mercredi 22 décembre 2021

"La table, un art français" du XVIIe siècle à nos jours

 


HDE Var, Draguignan

Jusqu’au 6 mars 2022




Du Grand Siècle jusqu’aux épures du design ou aux créations déstructurées d’Arman, voici une série de variations autour de la «Table, un art français». Un voyage dans le temps avec toute une lignée d’artisans remarquables pour des objets de toute nature dont la vocation utilitaire se confond à une esthétique souvent luxueuse. Car cet art de la table, c’est surtout un art de vivre où se construisent les rituels d’une société française entre convivialité et ostentation.

Ce voyage chronologique se réalise d’un siècle à l’autre selon une scénographie où la table devient l’espace non seulement de linges, d’un mobilier ou d’une vaisselle mais aussi d’une représentation des relations sociales. Celles-ci se jouent entre les convives eux-mêmes d’une part, et de l’autre entre ceux-ci et le reste de la société. Maintes fois réécrite, la Cène demeure cette «scène» originelle du pouvoir ou de la trahison qui façonne la cohérence et l’histoire d’un groupe humain.

L’exposition n’est pas celle d’un musée de l’artisanat, elle est vivante, presque théâtrale. Les arts décoratifs révèlent alors des présences humaines fluctuant selon les âges au rythme des objets dont ils sont aussi la trace. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que la salle à manger apparaît dans la maison comme lieu collectif dévolu au repas. La table, par son organisation révèle alors toutes les strates d’une hiérarchie d’objets d’orfèvrerie, de flambeaux ou de luminaires pour des repas mondains ou des soupers fins. Sur trois siècles, les tables, parfois immenses, sont ici recomposées à l’identique, avec des porcelaines de Sèvre, des faïences et leur décor fastueux. En parallèle, des tableaux, des papiers peints ou des documents ressuscitent ces jeux mondains qui furent ceux des convives d’un repas sous le règne de Louis XIV ou bien ceux des passagers de première classe du Paquebot Normandie. Tout est là, le menu, l’apparat, les mets et la distribution des rôles.

La réussite d’une telle exposition tient à la vie qu’elle restitue aux choses du quotidien pour ceux qui purent jouir de cet «art de vivre à la française». Et les objets, par la richesse de leur exécution et leur variété nous parlent de ces hommes et femmes qui reviennent ici tels des fantômes pour dire un monde disparu dans le brouillard de nos fast food et d’une uniformisation sans âme.


lundi 20 décembre 2021

Yayoi GUNJI, "Mirror flower, Water moon"

 


Galerie Catherine Issert, St Paul de Vence

Jusqu’au 29 janvier 2022



D’emblée cette sensation troublante que cette peinture là, c’est elle qui nous regarde, qui nous absorbe dans la fluidité de ses formes et de ses couleurs. Et l’on comprend que ce n’est pas tant avec les yeux que cette peinture se construit mais plutôt par l’esprit et dans la souplesse du pinceau contrariée parfois par l’impact d’un point posé comme une tache ou par la sécheresse d’un trait: peut-être le souvenir de la calligraphie japonaise resurgit-il ici pour dévoiler les rudiments d’une écriture à l’origine de l’image.

Que nous raconte Yayoi Gunji sinon la trame d’un récit dont les éléments seraient encore disparates et dont l’essence même résiderait dans l’accomplissement de ce qui préside à ce morcellement? Les êtres, les fleurs, l’eau ou les arbres, tout est saisi dans une même fluidité pour une peinture qui reconstruit le monde sous le mode du silence et de la méditation. Le quotidien s’absorbe dans une rêverie vitreuse, les visages s’égarent dans un vertige de floraisons et d’objets solitaires tandis que des arbres labourent un ciel incertain. La peinture se dépose sur le papier ou la toile comme une buée sur laquelle la spontanéité du geste se confond à la lenteur de la décision qui le réalise.

Voici des paysages intérieurs avec des perspectives brouillées, des bouleversements d’échelles et toutes les incohérences qui disent le monde. L’artifice d’un bleu, d’un jaune ou d’un rouge. La fausse autorité d’une courbe ou d’une ligne. Ne reste que la couleur qui s’écoule ou se fige et alors le voile de brume qui enrobe la réalité se dissipe. La peinture saisit l’instant de cette éclaircie, ce soudain trait de lumière qui nous arrache de nos incertitudes et nous livre à la seule vérité du monde: sa beauté mise à nu et son mystère que seuls certains artistes savent exprimer dans le tremblement d’une révélation. Pénétrer dans l’univers de Yayoi Gunji c’est s’ouvrir les portes d’un paradis inquiet, par la grâce du trouble des sensations, dans les merveilles de la solitude humaine au milieu de ce foisonnement de l’univers. L’artiste parvient à rendre sensible la seule palpitation de l’image au moment de sa gestation. La peinture devient alors cet instant ou l’éphémère se marie à l’éternité.





samedi 11 décembre 2021

Fiona Rae, "Messagère aux diverses couleurs"

 La Malmaison, Cannes

Jusqu'au 24 avril 2022





Peindre la peinture. Au-delà du truisme, tel est l'enjeu de ces 37 œuvres que Fiona Rae présente à Cannes avec châssis et toiles dans l'alternance du noir et blanc ou l'effervescence de la couleur. Mais une peinture délivrée de l'image dont la présence n'affleure dans l’œuvre que par ses citations. L'artiste britannique, née à Hong Kong en 1963, fait partie de cette génération des « Young british artists » au côté par exemple de Damien Hirst. Elle reçoit le prix Turner en 1991 et devient académicienne de la Royal Academy et administratrice de la Tate Gallery.

De la peinture, elle ne retient que l'acte fondateur et son histoire. Délivrée de toute substance, l'objet du pop art se dissout alors dans la seule acidité de la couleur comme pour établir les frontières du bon goût et du kitsch. Les contours de l'image sont expurgés de toute narration pour libérer les relations du vide et de la figure sur l'espace arbitraire de la toile. La figuration se réduit alors aux seuls gestes méticuleux du jet de la brosse comme souvenir des débuts de Fiona Rae quand elle s'adonnait à l’expressionnisme abstrait. Rejetant désormais toute référence au corps, elle en relate ces seules traces formelles telles qu'on pouvait les voir chez De Kooning. Mais la spontanéité du geste est ici isolée par la précision radicale de sa représentation. De même retient-elle de l'abstraction la spiritualité des signes chez Kandinsky comme l'ébauche d'une écriture. Peintre de la citation, Fiona Rae parle en creux de l'accumulation d'images dans le monde contemporain. Mais seulement par l'indice des signes. Flèches, étoiles, plumes, tout évoque un envol ou un retrait pour traduire la seule présence de la pensée qui préside au tableau.

Par cet alphabet, la peinture diffuse les germes d'une écriture dans ses dernières œuvres à l'intérieur d'une  exposition qui retrace les mutations des travaux sur le gris, le noir et le blanc de 2014 jusqu'à l'outrance colorée, presque psychédélique, de sa production actuelle. Simple et lisible dans son apparence, les effets de séduction de cet art sont toutefois retenus par l'aspect énigmatique de ses références. Il y a là quelque chose qui tient de la féerie mais, quand elle cite Shakespeare, on pressent le versant glaçant d'un drame. La trame alterne ce qui brille et le cotonneux. Les paillettes se figent dans un vide sidéral comme le vestige d'un jeu vidéo réduit à l'inutilité de la fulgurance des gestes et des couleurs.

Le style de Fiona Rae ne s'apparente qu'à lui-même. Frivole ou intellectuel, d'une perfection telle qu'elle déporte la tension de la beauté jusqu'à la grimace, ce style met la peinture à nu. Il en demeure ce conte mystérieux qui raconte notre présent avec son vide parmi les symptômes  de l'histoire ou de nos illusions.





jeudi 2 décembre 2021

"Bruts et singuliers", L'art contemporain différent

 


Galerie Laurent & Laurent, Nice

Jusqu'au 15 janvier 2022

                                                  Frédéric Fenoll


Le singulier pluriel


Des multiples définitions de l'art, on n'en retiendra aucune. D'autant plus que les adjectifs qui s'y rattachent accentuent leurs contradictions pour un champ toujours plus vaste quand, de l'objet ou de l'attitude jusqu'à l’œuvre, ou bien du simple «regardeur» jusqu'à l'artiste, tout se fond dans l'énigme d'un seul mot: L'art. Moderne, singulier, brut, naïf...? Y a t-il un art contemporain différent comme le suggère le titre de l'exposition ou bien cet art contemporain se définirait-il justement par cette différence et son refus de toute définition préétablie? La mise en cause de la durabilité de l’œuvre, de son aura, de sa matérialité ou de sa valeur esthétique sont autant de critères pour «un état gazeux» pour reprendre l'expression d'Yves Michaud. Au contraire, les œuvres de l'art brut et singulier s'inscrivent dans une tradition moderne du sujet en marge de l'art officiel.

Si l'art contemporain se fonde sur la différence – à tel point qu'il peut paradoxalement se dissoudre dans l'impression du déjà vu – l'art singulier relève d'un même pléonasme par sa relation à l'art moderne où la singularité des formes est érigée en valeur suprême. Pourtant cet art «singulier», à la frontière de l'art brut, par son rejet des écoles, des académies et des discours institutionnels, accentue la position centrale du sujet à tel point que le corps et sa ritualisation, l'inconscient, la pulsion échappent aux failles de l'Histoire et se livrent à nu par l’intermédiaire de l'image. L'art singulier s’inscrit dans une thérapie par le biais de la figuration et de l'iconographie.

Dix artistes vagabondent autour de ce corps si peu singulier qu'il apparaît démembré, pris dans les rets de la nature, du rêve ou du cauchemar. Le corps est ici une excroissance du monde, un résidu du cosmos, une souffrance de la mise en question. Expression d'un cri ou d'un silence, il répugne à toute rationalité pour défricher les territoires de l'occultisme, du chamanisme et toutes les ondes qui le relient à l'univers. Contre l'art contemporain, l'art singulier méprise le poids de l'histoire mais plus encore, la légèreté de l'éphémère du temps présent et l'inconsistance de l'action. L'art singulier appose la marque indélébile d'une identité de l'artiste, comme une cicatrice, par l'originalité d'un style, le refus d'un discours communautaire et de son ancrage dans l'histoire de l'art.

De l'écriture automatique au surréalisme, de l'apport des arts primitifs ou de ses relations avec l'occultisme, les influences ne manquent pourtant pas pour cet art qui se veut marginal. Catherine Ursin parle de la violence de l'âme dans des visions traversées par le spiritualisme tandis que Frédéric Fenoll explore toujours des voies nouvelles. Autrefois peintre, hier dessinateur, il explore désormais cet entre-deux quand il se soustrait à ce tissage des fils de l'univers pour revenir à l'empreinte de ce corps qui l'organise. Des flaques de lumière boueuses en cernent les contours. Le corps est cette dérive visionnaire. Ailleurs les assemblages de bois flotté de Marc Bourlier évoquent des esprits surgis de la matière. Voyage dans l'espace et le temps, l'exposition se concentre sur des individualités qui revendiquent leur liberté de vivre l'art dans le seul défi de l'aventure. 

Avec: Mina Mond, Richard Di Rosa, Gene Mann, François Jauvion, Evelyne Postic, Marc Bourlier, Catherine Ursin, Serge Demin, Lou Le Cabellec, Frédéric Fenoll



dimanche 28 novembre 2021

"Tremblements", Acquisitions récentes.

 


NMNM/Villa Paloma, Monaco

Jusqu'au 15 mai 2022

                                           Tapisserie de Laure Prouvost


Le monde contemporain s'est émancipé de la tutelle d'un récit dominant pour se confier à de multiples micro histoires, parallèles ou contradictoires, comme autant de flux et d'images qui révèlent la tension du sujet face au collectif. Une sismographie des mouvements en jeu entre le conservatisme et l'exploration de nouveaux modes de vie ou d'utopies sociales se construit à l'intérieur des œuvres. Parce que l'art contemporain se définit par la multiplicité des approches formelles pour les révéler, mais aussi parce qu'il prend appui sur les mutations de nos société en liaison avec les sciences humaines et les nouvelles technologies, les œuvres présentées se revendiquent d'une «poétique de la relation».

Ce nouveau regard qui préside au choix des œuvres répond au concept de «mondialité» et au vœu de créolisation pour préserver la diversité tel que le prônait Édouard Glissant : «La pensée qui s'organise en système(...)est une pensée contre laquelle nous pouvons élever cette pensée du tremblement». Ce mot, fil conducteur de l'exposition, traduit le mouvement instinctif antérieur à toute réalisation. Refusant toute pensée figée, le tremblement est aussi le geste de l'imaginaire et des transformations qu'il implique. Les dix-sept artistes présentés à la Villa Paloma, par leur diversité culturelle, sont en prise directe avec les mutations qui écrivent le monde.

Acquises dans les dix dernières années, les œuvres revendiquent un engagement qui fracture les idées reçues et tout effet de hiérarchie. Elles manifestent le rôle prépondérant de l'image dans la création de nouveaux récits. Parce que la vidéo est cet ensemble d'images et de voix saisies dans le rythme du mouvement, elle apparaît dans nombre des œuvres exposées. Sylvie Blocher dans sa série des «Speeches» met en scène le discours politique comme transformation du réel tandis que Yinka Shonibare interprète les figures d'un «Lac des cygnes» créolisé. Au delà de leur aspect revendicatif, les œuvres mettent en cause notre manière de percevoir le monde, de saisir le poids des différences et les points de rupture qu'elles suscitent. Ici l'art est un langage. Il exprime une réalité blessée mais définit aussi les contours d'une utopie. Il est saisi à vif comme au cœur de l'actualité, il nous parle et nous interpelle. L'art contemporain se définit alors dans notre relation au monde.

jeudi 25 novembre 2021

Rita Ackermann, "Mama'21"

 


Hauser & Wirth, Monaco

Jusqu’au 23 décembre 2021




Le récit effacé.


Dans cette série des « Mama » amorcée en 2019, l’artiste hongro-américaine développe un hommage à sa mère avec une peinture traversée par les réminiscences de l’expressionnisme abstrait et de la culture urbaine. De grand format, les 9 toiles présentées diffusent des effets d’apparition et de disparition qui impliquent des processus de superposition des regards. Dans l’épaisseur d’une matière abstraite, la figure émerge à travers la ligne du dessin. L’espace de la toile devient ce point d’incandescence où se joue la gestation d’un monde. De l’ébauche d’un récit jusqu’au geste de son effacement, Rita Ackermann fouille le ventre de la peinture et explore le feu qui la travaille.

La toile est cette matrice réduite à des viscères et des jets colorés à l’aube d’une lumière aveuglante ou d’une nuit lumineuse comme pour l’instant de la révélation d’ un récit primitif. En filigrane aux empâtements qui structurent le tableau, des fragments de mémoire tissent leurs fils dans un enchevêtrement de matières et de transparence. Le contour d’un corps se confond à un graffiti, la violence du geste inaugure la trame d’un mot et une histoire énigmatique émerge à l’instant même où elle se dissout dans les multiples strates de l’huile et du dessin.

Rita Ackermann exhume les traces, les cris et les silences et dessine les nerfs qui tendent l’origine de la peinture. Elle décrit les pulsations des corps et le sang qui les irrigue. Mais aussi la trouée du ciel où ils se logent, là où un récit impose, par le jeu d’une encre fine ou d’une incision dans la matière, des indices de narration aussitôt absorbés par la violence d’un orage chromatique. Voici une peinture qui se déchiffre lentement, qui hurle et murmure tout à la fois, et qui nous accompagne pour nous dévoiler les contours des mystères de la création.


mardi 23 novembre 2021

ORLAN, "Les femmes qui pleurent sont en colère"

 


Galerie Eva Vautier, Nice

Jusqu’au 15 janvier 2022




Les raisons de la colère



Corps à corps entre l’œuvre et celle de l’artiste qui la produit, les dernières photographies d’ORLAN se confrontent aussi à la peinture de Picasso et au visage de Dora Maar. Ce face à face violent se matérialise dans un cri. «Ceci est mon corps!», pourrait lancer ORLAN comme pour un blasphème face à l’ogre et à ce dévoreur de femmes que fut Picasso. L’artiste déchire ainsi des figures déjà décomposées pour y introduire des marques de son propre visage et sur la douleur des pleurs, elle appose le sceau de la colère. Celle-ci s'explose sans fard: outrance des organes et de la couleur criarde, décomposition des supports de l’art quand, à la réalité d’un corps, se superposent photographie et peinture.

Toutes les techniques se confondent alors et sur la surface lisse et froide de la photographie, ORLAN recompose le souvenir du corps comme une plaie à vif. Corps blessé, mutilé, fractionné dont le visage serait une excroissance nourrie de la sève du sanglot. En parallèle à l’exposition, le festival vidéo OVNi présente «La liberté en écorchée», une danse nocturne de corps dépecés, mis à nu dans leur nudité même.

La violence s’inscrit au creux du tissu humain mais ici, par effet de miroir, le visage de la colère s’incarne dans les grands formats photographiques hybridées d’ORLAN. Les lèvres sont des chairs gonflées, les globes oculaires se hérissent face aux larmes et le visage réduit à cette accumulation de signes reflète celui de celle qui s’empare de cette violence comme une arme pour défendre la femme. Oreilles, cheveux, dents, le corps féminin se réduit à un assemblage où se joueraient les seuls codes de la séduction et de la répulsion. Réduite à son corps, l’artiste femme l’utilise comme la chair même de son art. ORLAN incarne, au sens fort, un féminisme politique. L’étymologie recèle souvent le sens caché d’un mot: Si «monstre» et «montrer» relèvent d’une même origine, il y avait l’idée d’un avertissement des dieux et d’un prodige. Les «monstres» d’ORLAN désignent l’apparition de ces corps en lutte, hérissés dans la seule beauté de la colère. «Je suis ce corps, nous dit ORLAN, je suis le corps de la femme.»



samedi 20 novembre 2021

Isa Melsheimer, "Compost"

 Galerie Contemporaine MAMAC, Nice

Jusqu'au 12 février 2022 



Quand les animaux se construisent leurs nids ou leurs tanières, l'espèce humaine se pense une architecture. C'est par celle-ci, dans son contexte «moderniste» du début du XXe siècle que l'artiste berlinoise Isa Melsheimer, par une œuvre hybride, élabore les métamorphoses de l'espace et du temps. A travers l'image fixe d'un stéréotype, celui de la Côte d Azur saisie dans le regard du touriste, l'artiste décline les mutations par lesquelles le réel se heurte aux clichés qui le définissent. Le monde n'est que transformation et sa représentation engage la relation de l'homme et de la nature Mais surtout celle-ci nous modifie jusqu'à relier les traces de la présence de ses origines larvaires avec l'univers onirique des «Aliens» et de la science- fiction.

Par un rêve éveillé ou une méditation sur les cycles de la vie, Isa Melsheimer se saisit de toutes les techniques pour construire le récit d'un monde parallèle issu de l'écosystème, de l'imaginaire et du langage de l'art. Des gouaches illustrent alors des rideaux dont la fluidité se heurtent aux murs. Des architectures novatrices, celles de Anti Lovag ou de Guy Rottier, se transforment en constructions de céramique avec des excroissances végétales, des formes de chrysalide ou des rappels de stéréotypes – salade niçoise et autres symboles de la Riviera. La broderie intervient dans la précision d'un temps long pour réparer ce qui est déchiré.

L'art est aussi un environnement inclus dans la circulation du vivant. Isa Melsheimer créée des caissons à l'image des caisses de Ward qui servaient à ramener en Europe des plantes exotiques. Dans un système clos de verre, de lumière, d'humidité et de terre, une nature artificielle se génère et poursuit son aventure autonome. Celle-ci se développe ailleurs, quand les renards par exemple s'emparent peu à peu des villes. Tour à tour prédateurs ou menacés, les hommes aussi, comme chaque espèce animale sont saisis dans les vastes mouvements de la Terre. D'ailleurs, dans ce «Compost», régénérescence et pourriture vont de pair. Tout n'est que circulation. Des paysages se composent et des ruines renaissent. Ce qui était abandonné reprend vie. Alors qu'en est-il de l'humanité? Dans cette exposition, elle n'apparaît qu'en termes d'ombres derrière un voile de gouache ou dans la trace de l'architecture. Mais qui fait partie encore du décor, l'être humain ou bien les majestueux palmiers menacés par les charançons rouges? Et ce décor, à l'image des paysages ou des édifices que les hommes construisent, est aussi ce stéréotype d'un art qui serait séparé de la vie.



jeudi 11 novembre 2021

Noël Dolla, "Visite d'atelier/Sniper, 2018-1021

 


Musée Matisse, Nice

Jusqu'en mars 2022



Ce n'est pas faire injure à Noël Dolla que de percevoir son œuvre à travers le prisme de l'histoire de la peinture et plus précisément, pour ces derniers travaux, dans le souvenir des immenses toiles de Barbett Newman. Il y a bien sûr le rappel de ce « zip », de cette ligne qui ouvrait l'espace et dont l'importance, pour l'artiste américain, se substituait aux champs colorés qu'elle définissait. Pour l'un comme pour l'autre, il s’agissait d'un engagement social, d'une volonté de créer un espace à taille humaine pour y insérer celui qui regarde, pour contrer le regard académique et imposer l'abstraction afin d'inscrire le geste d'une pensée. Le noir et le blanc des « Stations of the Cross » en 1952 marqua l'aboutissement d'un travail sur les effets optiques, le refus du pinceau et la relation du corps à un environnement pictural. Mais ces toiles concentrèrent sans pathos l'idée d'une histoire de la douleur et, de façon plus aiguë encore, Noël Dolla inscrit, à travers cette série, la peinture dans la chair d'une histoire meurtrie par les horreurs de la guerre et de ses causes.

Quand le zip-éclair de Newman libérait l'espace, la ligne définie par Dolla imposerait davantage le signifiant d'une déchirure. Elle s'étend, parfois sur plusieurs mètres, comme une ligne de barbelés dans un champ d'une blancheur livide. Ce déroulement de la toile c'est la page vide de l'Histoire, cette écriture qui ne s'inscrira nulle part aussi longtemps que la barbarie et l'injustice imposeront leur loi. Inutile donc de les représenter quand l'abstraction suffit à leur donner corps. Noël Dolla dépose alors les traces des tirs de ces snipers qui laissent sur leur sillage ces traînées de sang, ces éclats de feu et les taches sombres de la mort. La souffrance des corps n'apparaît pas ici, comme absorbée déjà dans le linceul de la toile. De même que cette peinture est en elle-même une expérience du corps quand Dolla, pour réaliser ces « Fleurs du Mal », a dû construire un dispositif d'une dizaine de mètres pour se déplacer horizontalement le long de la toile pour y souffler de la couleur mais aussi ramper, retrouver le temps du tir et de l'impact, enfin découvrir le résultat de « l'exécution ».

L'écho des pulsations s'inscrit alors sur l'écran de la peinture. Derniers râles ou plaintes chargées d'espoir, tout s'écrit ici dans l'espace vierge de la toile. Celle-ci se distribue dans la continuité des murs blancs et des cimaises du Musée Matisse. Espace tautologique du tableau qui est aussi une scène qui est aussi le lieu même dans lequel celui-ci se trouve. Et Matisse y est présent. Ses découpes de lumière. Ses espaces recomposés. Noël Dolla peint ainsi le Musée et l’œuvre du peintre dont il dira : « Ma première rencontre avec la peinture, en vrai, c'est Matisse. »

vendredi 5 novembre 2021

Robert Combas chante Sète et Georges Brassens

 


Musée Paul Valéry, Sète

Jusqu'au 31 décembre 2021


La mauvaise réputation


Si une ville souvent ressemble à ses habitants, Sète, par sa géographie, figure le grand large de la Méditerranée et l'enracinement sur une terre âpre s'élevant jusqu'aux flancs du Mont Saint- Clair. Ville populaire, elle est avant tout ce port, ce lieu d'où l'on part et où l'on revient, lieu de contradiction dans l'éclat violent du ciel et de la mer, par sa masse austère et terreuse, au rythme des ruptures entre l'ombre et la lumière. Sète est bien la ville des poètes, Paul Valéry et Georges Brassens, mais aussi celle des peintres, Hervé et Richard Di Rosa qui y naquirent, Robert Combas qui y passa son enfance et Pierre Soulages qui s'y installa il y a soixante ans. Sète, ville du peuple, c'est l'ancrage dans le quotidien, le labeur des artistes et des pêcheurs, l'inverse des artifices de Saint-Tropez. Le cimetière marin la domine et le Musée Paul Valéry qui le jouxte se livre aujourd'hui à l’exubérance colorée de Combas qui chante Brassens.

A l'oxymore d'une ville répond celui des artistes. Rebelles mais bienveillantes, libertaires, sombres ou joyeuses, les chansons de Brassens s'incarnent aujourd'hui dans les peintures de Robert Combas. Violence et douceur s'entremêlent dans une même sérénité naïve pour traduire les heures des humbles et la grandeur des rites qui sont les leurs. Autant de scènes que Combas restitue avec vigueur dans la déchirure de la tendresse. Peintre de la « Figuration libre » avec Boisrond et Blanchard, il réhabilite le vulgaire, le populaire et le cru pour dire que l'art est cette transgression de toutes les normes, à commencer par celles de la beauté. L’œuvre vibre de toutes les fibres du vivant, elle tisse ses cernes sombres et ses traits défaits pour faire jaillir le feu des couleurs crues pour dire le monde mis à nu, restitué dans sa vigueur primitive. Pour son centenaire, Brassens reprend alors vie sur un rythme rock n' roll avec des toiles que Combas peignit en 1992 et Sète, par des peintures plus récentes, se désarticule en images inédites pour clamer la vérité d'une ville. Quarante toiles pour chanter la liberté.