Réalisé
par Olivier Gredzinski durant l'été à Beyrouth, le tableau
de très grand format est exécuté sur de la toile de matelas en
damas, de celle que des générations de libanais ont connue pour s'y
être couchés. Cauchemars de la guerre et rêves de héros se sont
ici entrelacés et murmurent désormais l'innocence, la naïveté,
les espérances et tous ces souvenirs où la réalité se confond
dans l'imaginaire. La peinture est bien cet interstice dans lequel le
réel se façonne autrement ; elle est l'antichambre d'une
pensée qui s'élabore et fouille l'avenir par ses coulures, son
éclairage un peu louche qui fait vaciller toute certitude. Elle est
cette proposition qui n'impose rien d'autre que l'hypothèse d'un
regard et d'une lumière.
Ici
le héros est factice. Désincarné tel un personnage de BD, il tire
un coup de feu sur une forme qui s’apparenterait à une fleur.
Mais le fond est-il jamais identifiable ? Ce qui est figuré se
réduit donc à ce faux semblant, à ce rêve qui n'échouera que sur
un réveil douloureux. En réalité, c'est plutôt dans ce fond de la
toile, avec une abstraction feinte, des signes informels et des faux
semblants que le drame se noue. Et ce qui importe ce n'est pas tant
ce qui est donné à voir que cette dramaturgie même de la peinture
avec ses coulures qui font tache sur ce que la scène devrait
raconter. L’exubérance de la couleur, le renversement des formes
dénoncent la narration. C'est ici l'histoire de ce mensonge, ou de
ce hiatus, ou de cette incommunicabilité entre le monde et celui
qui, d'une manière ou d'une autre, s'essaie à s'en emparer. Le
tableau nous contraint à cette torsion qui est la nôtre quand l'on
se soumet à ses règles. Ainsi en sommes-nous la cible de laquelle
surgira l'éclosion de notre regard. De cette confrontation, nul n'en
sortira indemne car si le regard peut tuer, celui que l'artiste
propose, promet d'être salvateur.
Michel Gathier
Michel Gathier
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