mercredi 10 juin 2015

Gilbert Pedinielli

Conciergerie Gounod, Nice



Parcourir l’art est devenu une aventure schizophrénique tant les propositions divergent, s’opposent dans l’idée comme dans la forme. La chronologie n’est plus ce qu’elle est et, comme le montre  Nathalie Heinich, l’art contemporain résulte d’un nouveau paradigme…
Car le sens n’est plus linéaire depuis que l’homme a inventé le paradis et, qu’avec Alice, nous sommes passés de l’autre côté du miroir pour transiter de la zoologie préhistorique à la douce animalité humaine de Walt Disney. Ce voyage dans lequel nous évoluons philosophiquement d’un continuum chronologique à une expérience quantique, c‘est l‘art qui le met en forme et en images. Entre le singe et le robot se joue l’histoire de l’art dans  le jardin des délices, le pays des merveilles. Ou ailleurs.

La traversée du miroir demeure ce chemin initiatique pour une rencontre avec l’art d’aujourd’hui. Qu’on l’aime ou non. Mais ne jamais oublier que l’artiste n’est rien si l’expérience qu’il propose n’est pas entendue, reconnue. Mais, surtout, que cet artiste n‘existe que par l‘attente d’un  public pour un  langage étranger, mystérieux, qu’il désire pourtant devenir universel.
Une pensée forte, novatrice, incendiaire construit cette histoire pour le meilleur ou pour le pire. L’important ce n’est pas d’aimer, ni même d’innover,  mais de faire, d’une œuvre, une pensée qui défriche les territoires arides d’une histoire devenue sèche.

Ceux qui restent de l’autre côté du miroir croient au réel comme la mouche sur la vitre. Ce sont ces Bouvard et Pécuchet qui, ne l’oublions pas, étaient des copistes et qui, au terme de leur Odyssée picaresque et savante, une fois l’échec consommé, retournent à leur condition de copistes. Superbe métaphore pour Flaubert, l’entomologiste,  sur une vie pour rien, sur le savoir médiocre ou l’ ambition ratée. Don Quichotte sans Pancho Sacha  ou Laurel sans Hardy! Couples claudicants quand l’un n’est que la béquille de l’autre pour support de la bêtise…
 Mais, pourtant, sans l’autre, plus de dialogue, plus de Platon, plus d’altérité. Pas de duplicité, pas de double, pas de jeu.: Le narcissisme est la confiture dans laquelle la mouche se noie.

Pas de réversibilité non plus. Pas de dialectique, pas de zéro et d’infini, bref, morne plaine… la dualité est la norme; elle implique du plein et du vide et l’artiste doit s’en saisir, la mettre en question dans son  inquisition  rieuse et sérieuse à la fois , dans ses balbutiements de formes, de chiffres, de lettres pour une nouvelle grille de lecture  qui, cette fois-ci, ne grillage rien mais qui ressemblerait  davantage à un logiciel ouvert pour des expériences de langage et de sens.

C’est ici qu’intervient Gilbert Pedinielli.
 Depuis 50 ans, il reprend l’art à rebrousse poil, substituant les formes, travestissant les fonctions,  non pour pervertir le langage de l’art mais pour en retrouver la trame, en décoder le parcours.
Ce n’est pas sans ironie qu’il propose une grille de lecture à base de lettres et de chiffres qui nous permet de décoder ce message secret. L’artiste est géographe et historien. Mais il s’amuse d’un système ouvert à toutes les combinatoires dans lequel la logique répond à l’aléatoire comme la raison à l’imaginaire.
 Car c’est surtout d’un jeu qu’il s’agit:  Jeu de rôle et jeu de dupes quand l’artiste  démonte et démontre les stratagèmes de l’œuvre. Quand la toile n’est plus tendue mais qu’elle flotte comme on voudra, ou bien qu’elle tombe comme un chiffon, ou pourquoi  pas, qu’elle pende comme un torchon … Car dans l’universalité de ce langage, toute lecture est possible et, dans la grammaire incertaine de l’histoire de l’art, autant reprendre à rebours toute la syntaxe, mettre du crayon là où on attendait de la peinture, tracer des perspectives du Quattrocento sur des espaces flottants,  faire que la couleur teinte traverse la toile, que tout soit réversible, que tout se réduise aux constituants de l’art et à des signes aussi minimes soient-ils. Repartir à zéro…
Une ligne est un trait de couleur. Une matière possède sa propre liberté dans l’espace. Elle peut se donner frontalement ou être froissée, chiffonnée. Elle peut alors dire l’architecture, se muer en écriture à moins que celui qui observe l’œuvre lui donne sa liberté selon la culture dont il dispose ou selon ses désirs. Certains verront ici un drapé religieux, les rayures d’un pyjama d’holocauste… Autant de signes allusifs qui ponctuent l’histoire dans un tourbillon de contraires.
 Car l’œuvre de Pedinielli  repose sur la réversibilité qui, formellement , devient la figure du paradoxe. 

Ce jeu de rébus est aussi une mise au rebut de tous les canons de l’art: le sens, il appartiendra à chacun de le choisir face à la position de l’artiste-démiurge.. Celui qui regarde l’œuvre pourra intervenir sur sa forme. De même cette œuvre s’inscrira  dans l’incertitude de son caractère unique ou sa multiplicité…

Autant dire que Gilbert Pedinielli, au-delà de son dispositif malicieux, nous apprend à voir. A nous montrer ce qu’est une toile, ce qu’est un dessin, une ligne, un signe, un espace, une œuvre. Mais il nous signifie qu’il n’est pas le seul dépositaire de son contenu. Que l’œuvre est aussi comme une parenthèse - cette trouée dans la syntaxe- dans laquelle il nous appartient d’instiller du sens. Une œuvre ouverte.



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