Musée de la Photographie Charles Nègre, Nice
Jusqu’au 6 avril 2025
L’œuvre d’art s’éprouve par les sens ou la mémoire avant même de se formuler dans un cadre idéologique. Aussi se confronter aux photographies ou à tel autre medium utilisé par Benoît Barbagli, c’est d’abord, à l’instar des personnages qu’il convoque dans ses images, expérimenter une immersion dans une nature sublimée dans laquelle le collectif humain surgit comme dans l’imaginaire d’un paradis perdu. Mais les artistes, et il faut leur en rendre grâce, se définissent aussi en regard des utopies qu’ils esquissent ou qu’ils structurent. Benoît Barbagli, à l’intersection d’une nature idéalisée et de l’intelligence artificielle, nous conduit sur les traces d’un monde «vu d’en haut», en surplomb des corps et des profondeurs marines. Et de ceux-ci, par un acte démiurgique résultant du drone qui les capte et de celui qui le maîtrise, l’artiste, en dépit de ses revendications d’œuvre collective, demeure le seul responsable de son œuvre.
Voici donc de vertigineuses compositions d’où surgissent des corolles de corps qui se dispersent dans le brassement d’une eau pareille à un liquide amniotique. Fusion des éléments, opéra solaire ouvert à tous les sens, tout ici répond à un mouvement symphonique dont tous les protagonistes interprètent un même rituel dans une cérémonie célébrant la vie et son magma originel. A cela, l’artiste oppose le monde numérique ou, plus précisément, il montre comment ce dernier pourrait réinterpréter ce corpus de manière à redéfinir les frontières du sensible. Au-delà des spéculations philosophiques qui en découlent, et aussi incertaines soient-elles, l’artiste parvient toujours à nous émouvoir par l’inventivité de ses prouesses techniques quand elles se heurtent à la force picturale de l’image. La photographie, souvent de très grand format, oscille entre le flou et le ressenti d’une matière colorée qui provoque un tel trouble que nous sommes happés par l’image avant même d’en saisir tous les éléments. En effet celle-ci est pernicieuse tant elle nous égare dans ce qu’elle prétend nous montrer quand la technologie la travaille: cet univers marin est ici en réalité un paysage forestier. Ou ailleurs, parmi des roches sous-marines, on devinera des visages…
Mirage ou miracle, le monde n’est jamais celui qu’on croit, et art ou machine ne cessent de le décomposer et de le recomposer. C’est ainsi que s’écrivent les mythologies et le titre des œuvres souvent résonnent dans le soleil de la Grèce antique. Hypnos, Hydrophilia, Sisyphe, Chronos… Autant de mots qui sculptent ces cadres philosophiques dans lesquels, avec bonheur, Benoît Barbagli se débat, se perd ou triomphe par la seule puissance des œuvres présentées. Crées par imprimante 3D, les sculptures de vagues dans le désert silencieux d’une résine morte parlent de cette rencontre de l’art, de l’humain et de la technologie. Elles sont là, déjà semblables aux dépôts archéologiques d’un autre temps tandis que la pulsion de vie et la joie irriguent ces grappes humaines qui dansent leur hymne à la joie sur les cimaises du Musée de la Photographie de Nice.
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