bêtise qu’on subodore en lui. Sans doute est-ce pour cela que certains s’entichent de cet être incertain en le collectionnant comme d’autres collectionneraient timbres, papillons ou objets d’art…

Donc un regard à la Marcel Duchamp entre science, botanique, histoire et ce qui s’appelle de l’art. Car il y en a quelques spécimens et des plus étonnants qui s’amusent de leur présence au milieu de cet aréopage de savants qui dévident leur science… De mauvais élèves donc, tel David Hockney qui s’amuse avec son iPad au lieu d’écouter le professeur. Ou encore Penone, un autre sale gosse avec ses jeux de miroir qui brouillent les frontières entre les choses et leur reflet. Aucun respect pour Platon! Et un autre qui se permet de créer de faux cactus en bronze et qu’on ne sait même plus alors où est le vrai du faux! C’est la foire aux cancres. Et dans ce chahut, les copies s’envolent dans le plus grand désordre pour une exposition jubilatoire dans sa docte sévérité. Il faut dire que le cactus genre Peyotl produit la mescaline et que ses effets psychotropes pourraient peut-être expliquer ceci ou cela pour de mauvais esprits…

Botero a peint d’autres plantes grasses mais elles n’ont pas trouvé leur place ici. Mais ce n’est pas le sujet, soyons sérieux, ces cactus enrobés dans leur cire, étrangers au souffle du vent, méritent bien quelque compassion. Et on les aime justement parce qu’ils sont des mal aimés. Enfermés dans leur cabinet de curiosité, on s’éprend de la liberté qu’on leur rêve. On les console d’une caresse écologique malgré leurs piquants quand on s’y frotte. On les glorifie dans les couleurs de l’arc en ciel dans un «Sunrise cactus» de Paul Smith pour un cocktail aphrodisiaque et le souhait d’un paradis tropical. Qui ne sait que dans la vie il y a des cactus… Et qu’il faut vivre avec!

Alors cette remarquable exposition, parfois déroutante, nous entraîne sur les chemins de la métaphore sur lesquels nous faisons l’école buissonnière. On s’émerveille, on se gratte la tête, on s’amuse ou on s’ennuie, c’est selon. On s'assoit parfois sur un coussin de belle mère, on traverse tous les univers, peintures d’hier et d’aujourd’hui, lampe de Majorelle, vidéo d’Alain Fleischer, «L’apparition du monstre», photographies de Doineau ou de Brassai, installations botaniques de Ghada Amer ou superbe portrait sur toile d’un «Cactus en fruit» comme un clin d’œil à Arcimboldo. On se bouscule dans un joyeux labyrinthe dont on ne cherche pas toujours la sortie. En compagnie de dizaines d’artistes, on s’étonne, on sourit et on rit. Et le cactus n’est-il pas le signe de l’inconfort et un pied de nez aux délicats feuillages de nos forêts tempérées?

«Couleurs!», Chefs-d’œuvre du Centre Pompidou

 


Grimaldi Forum, Monaco

Jusqu’au 31 août 2025



Maculant un visage de teintes vertes en 1905, Matisse, avec le fauvisme, inaugure une nouvelle manière de dire le monde. A la suite de l’impressionnisme, la couleur impose son autorité et son autonomie par rapport au réel. C’est le début de l’art moderne. Et deux ans plus tard, ce sera Picasso qui révolutionnera formes et perspectives. La couleur donc. Impérieuse dans son pouvoir de traduire les émotions ou de transcrire les idées les plus abstraites, elle défie le réel et perturbe ainsi notre perception du monde.

Cette aventure de la couleur nous est ici racontée à partir de plus d’une centaine d’œuvres et nombre d’objets de design comme pour nous rappeler que la gamme chromatique est chargée tout à la fois d’une fonction ornementale, expressive et culturelle. Et que ces fonctions se croisent, se heurtent ou s’éprouvent différemment d’un individu à l’autre du fait de la puissance de l’impact sensoriel de la couleur. Aussi, répartie selon sept espaces monochromatiques, l’exposition conçue par Didier Ottinger se développe à partir d’un noyau central qui nous conduit vers des salles dans lesquelles, par des jeux de lumière, chaque couleur s’associe à une composition sonore du compositeur Roque Rivas réalisée avec l’IRCAM et à une ambiance olfactive créée par un «nez» de Fragonard, Alexis Dadier.

Pour cette exposition immersive, nous traversons des pièces perçues comme des lieux d’habitation où la couleur joue tout aussi bien de l’intime, de l’ornement que de la publicité. Puis nous voici saisis dans le flux d’un jaune ou d’un rouge avec, pour introduction, une série d’œuvres consacrées au cercle chromatique avec bien sûr le couple Delaunay ou un immense nuancier de 1024 couleurs de Gerhard Richter. Et c’est alors que, dans un vaste circuit, chaque teinte se développe à travers un portrait, une abstraction ou un paysage. Le bleu c’est l’envol pour Kandinsky, la qualité d’une profondeur spirituelle pour Klein, une traversée onirique pour Magritte. Entre couleurs froides ou chaudes, un jaune criard ou une tonalité plus sourde, nous évoluons à travers une floraison des plus belles toiles du Centre Pompidou.

Histoire de contrastes autant que de dialogues confidentiels, ce parcours se déroule dans les modulations d'une symphonie visuelle quand les mimosas de Bonnard palpitent à côté de deux corps renversés de Bazelitz dans une lacération de jaune. Haï par Mondrian parce trop lié à la nature, voici que le vert irrigue un portrait de jeune fille par Picasso et qu’il enchante les toiles de Chagall. Et il y a les couleurs adulées, les dangereuses aussi et celles aussi incertaines que le blanc et le noir. Et ce rose, triomphe de la frivolité et du mauvais goût qui se chante merveilleusement dans un lit peint par Philip Guston! Tout est prétexte à cri ou à méditation et l’on circule avec bonheur parmi cette floraison de silences ou de récits en compagnie des plus grands Maîtres de l’art moderne. Le rouge écorché d’un groom peint par Soutine ou la carnation verte d’une odalisque de Martial Raysse sauront déchirer votre regard et au terme de ce voyage coloré, vous verrez toujours le monde autrement. Et pour reprendre les mots de Didier Ottinger: «Contre les dogmes et les écoles artistiques, la couleur est l’outil privilégié d’une liberté, d’une affirmation de soi.»