Musée de la photographie Charles Nègre, Nice
"La
vitesse, c'est la vieillesse du monde... emportés par sa violence,
nous n'allons nulle part, nous nous contentons de partir et de nous
départir du vif au profit du vide de la rapidité. Après avoir
longtemps signifié la suppression des distances, la négation de
l'espace, la vitesse équivaut soudain à l'anéantissement du Temps
: c'est l'état d'urgence. »
Paul
Virilio, « Vitesse et politique »
La photographie s' inscrit dans le contexte précis de la révolution
industrielle et l' accélération du temps qu’elle suscita .
Prenant en charge la corrélation de la vitesse et de la lumière,
elle impose dans notre système représentatif une révolution
majeure qui se poursuivra avec le cinéma. Penser la photographie
implique une conception nouvelle de l'image et de sa relation au
temps. Après la durée longue d'un artisanat entièrement manuel,
de la préhistoire jusqu' à la fin du 18e siècle, le 19e siècle
inaugure ainsi le règne de la machine, de l'appareil photographique,
de l'instantané, et redéfinit les relations de l'image et du réel.
Celles aussi de l'idée, du corps et de leur représentation.
Jean-Michel Fauquet est photographe. Pourtant il travaille la
photographie sur ce temps ancien dominé par le dessin, la sculpture
et la peinture. Autant dire qu'à l' « instant décisif »,
à cette fixation du temps, à la captation soudaine d'un espace, il
répondra par un hors temps et un hors champ. Se définissant
photographe d'atelier, il se plaît à rappeler l'anagramme existant
entre les mot « atelier » et « réalité ».
Car s'il s'agit bien toujours de réalité en photographie, celle-ci
échappe peut-être à son corset de visibilité. La réalité ne saurait se réduire à un découpage instantané du réel; elle se fond avec le ressac des temps anciens, des mythes, des angoisses et de tout un champ
culturel que l'artiste prend en charge.
Photographe de l'intemporalité, Jean-Michel Fauquet travaille la
photographie à partir de la peinture. L'image est est à la fois rayée et floutée par les coups de
brosse de l'huile sur le papier. Parfois le trait, la tache ou
l'estompage du dessin s'impose contre la brutalité d'une image trop
soudaine. C'est une autre violence, plus sourde, plus intime qui
remonte alors à la surface lorsque le photographe réalise des
sculptures en carton à l'apparence ferreuse qui sont autant de
constructions étouffantes, malsaines, quand elles investissent la
photographie pour la vider de toute actualité, de toute possibilité
de dire le présent.
Peut-être faudrait-il ici parler de « gravure
photographique ». En parler avec gravité, dans le seul temps
de l'inquiétude et de la méditation. On pense aux eaux-fortes de
Goya pour ses « caprichos », à celles de Jacques Callot,
à toutes ces images d'une souffrance qui érode toute rationalité,
toute possibilité d'une représentation objective. Ce ne sont que
gangues, garrots, cordages esquissés, allusions à des prothèses
infernales, à des membres végétaux, à un cauchemar qui se fraye
son chemin vers une aube peut-être paradisiaque quand soudain la
nature surgit d'une brume argentée et l'on pense à Théodore
Rousseau, à Corot... Jean-Michel Fauquet maîtrise parfaitement la
mise en scène. Les photographies s'agencent parfois comme dans un
retable; parfois, elle se mesurent à des volumes. Toujours elles ne
cessent de dire ce qu'est la photographie dans sa relation à l'art,
au mystère et aux limites sombres ou lumineuses du sacré.
Jean-Michel Fauquet résume parfaitement cette œuvre quand, après
l'avoir présentée, il déclare : « Être à l'avant-poste
du désespoir pour être aux premières lignes du bonheur ».
Michel Gathier
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