mardi 17 décembre 2024

Raoul Dufy, «Le miracle de l’imagination»

 

Musée des Beaux-Arts Jules Chéret, Nice

Jusqu’au 28 septembre 2025



Il fut de ces artistes dont l’écriture s’apparentait tellement à une signature que les critiques s’en détachèrent. L’évidence d’un style, le brio de l’exécution, souvent tendent à reléguer le peintre dans les oubliettes de l’art pour ce soupçon de facilité où pourtant parfois se développe le génie. Il ne théorisait pas mais s’inspirait des autres. Il s’imprégnait du monde et peignait dans l’indécence du bonheur. Pourtant l’œuvre a su traverser le temps et le parcours sur lequel nous conduit l’exposition niçoise réalise une synthèse de cette peinture de la première moitié du XXe siècle puisque Raoul Dufy, d’abord influencé par le post impressionnisme, évolua vers le cubisme. Il emprunta à Cézanne une construction de l’espace sans perspective à partir de touches obliques mais c’est pourtant avec la découverte de Matisse et du fauvisme qu’il déploiera son style.

Désormais dessin et couleur jouent leur propre partition, se dispersent ou se confondent dans un mouvement musical porté par une conception aérienne de l’espace. Le peintre était aussi musicien et une superbe toile rend hommage à Debussy. Vers 1920, son style est établi. D’une grande connaissance des classiques comme de ses contemporains, l’artiste impose ses couleurs vives dans la danse de ses arrondis et de ses arabesques magnifiés par la simplification des formes. Sans doute la gaieté qui en ressort l'aura-t-elle desservi tant on l’a souvent confondu à de la frivolité. Mais l’œuvre s’autorise tout tant elle s’accorde au rythme du monde, à ses fêtes, au souffle d’un bleu azur et à l’infusion de la couleur dans la lumière. Raoul Dufy, né au Havre, résida dans des lieux multiples, en particulier à Nice ou naquit Eugénie Brisson, son épouse, qui en 1953 hérita du fonds de son atelier avec quelques 1200 œuvres dont une partie revint au Musée Chéret.

Cette exposition témoigne de la diversité des espaces qu’il traversa, des paysages dans lesquels le ciel se confond à la mer et des ports qui nous ouvrent à la lumière comme dans le souvenir des peintures de Claude Gelée le Lorrain. Mais surtout des compositions insolites quand des scènes quotidiennes se désagrègent au fil du dessin qui se dissout dans la métamorphose des couleurs. C’est «Le miracle de l’imagination» tel que l’énonce le titre de l’exposition. Raoul Dufy peint ces instants lors desquels le réel est soumis à l’imaginaire. Il s’affranchit de toutes les règles pour célébrer toutes les modulations de la vie comme autant d’ondes de bonheur. Cette liberté le pousse à s’autoriser à tous les domaines, qu’il s’agisse de l’illustration des poèmes d’Apollinaire, de la gravure, de la céramique ou de la décoration. Imaginer c’est expérimenter les traverses du réel et la vision picturale de Dufy rejoint celle de Matisse dans l’idée d’un rayonnement, d’une lumière qui préfigure les formes qui en surgissent.


Marc Chevalier, «Pouvoir faner, vouloir fleurir»


Galerie Eva Vautier, Nice

Jusqu’au 8 février 2025



Comme tout discours, l’art contient sa part de rhétorique et s’organise autour de certaines figures de style. Et le chiasme d’un titre, «Pouvoir faner, vouloir fleurir», se charge de ces croisement de significations qui s’ouvrent à tous les possibles et à leurs contraires. Marc Chevalier excelle à ces jeux de mots et de sens qui se cristallisent dans l’éphémère ou se matérialisent, entre peinture et sculpture, dans des œuvres qui désignent ce qu’elles sont tout en échappant à toute définition. Et le paradoxe veut que de ces expérimentations audacieuses auxquelles l’artiste se livre entre poésie et humour, un univers personnel émerge en s’ouvrant à des constructions improbables pour définir de nouveaux territoires dans la création contemporaine.

Voir enfin les œuvres et s’étonner qu’elles claudiquent dans ce pas de côté qu’elles assument en ce qu’il permet de définir cette fonction exploratoire de l’œuvre d’art. Ainsi là on l’on voit de la peinture, il n’y a en réalité que des accumulations de scotch qui structurent un improbable châssis. Ou bien, ailleurs, le tableau se résume-t-il à des agglomérations de couleurs solidifiées qui désigneraient l’alpha et l’oméga de la peinture avant toute expressivité. D’un medium à l’autre, Marc Chevalier invente accumulations de sens, déséquilibres et autres perturbations du réel qui nous emportent aux confins de l’absurde et de l’émerveillement dans des contrée étranges où le monde se réorganise sur les décombres de nos certitudes. Une peinture séchée sur sacs plastiques compressés peut-elle nous parler d’autre chose de ce qu’elle est? De fragiles empilements de fleurs et de fragments botaniques en immenses couronnes fragiles pour l’idée de fleurir ou de faner évoquent-t-ils l’énigme du réel, du temps et de l’espace? Autant de propositions que Marc Chevalier essaime dans son parcours artistique entre le souvenir de Fluxus ou de Support/Surface pour réécrire ou enterrer l’histoire de l’art.

Pourtant loin de toute ambition théorique, l’artiste s’aventure sur les sentiers de la poésie quand avec dérision, il explore le dérisoire. On retourne les mots, on découd le sens et toujours tout se décompose et se recompose. Avec de la matière ou avec des mots, l’artiste déchire les apparences; il visite le rejet, le rebut, l’inutile ou le sale; il hérite de l’histoire, d’un vocabulaire, de la beauté et du néant. Alors autant s’en décharger, de les déposer sur le mur ou sur le sol et d’en exhiber les restes dans le geste grandiose du magicien. Heureuse tragédie de la lucidité.