L’Artistique, Nice
Jusqu’au 4 janvier 2025
L’art ne peut jamais se définir tant il se soumet aux contorsions de l’infini et de l’éphémère. Aussi ce qu’il est convenu d’appeler «École de Nice» n’est rien d’autre que cette volonté disparate d’une communauté d’artistes de saisir le vivant sans autre souci que de se plier aux seules contingences du réel livré à lui-même. Aussi nul besoin de représenter le monde par l’intermédiaire d’images ou de le glorifier par un quelconque idéal esthétique quand il ne s’agit que de l’exhiber dans l’apparente platitude du quotidien. Aux objets les plus triviaux des Nouveaux Réalistes, répondit donc cet «Art d’attitude» qui fut celui de Ben et de Fluxus, cette captation du vivant dans sa banalité, ses vides et son absurdité pour y faire surgir des gestes et des formes magiques à l’intérieur d’une poésie inhérente à chacun. C’est celle-ci que depuis des décennies, Jean Mas décline en effleurant le «rien», en le criant pour qu’il se transforme en «tout» et toujours dans un joyeux délire de mots et de formes pour traduire les ruses insoupçonnées du vivant.
Ses prises de paroles comme les objets qu’il expose se répondent dans un jeu de miroir où l’humour désarticule nos certitudes, déroute notre rationalité et démonte le cours normal des choses. Jean Mas est l’empêcheur de tourner en rond qui nous fait tourner en bourrique pour exposer cette face cachée du monde qui, telle «La lettre volée», est si évidente que nous nous refusons à la voir. Dans cette exposition à l’Artistique, des œuvres anciennes captent la réalité à rebours, les êtres se définissent par leurs ombres ou par les cubes qui les contiennent non comme des urnes funéraires mais comme des boites à malices.
En 1987 le galeriste Jean Ferrero lui commanda 19 cubes comme autant de portraits d’artistes pour créer un «Cubage de l’École de Nice». Chacun contient ses particules de folie dans la stricte rationalité du monde quand le geste artistique n’est que paradoxe et ne dévoile que ce qu’il est. Ce cubage n’est donc qu’une mise à plat de la platitude dans la répétition de ces caissons de 20 x20 x 20 cm dans la seule résonance des signifiants auxquels se soumettent les artistes concernés. Car tout n’est que répétition et pourtant rien n’est jamais semblable. Jean Mas l’a démontré dans ses nombreuses «Cages à mouches» qui ne piègent que notre regard. Il en joue avec ce signe rappelant la lettre initiale et minuscule du Peu qu’il diffuse dans de subtiles transformations pour exprimer que dans ce pas grand-chose tout se dit mystérieusement pour qui veut l’entendre. Ainsi dans les «Ombres» qui s’exposent ici, Jean Mas a-t-il en 1990 photographié choses ou personnages en ne saisissant que leurs ombres pour ensuite peindre celles-ci comme images de la réalité et clin d’œil farceur au mythe de la caverne platonicienne. Artiste de la seule présence au monde et de l’éphémère, Jean Mas piège l’intelligence en décousant les mots et les choses, en les livrant à la seule incertitude de la raison et du regard.
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