Espace à vendre, NICE
Le monde de Lionel
Sabbaté n'est pas celui du présent. Pas plus qu'il ne serait en
prise avec le réel pour peu que celui-ci d'ailleurs puisse être
désigné par l'art.
Donc Lionel Sabatté ne transige
pas: il s'inscrit dans cet au-delà de l’espace et du temps
où, passé et futur se dissolvent quand la représentation de la
gestation est aussi l'image de la finitude. Ce qu'il désigne alors
est intemporel, hors de l'espace de la pensée mais figé dans la
seule durée de l'acte créatif.
Un temps autonome donc
, en rupture avec toute chronologie quand, ce qui est représenté
ou, plus exactement, suggéré - figure humaine, oiseau, alligator –
prend sa source dans les matériaux convoqués : des moutons de
poussière, cheveux, béton... Autant d'indices pour désigner un
monde organique, fragile, trivial, loin de toute narrativité,
englué dans le socle de son mystère, là ou l'infime se confond à
l'intime et la poésie à la saturation, voire à la disparition, du
sens.
Car il ne faut voir
ici que cette représentation de l'invisible. Que ces traces du
vivant dans la fragilité et « l'impureté » de la
matière, des débris, du rebut... De la sculpture ? Non de la
matière tout simplement, traitée avec une liberté extrême, que le
support soit peinture ou dessin. C'est bien cette matière qui
contiendrait, en son essence même, l'origine de toute figure.
Les sculptures sont
cependant étonnamment vivantes alors qu'elles semblent faire
allusion à un monde fossile ; elles sont tissées de ferraille
et de pièces de monnaie qui brillent comme des écailles, totems
hissés comme emblème du mystère. Alligators, serpents... Totems
incertains pour un monde vide, réduit à ce vertige inabouti. L'art est aussi ce rituel qui exhibe un monde
asséché, des figures qui semblent échouées sur ses rivages.
Les peintures, elles, de
grand format, se libèrent de tout jugement esthétique tant elles en
déjouent les codes par la seule force de leur présence :frontalité, fausse
fluidité, couleurs neutralisées par les glissements de
l'acrylique et de l'huile qui, simultanément, ouvrent l'espace et le
clôt. Car c'est bien à cette expérience très personnelle de la
peinture -et du dessin- que l'artiste nous convie. Et l'évocation, encore, de
ce bestiaire primitif, à peine surgi du chaos, nous renvoie à nos
propres récits, à nos contes, à notre mythologie personnelle, à
nos rêves ou à nos cauchemars, comme si l'artiste , désormais,
nous en confiait le témoin, pour nous laisser partir dans nos
propres aventures.
Et dans ces peintures,
presque abstraites, tout s'organise autour d'un œil qui apparaît ci
et là. L’œil de Caïn et du cauchemar dans la tombe, l’œil du
cyclope dans la caverne, comme à la source de nos mythologies.
L’œil aussi, centre de
gravité de cette peinture, qui se saisit de celui qui la regarde.
Dès lors, impossible de s'en échapper.
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