Gérard
Serée est peintre, graveur et, à l'occasion, sculpteur. Il peint à
l'huile sur d'imposants formats. Rien que de très banal donc si ce
n'est que le contenu de cette peinture échappe à toute définition,
à toute catégorisation, à toute filiation dans le champ pictural.
Loin d’une réflexion sur le motif ou les relations entre
figuration et abstraction, l'artiste maintient la présence d'un fond
monochrome sur lequel des formes se drapent de mouvements, de
torsions, d'orbes vaporeuses comme pour un catalogue des fondamentaux
de la peinture. Une peinture maçonnée mais fluide qui se fixe sur
la toile comme pour en proclamer les règles. Rejetant l'anecdotique
et toute fioriture, la fausse spontanéité du geste, les repentirs
discrets ou le surinvestissement de la couleur, l'artiste maintient
ce cap rigoureux d’un regard sur la peinture et l'acte de peindre.
Accouplement
de forces contraires, rythme des volumes qui surgissent là où dans
le même temps ils se désagrègent, tension et effacement :
Ce qui se trame ici c'est bien cette lumière intérieure qui
s'extirpe de la toile pour énoncer la grammaire primitive d'une
œuvre. Le mouvement contracte la couleur, la définit. Le geste
réfléchi s'imprègne de l'ocre ou de la densité d'un rouge carmin.
La peau grise du fond de la toile s’anime alors de discrètes
convulsions quand le mouvement est saisi au plus près de la matière
et que la planéité du tableau s'ouvre à un combat tellurique dont
le peintre nous renvoie les séquences de sa gestation. Dépouillée
de toute anecdote, hors temps, cette image là est la représentation
même de la peinture. En nous en proposant l' archéologie, Gérard
Serée, fixe les flux, les contractions ; il pousse les débords
sur les lisières du cadre ; il maîtrise avec autorité
l'espace. La peinture se pare ici des seuls atours de l'évidence. Sa
complexité, sa densité, l'artiste la démontre en surface sans
s’appesantir sur les effets décoratifs, les circulations inutiles.
Son architecture répond à cette ascèse, à une rétention
gestuelle, une humilité chromatique. Elle est l'empreinte de la
spatule ou de la brosse ; le trait est une incision dans
l'huile ou la trace du tube de peinture qui se mesure à l'assaut
conjugué des contraires et des masses colorées.
Graveur
et créateur de livres, Gérard Serée en a réalisé plus d’une
centaine. Il s'adosse à la poésie quand le tableau ou la gravure
n'en sont que la radiographie muette. Comme si l'art en matérialisait
le souffle ou que les mots se coagulaient ici dans une chair
nouvelle. Ce mutisme est une force, un labour implacable du texte.
Des poètes, Nietzsche écrivait dans « Ainsi parlait
Zarathoustra » : « Ils troublent toutes
leurs eaux pour les faire paraître profondes. » A
l’apparence trompeuse, à l'illusion narcissique de la beauté et
de l'émotionnel, Gérard Serée répond par l'au-delà du texte,
dont il inscrit le négatif, avec ses zones sombres, ses béances et
ses échappées qu'un simple cadre rattrape et enserre. C'est aussi
ce combat-là, celui du texte et de l'image, qui cristallise toutes
les pulsations d'une œuvre . Écrire, sculpter, graver, peindre,
autant de combats pour faire émerger du sens là où le monde n'a
pas encore su éclore.
Michel
Gathier, La Strada N°290
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