D'une
statuette ibérique du VIe siècle avant J.C à une toile de Picasso,
une visite au Musée Goya de Castres permet une passionnante
appréciation de l'art espagnol à travers les siècles. Siècle d'or
pour Vélazquez avec le portrait de Philippe IV ou pour Murillo avec
La Vierge au Chapelet. Mais aussi avec Goya et le Siècle des
Lumières, dans son sens le plus large. En effet, le peintre dans
« La junte des Philippines », le plus grand tableau qu'il
exécuta, illustre pleinement la critique philosophique et politique
qui se développe au cours du XVIIIe siècle ainsi que le travail
impressionnant réalisé sur la lumière dans cette œuvre.
Son
extrême modernité est frappante. D'un point de vue formel, les
dimensions imposantes de la toile et une composition géométrique
austère permettent des jeux d'ombre et de lumière qui soulignent
sobrement le vide que Goya met en scène. De quoi s'agit-il ici ?
D'un discours que le roi, de retour d'exil prononce devant une
assemblée de notables actionnaires de la Compagnie des Philippines.
Dans la partie supérieur du tableau, l'horizontalité du pouvoir
avec le monarque en son centre. Sur la partie inférieure et sur les
bords, se déploient les figures endormies ou agitées d'un auditoire
en rien concerné par ces discours. La rupture entre la monarchie et
les Libéraux apparaît dans toute son évidence. Pourtant c'est dans
la structure de la toile et la mise en scène de ses jeux lumineux
que Goya impose sa force. A la droite du tableau, un vaste pan
rectangulaire d'une lumière externe éclaire l'ensemble. De larges
zone de vide s'en imprègnent et diffusent des nuances veloutées
d'ocres et de gris colorés. Entres les zones supérieures et celles
du superbe tapis d'Orient qui se prolonge vers nous, la couleur vibre
comme sur une toile de Rothko. La lumière énonce alors comme un
« hors-texte » la vacuité de la scène qui se déroule
ici. D'ailleurs à son opposé, à peine visibles, dans l'ombre,
trois personnages resserrés : L'un dissimule l'autre tandis que
le troisième nous regarde et nous surveille. Goya peint ce combat de
l'ombre et de la lumière. La peinture est ce récit.
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