jeudi 15 septembre 2022

Giuseppe Penone à La Tourette

 



Couvent de La Tourette, Eveux

Jusqu’au 24 décembre 2022


L’empreinte du souffle

«L’arbre se souviendra que je l’ai embrassé». Est-ce de cette certitude face à la fragilité de la mémoire que se déploie l’œuvre de Giuseppe Penone? Et comment associer à un temps qui efface autant qu’il révèle, les traces incertaines de cette rencontre avec la nature sans dépouiller celle-ci du mystère de sa communion avec l’humain? Tout le travail de cet artiste majeur de L’Arte Povera depuis les années 70 s’inscrit dans les méandres de ce geste qui restitue à la pensée la sève des arbres, les nervures des feuilles ou la boue de l’argile.

Mais l’œuvre acquiert une dimension plus spirituelle quand elle s’accorde à un site et à l’architecture d’un couvent construit à la fin des années 50 par Le Corbusier. Créé sur pilotis et surplombant des ondulations de prairies et de forêts, l’édifice de béton telle une roche avec ses cavités, s’y inscrit. Il y dévoile ses trouées vers le ciel, son enracinement dans la terre mais aussi ce que l’homme y ajoute, la rectitude des formes, l’organisation de la pensée, l’autorité des lignes et de la couleur. Mais Le Corbusier comme Penone a voulu s’imprégner du lieu et, par effet de miroir, l’artiste italien convoque l’esprit même de la nature pour un hommage sensible et humble à l’architecte.

Les pilotis sont ici comme des arbres surgissant de terre. Et le bois fut aussi ce qui assura le coffrage des poutres de béton auxquelles Le Corbusier désira laisser l’empreinte de l’écorce. Tout témoigne alors d’un accord tacite entre la volonté de l’artiste et le souffle mystérieux de la nature. Reprenant le nuancier des 63 couleurs qu’utilisa l’architecte, Penone par des frottages sur toiles au pastel ou à la cire sur les parois grumeleuses, les piliers ou les fenêtres, crée toute une gamme d’œuvres - «Le Bois sacré»- qui s’insère en plusieurs lieux, en particulier dans l’église. On y devine là les modulations de la Croix tandis qu’un tronc avec ses aspérités et son lisse se hisse vers l’autel. Dans le réfectoire, sur une vaste table, des boules d’argile sont pétries comme du pain déposé sur un linge. Et sur le mur, en écho à l’idée d’offrande et de partage, Penone dessine des paupières closes avec des épines d’acacias parmi le marbre dont l’artiste exhibe les veines.

Car si l’esprit résonne ici, c’est pourtant du corps qu’il s’agit. Et l’artiste ne cesse d’en extraire les marques quand il s’imprime comme sur un suaire. Avec l’empreinte de ses doigts, il reprend le cuir tanné de la couverture d’un vieux livre liturgique pour dire la peau dans les teintes d’un sang qui s’efface pour une toile d’une intensité troublante. Au sol, le doigt est représenté par une multitude de cierges fondus dont le bout est revêtu d'une capsule de verre pour signifier un ongle. Temps et espace se réconcilient alors avec nos corps pour un instant d’humilité et de vie. C’est toujours l’invisible du souffle qui traverse ce lieu pour une rencontre avec ce qui nous relie au monde et peut-être au ciel.