Rien de plus
indéfinissable qu'un objet de Martin Caminiti. Parler d'objet c'est encore ici se résigner à le nommer ainsi quand il oscille entre dessin
et sculpture, ombre et représentation, insecte ou végétal. Car cet
objet semble se dérober à lui-même et au temps dans lequel il
s'inscrit. Autant dire qu'il le traverse, incongru, presque
immatériel, qu'il malmène ou structure l'espace qui le contient et
qu' il témoigne ainsi d'une manière d'approcher ce que pourrait
être une œuvre d'art : une trouée, une échappée dans le
temps et l'espace, une hypothèse de sens pour déjouer les atours
séduisants mais illusoires du réel.
Aveuglé par l'image d'un présent autant obsessionnel qu' éternel,
l'homme de la consommation se consume au fur et à mesure qu'il érige
l'éphémère comme signe du vivant jusqu'à utiliser des pratiques
dites artistiques pour dénier à l'art toute possibilité de
produire des utopies et des formes nouvelles. C'est à dire tout ce
qui se joue en dehors de l'espace et d'un temps quand il se déchire de sa seule actualité. Giorgio Agamben en 2008, dans « Qu'est-ce que le
contemporain ? » écrivait : « Celui qui appartient
véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne
coïncide pas parfaitement avec lui ni n'adhère à ses prétentions,
et se définit, en ce sens, comme inactuel. » L'art de Martin
Caminiti est inactuel car il détourne l'usage des choses, les
mythologies de l'utilitaire pour les traduire en icônes incertaines
de notre temps. Fausses idoles mais créations magiques pour un
siècle aux rêves perdus. Sont-ce des libellules, ces fils tendus
sur du verre, ces filaments aériens qui dessinent des flexions
contre un mur ou vers le ciel ? Ou bien figurent-ils quelque
motif végétal qui se serait échappé de la gangue de
l'industrialisation, d'une bicyclette ou d'une canne à pêche?
Rythme, douceur, poésie, regard dédaigneux sur le temps, humour sur
l'ironie et l'obsession matérielle. Martin Caminiti est l'artiste du
détachement. On peut espérer que la légèreté de ses
constructions incertaines épouse les courbes d'une calligraphie
nouvelle pour dire autrement le monde, loin de l'art des carrefours
ou de la finance, loin de l'asservissement au grondement des
frustrations haineuses des uns et des autres... On peut aussi rêver.
Galerie Matarosso, Nice, jusqu'au 6 octobre 2018
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