lundi 5 février 2018

Exposition Patrick Moya, Galerie Port Lympia, Nice





« J'ai toujours rêvé d'être universel, par la pratique de nombreuses techniques et styles, et par la multiplication de mes avatars », écrit Patrick Moya en exergue du catalogue de l'exposition. Cette large rétrospective nous permet donc de considérer son œuvre sur plusieurs décennies. Celle-ci témoigne en effet de cette vision obsédante d'une irrémédiable dualité entre le « moi «  et l'universel, l'homme réel et ses avatars, la réalité du monde et l'imaginaire. L'art serait alors le remède pour cette tragédie fondamentale, il serait ce ciment qui unifierait d' improbables contraires et l'artiste, par l'intermédiaire de ses œuvres, régnerait sur l'utopie d'un royaume dont le merveilleux renverrait le miroir de notre réalité contaminée dans sa sinistre trivialité.
Moya c'est tout à la fois un style et un concept. Ses œuvres se distinguent par la profusion des formes qui, de l'abstraction jusqu'à une figuration teintée de baroque, s'emparent de couleurs parfois poussées jusqu'à l'outrance. Mais le concept d'une œuvre tendue vers son paroxysme l’exige et l'artiste ne cesse de pousser l'histoire de l'art dans ses retranchements, ses limites, et qu'il en explore, jovial et candide, ses manques comme ses excès. Derrière les figures empruntées au monde de l'enfance, ce n'est jamais ici un paradis qui éclot. Mais plutôt les ombres des feux d'un enfer grimaçant, peuplé d'un Pinocchio au nez menteur. Car le mensonge n'est toujours que le langage de la duplicité qui se formule ici par cette récurrence de la figure du dédoublement et du double : Ce miroir si déformé de nous-mêmes, nous peinons à le distinguer mais il est bien le marqueur obsessionnel de cette ouvre.
L'intérêt de cette exposition provient aussi d' un cheminement historique qui entraîne le visiteur dans une chronologie autobiographique où ironie et amertume se côtoient. Le monde de Moya est complexe par son ambivalence et repose sur des contraires qui ne cessent de se heurter sous couvert de douceur. La joie porte toujours ici les stigmates colorés de l'inquiétude ; l'innocence est tout aussi suspecte dans ses atours sirupeux. Et l'artiste s'amuse à nous égarer dans la prolifération d'un labyrinthe peuplé de créatures trop lointaines pour être crédibles ou pour sembler aussi humaines que nous croyons l 'être quand nous ne savons que claudiquer entre les mots, les images et le réel.
Mais telle est la règle du jeu et l'artiste lui-même n'est-il pas la représentation d'une maladresse au monde et d'une grande solitude ? Moya égocentriste ? Ne serait-ce pas plutôt une forme d'illusion que l'artiste nous renvoie ? Une distance vertigineuse s'établit entre l'ego omniprésent dans ses peintures - cet ego revendiqué de façon étymologiquement « obscène » - et les figures qui en rendent compte. Il y a ce Pinocchio, une marionnette de bois, ces moutons en peluche et cet univers de fiction d'un « meilleur des mondes » dans le virtuel informatique de Double life... Ce monde en est la parodie.
Et ce Moyaland défie les règles de notre espace quotidien tout autant qu'il dérègle notre conception du temps. Tantôt l'artiste se projette dans des imitations ironiques de la peinture ancienne, tantôt il erre dans un univers de science fiction. Tout cela est foisonnant ; l'artiste s'empare de tous les procédés pour illustrer cette complexité et ce rapport peut-être impossible qu'il entretient avec le monde. Il y faut donc certes de la peinture , mais aussi de la sculpture, des objets, de l'installation, des images 3D , de la video... Il y a là quelque chose de gargantuesque dans cette frénésie, cette démence refoulée à vouloir tout absorber, d'être en soi-même un univers entier, l'alpha et l’oméga.
Mais Patrick Moya ne se dérobe jamais et explore les limbes de la transgression.Toujours aux portes du paradis et de l'enfer. L'exposition se parcourt alors sous le signe de l' exhibition et sous les auspices d’une auto-psychanalyse caricaturale. L'artiste joue avec humour de cette déambulation faussement pathologique qui se mesure aux clichés des représentations populaires des concepts de Freud et de Lacan. Il y ajoute cette touche de perversité qui interroge les notions de norme et de normalité. Aussi cette généalogie imagée qui structure l'exposition commence-t-elle par « Le nom du père » avant de se poursuivre dans « Le stade du miroir » et de s'achever dans « Le surmoi de Moya ». Et puisque le titre de l'exposition est « Le cas Moya », rassurons-nous, ce cas-là ne sera jamais résolu ! Les indices sont trop visibles ; l'artiste installe des leurres qui ne seront qu'en définitive que des chausse-trappes pour nous égarer et nous inciter à retrouver la route. L'apparente légèreté est le voile d'un mal plus profond.
L'artiste se représente ici en ange ou en diable. Ailleurs il se dissout dans un bestiaire ou dans un univers mythologique. Ubiquité parfaite : Mais l'artiste est-il encore de ce monde ? Ou bien à l'issue d'une Odyssée de l'art, n'aurait-il pas échoué sur cet univers qu'il s'est créé ? Cette question est peut-être au cœur des préoccupations de Patrick Moya : On se crée un monde, on y est seul, on veut alors le partager. Et peut-être l'art demeure-t-il le dernier continent où l'on se console de la vie et qu'on y sème les germes du bonheur.

Michel Gathier, La Strada N°287




Jusqu'au 11 mars 2018,  Galerie Port Lympia, Nice



Gérard Titus-Carmel, "Ramures & Retombe"

Musée de Vence, du 27 janvier au 27 mai 2018


Ceux qui se souviennent des premières œuvres de Titus-Carmel dans les belles années 70 savent combien elles étaient en décalage par rapport à avec l'optimisme qui prévalait alors. L'artiste dessinait à la perfection mais, déjà, avec des réserves de vide et d'insoupçonnables claudications de sens. Elles laissaient présager la décomposition en œuvre dans la représentation de coffrets inquiétants, de cordelettes, d'épissures et de nœuds relâchés. Sentiment de déréliction ou pressentiment d'une corruption de toute représentation avant que celle-ci même ne se formule. En évoluant vers la peinture, par des passages réguliers vers la gravure et la poésie, Titus-Carmel n'a jamais cessé de penser les incertitudes de l'abstraction et du réel, la relation de l'espace à la figure, le rapport du signe à l'écriture. Cette exposition, parce qu'elle se limite à des travaux récents - peintures, gravures, livres - nous permet de comprendre combien l’œuvre s'intègre dans une série. Et comment celle-ci s'articule à ses préparatifs dont elle n' est qu'une ramification. Le peintre excelle dans cette illustration d'une pensée en acte, avec cette capacité de relier synthèse et fragmentation, contrôle et aléatoire, tension et liberté.
Cette peinture à la composition dense et légère, dans sa couleur sombre ou glorieuse, parvient à parler entre les lignes. Elle énonce cette quête de ce que Titus-Carmel appelait un « lointain intérieur ». Cette obsession d'une écriture qui ne pourrait, qu'en partie, s'exprimer hors d'elle-même et qui, sous les auspices de l'art , se retrouve libérée dans la composition de toiles ou de dessins. Le cadrage obéit à de savants jeux de mise en page, à des déboîtements qui accusent l'expressivité d'un signe comme pour le réduire au silence. Ou bien le geste se dissout dans une forme géométrique. Toujours cet acharnement de l'artiste à briser les cadres, à traquer du sens là où seul le poète peut prétendre à le faire éclore.
A l'origine, des feuillages, des branches, des traits. Les stries et hachures du dessin. Le spectre de la peinture avant que la couleur ne s'y dépose. L'origine suggère une suite, musicale et logique. Rythme, raclure de teintes, déviations, étranglements, souffle vainqueur, et dans ce vieux treillage d'une forme, d'une beauté, voire d'une mythologie, l'horizon d'une pureté : Couleur, lignes, sens. Essoufflements, salissures, le corps ne s'y risque pas. Ou seulement à la marge, comme réserve de sens ou d'un repentir quand l'artiste, toujours, laboure ce territoire de l'art qui est celui d'une terre inconquise. Titus-Carmel est sans doute l'un des derniers grands peintres français dans un pays qui fut le premier à donner sens à la peinture et qui, aujourd'hui, est le dernier à y croire. Raison de plus pour se précipiter sur cette imbrication de rythmes, de couleurs et de rectitude qui nous font espérer du monde.
Ne pas oublier pourtant Matisse. Puisque le Musée consacre désormais un espace dédié aux portraits, aux papiers collés et à de somptueuses études pour la chapelle de Vence. Est-ce un hasard ? Les arabesques végétales, les courbes et les angles de l'un répondent, très longtemps après, aux attentes poétiques de l'autre qui, ici, lui donnent corps. Beauté intemporelle.

Michel Gathier, La Strada, N°287









dimanche 28 janvier 2018

Emma Picard, "Des fleurs de tout poil"



 Quand même ne se formule t-il pas encore, il est rare qu'une œuvre plastique ne procède pas d'un récit. Et de l’apparence que celui-ci se donne, ou de la trame qui laisse pressentir le nerf qui l'ordonne, un récit est somme toute ce fil rouge que l'on suit et qui souvent s’imprègne d'un drame. Ce nerf qui irradie l'histoire, l'artiste peut le saisir à sa source, dans son balbutiement, sa quasi transparence. Et peut-être prend-il alors l'amplitude d'un espace, d'une nervure comme ici quand il s'accorde à l'origine d'une feuille, desséchée, travaillée, évidée jusqu'à l'os de son bois. Mais cette feuille-là, cette simple chute, elle nous dira pourtant qu'elle est l'écho des plus grands drames que l'homme pouvait connaître.
Emma Picard nous raconte comment les poilus de la première guerre mondiale évidaient des feuilles pour y insérer des messages intimes. Elle renouvelle maintenant ce geste en tissant des jeux de feuillages qui se défient du vide, de leur squelette et de leur ombre. L'artiste se tient humblement en réserve et laisse à la nature et au temps le soin de poursuivre ce qu’elle a librement conçu. Aussi l’œuvre se déploie-t-elle dans toute sa légèreté ; elle accède à une liberté qui ne dépend de personne si ce n'est, par exemple, du travail des abeilles qui déposent leur cire dans des claies où les feuilles se crispent peu à peu, étalent leur réseau de rides patiemment recouvertes par les lettres fantomatiques d'un nom qui agissent comme un rappel, un cri silencieux. La force de cette œuvre réside dans ce retrait de l'artiste, dans cette nature réduite au langage minimal d'un signe qui pourtant fait résonner en nous cette mémoire que nous ne savons pas toujours  regarder ou entendre. L'artiste peut réaliser des robes de feuillages, des empreintes serrées, des treillages lumineux ; tout est légèreté et pourtant...
Au-delà de cette ode à la nature qui s'exprime par le jeu de simples colorants et de processus naturels, c'est surtout le triste miroir de l'humain que l'artiste représente en creux. Son absence d'humanité. Ou plutôt, dans cette dentelle végétale cousue par des femmes syriennes, faut-il aussi imaginer les accrocs, expérimenter les griffures, recevoir les échardes. Cette peau diaphane et si belle qu'Emma Picard nous laisse entrevoir, c'est pourtant la cartographie d'une blessure. Toujours et encore le sang des poètes.

Hôtel Windsor, Nice


jeudi 25 janvier 2018

Ben Petterson, Mauro Ghiglione, Galerie Eva Vautier, Nice

Photos, Fr Fernandez.

« Remember », Mauro Ghiglione


On n' aborde le travail de Mauro Ghiglione qu'au terme d'un certain nombre de détours. Ou, pour le dire autrement, de contournements et de détournements de l'image. Celle-ci, dans un souci revendicatif affirmé, est le noyau dur de son œuvre. Elle fait écho à une longue tradition philosophique et artistique marquée d'une suspicion pour l'image dont l'un des symptômes majeurs apparut dans le livre de Guy Debord, « La société du spectacle. » Celui-ci s'ouvrait sur une citation de Feuerbach : « Et sans doute notre temps... préfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à la réalité, l’apparence à l'être. » Un peu plus loin, Debord lui répondait : «  Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l'unité de cette vie ne peut plus être rétablie. La réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation . La spécialisation des images du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l'image atomisée où le mensonger s'est menti à lu-même. Le spectacle en général comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant.»
Nous y sommes. L'image demeure le paradoxe fondamental. Elle témoigne d'un leurre en même temps qu'elle dévoile l'invisible du réel. Ou bien n'est-elle qu'un fragment assujetti au mensonge du spectacle quand celui-ci dévore la vie. Enfin retrouvons-nous ici ces prémisses qui donnèrent lieu et forme à l'art contemporain : Dada, le surréalisme, Duchamp, le ready-made, Fluxus... L'expression d'un art total, délivré de sa fixation à l'image, ne risquait-elle-pas en définitive de conforter le pouvoir mortifère du spectacle ? N'y avait-il pas quelque part l'écueil d'un obscurantisme iconoclaste ? Pourtant seul l'art pouvait légitimement s'emparer de l'image, l'explorer dans ses tripes, la dé-figurer, la déconstruire pour la recomposer sur un autre paradigme. C'est sur cet axe que travaille Mauro Ghiglione. Sur cette urgence aussi car l'omniprésence de l'image dans le monde d'aujourd'hui produit une saturation de l'imaginaire et, à terme, concourt à sa disparition.

« No more Pink ?», Ben Petterson


Lors d'une interview, Ben Patterson déclarait : « Je dis que les artistes sont comme de vieux cow-boys ; ils meurent en restant dans leurs bottes ». De toute sa vie il ne cessa de jouer sur les franges de l'ironie. Disparu en 2016, il se consacra essentiellement à la scène musicale jusqu'à sa participation en 1962 au premier festival Fluxus à Wiesbaden. L'artiste se lance alors dans des assemblages périlleux et spirituels ; il explore la charge invisible des images et l'étalage du mauvais goût. Sa première exposition s'intitulait « An ordinary life » : Tout un programme dont il ne s'extraira jamais. Une œuvre lucide et jubilatoire : Faut-il voir la vie en rose ?







jeudi 21 décembre 2017

Le cas Moya


             Galerie Lympia, Nice


MOYA en quatre lettres qui architecturent une œuvre. Parce que, matériellement, les peintures et les sculptures se structurent ici à partir de ces lettres et que l'artiste revendique fièrement les jeux de l'ego et de la duplication. A partir de son propre nom, Patrick Moya construit un univers personnel qui vise à l'universel et, une telle ambition le conduit à jouer de tous les registres et à rejeter les frontières admises entre naïveté, sérieux, humour, ironie... Tout se mêle joyeusement dans le désordre des formes et des couleurs mais aussi tout se dissout dans ces constructions baroques saisies par le vertige de créer un monde artificiel, d'en être le Créateur et de jouer avec ses créatures mielleuses et dérisoires.
Cela semble léger car issu du monde de l'enfance avec ses héros et ses mythologies mais pourtant ce paradis est fragile. Peut-être est-il contaminé par les clones et l'inflation médiatique qui le menacent. Et ce n'est pas le moindre intérêt de cette œuvre qui simule la candeur et la naïveté pour mieux dire l'extrême complexité de notre monde.
Aussi l'art de Moya consiste-t-il à parodier son propre univers en se projetant constamment dans des jeux de constructions en abyme, des jeux de miroirs où les mêmes figures résonnent sans cesse dans de nouvelles anecdotes sans autre trame que celles des signes qui les organisent. Ici aucune narration mais une mise en scène signifiante à partir de personnages issus de la culture populaire, des contes, de la bande dessinée , de la télévision et des nouvelles technologies. L'art est un double de la vie comme le sont les univers virtuels. Tout n'est plus que spectacle et alors tout devient possible dans la réalité de cette fiction de « Double life ». Les Dieux et les Hommes disparaissent happés par ces marionnettes qu'ils auraient construites.
Délire démiurgique ou méditation inquiète sur notre monde ? Sans doute la question taraude- t-elle l'artiste à un tel point que celui-ci ne cesse de se livrer à une sorte de psychanalyse en interrogeant le nom du père, les figures de l'enfance, la mièvrerie des décors du rêve, les nœuds du fantasme et du réel.
Au moins Moya ne triche-t-il jamais. Il joue avec insolence de la facilité mais excelle aussi dans des compositions numériques extrêmement complexes. Il assume l'exagération, le narcissisme et cette phrase célèbre de Mcluhan : « Le message, c'est le médium ». Et surtout il nous renvoie au miroir vertigineux de ce que nous sommes aujourd'hui. A chacun d'y insérer ses propres images ou ses significations mais tout se diffusera sous les auspices de la cruauté enfantine, du merveilleux corrompu par le kitsch et la redondance des images. Derrière l'opacité de cet univers factice, l'artiste dévoile peut-être la réalité d'un monde que nous ne savons pas ou que nous ne voulons pas voir.

Exposition du 19 décembre 2017 au 11 mars 2018



dimanche 17 décembre 2017

Fondation Maeght, "Est-ce ainsi que les hommes vivent?"

                                             Gérard Fromanger, Le Diprit de Gaumont

Voici que des images surgissent à partir du poème d'Aragon et de cette seule question : « Est-ce ainsi que les hommes vivent... ? ».  Et ces images parlent superbement pour offrir cette seule réponse possible à cette interrogation  existentielle quand seuls l’art et la poésie nous donnent cette certitude qu'ils se confondent à la vie, qu'ils en sont l'expression la plus intense.

Et les premiers mots du poème sont ceux-ci  : « Tout est affaire de décor Changer de lit changer de corps »
 La Fondation Maeght devient, le temps d'une exposition, ce décor dans lequel se déclinent toutes les facettes de l'humanité. Histoires de corps et d'amour. Mais aussi récits mystérieux où parfois l'horreur se peuple de fantômes. Forte de sa riche collection d’œuvres du XXe siècle et de l'époque contemporaine, la Fondation explore les douceurs et les aspérités de la condition humaine ; elle écrit cette histoire selon plusieurs chapitres : la force des regards, les situations du corps, les gestes du travail et de la fête, les théâtres amoureux, le silence et la solitude...

Mais il ne s'agit pas  tant ici d’illustrer à partir de dessins, de peintures ou de sculptures car la centaine d’œuvres exposées ambitionnent d'être une véritable écriture pour tout ce moment chaotique de l'humanité. Une toile de Chagall est l'empreinte d'un instant de rêve et de bonheur comme celles de Velickovic et de Rebeyrolle portent les stigmates de la souffrance et du réel. Dans ces cheminements contradictoires s'élabore toute une gamme d'émotions, de tensions comme autant de propositions pour lire ce monde dont nous sommes les acteurs. On déambule d'une salle à l'autre pour une nouvelle lecture et l'on s'émerveille d'une telle richesse créative. Et l'on comprend qu'au-delà des vicissitudes et des désespoirs qui ça et là apparaissent, cette énergie de création se matérialise dans une croyance absolue en l'homme. Telle est la réponse optimiste et lumineuse que cette exposition apporte à cet « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? ».
L'art apparaît ici comme le vrai miracle de la vie.


Seront présents tout au long de ce chemin comme autant de rencontres : Pierre ALECHINSKY, Pat ANDREA, ARMAN, Eduardo ARROYO, Francis BACON (atelier), Georges BRAQUE, Alexander CALDER, Louis CANE, Marc CHAGALL, Eduardo CHILLIDA, Jean CORTOT, Tibor CSERNUS, Marco DEL RE, Erik DIETMAN, Pierre DMITRIENKO, Eugène DODEIGNE, Jean DUBUFFET, Alekos FASSIANOS, Jean-Michel FOLON, FRANTA, Gérard FROMANGER, Wolfgang GÄFGEN, Claude GARACHE, Gérard GASIOROWSKI, Alberto GIACOMETTI, Julio GONZÁLEZ, Juan GRIS, Fabrice HYBER, Vassily KANDINSKY, Joël KERMARREC, Peter KLASEN, Wifredo LAM, Louis LE BROCQUY, Jean LE GAC, Fernand LÉGER, Luigi MAINOLFI, Juan MARTINEZ, Henri MATISSE, Joan MIRÓ, Jacques MONORY, Jean-Luc et Titi PARANT, Ernest PIGNON-ERNEST, Louis PONS, Paul REBEYROLLE, Germaine RICHIER, Saül STEINBERG, Sam SZAFRAN, Pierre TAL-COAT, Djamel TATAH, Anne TRÉAL-BRESSON, Raoul UBAC, Vladimir VELIČKOVIC, Henk VISCH.


Du 16 décembre 2016 au 11  mars 2018


               Fassianos, Mille et une nuits, 1971

                      Erik Dietman, Bossuet enfant, 2000-2001

                 Anne Tréal-Bresson devant ses dessins

lundi 11 décembre 2017

Dominique Ghesquière

Galerie des Ponchettes, Nice




    A trop vouloir traquer l'invisible, on finit quelquefois par débusquer le néant. Surtout quand on prétend capturer cet invisible à travers les objets du quotidien sans percevoir combien cet échantillonnage là procède d'une mythologie dans la définition précise de Barthes lorsqu'il en révélait le visage boursouflé  des Bouvard et Pécuchet dès lors qu' ils s'en emparent. 
« Traquer l'invisible » puisque la chose désignée ne serait donc que l'enveloppe trompeuse de ce qu'elle renferme. C'est à dire qu'en elle résiderait la magie d'un paradis écologique ou politique perdu, un jardin d’Éden hanté de récits primordiaux avec leurs gnomes et autres personnages de contes. Ou quand les racines rêvées se travestissent en utopie... Cette approche essentialiste fleure bon la nostalgie mais celle-ci exhale pourtant des remugles peu flatteurs. Reste pourtant l'incertitude légèrement inquiétante d'un monde à la présence trop suspecte et tout ceci serait censé être empreint d'une belle poésie si les chemins empruntés par l'artiste n'avaient été tellement labourés qu'ils en seraient devenus stériles. La lourdeur poétique se charge d'une impardonnable tristesse quand on évoque des vagues, des herbes rares, des pierres roulées, des rideaux d'arbre -puisque telles sont les titres des œuvres- par des formes et des concepts qui, loin de s'ouvrir à du sens ou à de nouvelles perspectives, les enferment dans la grisaille du déjà vu et de la facilité On les a tellement arpentés ces chemins là, sans surprise, toujours parsemés des mêmes petits cailloux de peur que nous nous y égarions. Et on les parcourt de nouveau avec ennui, sans autre promesse que ce manque d'horizon et la lassitude de lire encore ce même récit qui, d'une page à l'autre, résonne d'un même vide.
S'il faut rêver, alors livrons ces galets à la mer, écoutons cette onde grondante  quand l'horizon les ratisse sauvagement jusqu'à la grève. Quand au « rideau d'arbre », selon le texte qui l'accompagne, il « évoque l'étrange mue d'un arbre qui aurait pris son autonomie ». Bigre... Alors déchirons-le et, à l'instar de ce pauvre oiseau naturalisé censé célébrer l'envol, retrouvons la vie, la vraie vie, envolons-nous !



jeudi 7 décembre 2017

Shangying Liu, Donation à la Fondation Maeght



                             Peindre un paysage n’est pas peindre la nature. Alors que l’un suppose un cadrage, une forme fixe et une volonté de représentation, la nature, elle,  ne s’appréhende que dans sa totalité ; elle inclut l’homme qui l’habite mais dont aussi il est issu. Comment le peintre peut-il donc rendre compte de  cette nature sans altérer son mouvement, tout en exprimant  pleinement ses caprices, sa violence qui, pourtant,  se conjuguent parfois à la plus parfaite sérénité?
                           Traditionnellement la peinture chinoise est largement imprégnée de cette nature dont le Maître traduit l’équilibre par la sûreté du geste et l’intensité du souffle. Elle annule les effets de représentation ou d’abstraction par son contenu poétique quand le peintre se doit avant tout d'exprimer des sensations.
                           Shangying Liu n’ignore rien de cette tradition même s’il élargit les notions de nature et de paysage, dans une dimension plus contemporaine, dans  l’idée de mouvement telle qu’il exista dans l’Action painting. La nature c'est aussi cette  rencontre physique avec l’artiste qui en saisit  la matière. De cette peinture, il en résulte une charge pulsionnelle intense qui s'unit aux forces naturelles. En effet l’artiste a disposé cette toile parmi une trentaine d’autres durant 18 jours dans un espace désertique soumis à des conditions extrêmes. Peints à l’huile, les tableaux s’imprègnent des tempêtes de sable comme ils peuvent témoigner de l’union  de l’homme avec la nature et le cosmos. Ils restituent les tensions extrêmes de la chaleur ou du gel et la consistance de l’atmosphère. La matière est délicate mais un geste violent semble  lacérer la toile; elle est fusion, elle est en elle-même un récit sur la nature, et comme chez Anselm Kiefer, elle exprime cette ruine qui la guette. Cette toile d’une dimension imposante capte le regard de celui qui la contemple et qui entre dans cette expérience de l’ harmonie du vide et de la matière.





lundi 4 décembre 2017

Caroline Challan Belval, "Le testament d'Eve"

Musée Jean Cocteau, Menton



 Ce qui frappe d'emblée c'est cette voracité qui signe l' œuvre comme si celle-ci, au-delà de ses propres exigences, devait s'emparer et de l'espace et du temps, les traduire dans de nouveaux matériaux ou, à l'inverse, revenir vers des pratiques artisanales pour élaborer ce qui serait une architecture de l'imaginaire.

Caroline Challan Belval n'est pas l' artiste qui se laisserait enfermer dans un champ déterminé et, plutôt que de s'octroyer un plein pouvoir décisionnaire sur l’œuvre, elle se laisse absorber par l'extériorité du monde pour se l'approprier et en proposer , non pas des hypothèses pour un regard, mais l'élaboration d'un autre modèle. La construction de l'imaginaire qui en résulte n'est plus de l'ordre de la fantaisie mais se heurte à ce que sciences et techniques alliées à une réflexion sur l'histoire ont pu y déposer comme traces formelles et sémantiques. Car une forme nouvelle implique d'autres significations et une ouverture au monde, entre arts et sciences, qui extrait de notre savoir ces strates historiques comme composantes d'une histoire qui se confond à celle de l'artiste. Celle-ci utilise tous les matériaux, les plus traditionnels ou les plus novateurs. Ils sont cette peau, cette visibilité qui donne chair au sens. Verre, peinture, dessin, sculpture, gravure, tout est absorbé dans une multiplicité de supports qui diffusent leur lumière et renvoient au désir de créer, de rêver certains objets par de nouvelles substances, d'en mouler d'autres à partir d'éléments anciens pour en faire jaillir cette parenthèse dans laquelle, entre fragilité et constance, le sens de déploie.

Dans un espace mouvant qui nous entraîne dans des univers en apparence disparates, nous oscillons d'un globe terrestre à un portrait peint à l'huile, ou vers des colonnes inversées quand leur mémoire archéologique est niée par la relation au numérique et aux nouvelles technologies. Tout fonctionne alors en décalage, par collisions entre le futur et l'ancien, et il ne s'agit plus alors de « mettre le monde à jour » par le biais de l'art. A contre courant d'une innovation incrémentale, Caroline Challan Belval s'implique du côté d'une innovation disruptive. Ce qui signifie que l’artiste ne saurait être un copiste ni même celui qui corrigerait l'histoire de l’art par l'adjonction de nouveaux éléments. L'artiste impose son récit dans une autre économie que celle qui présidait à notre culture. Ses traces, par de multiples références à des phases artistiques souvent contradictoires, lui permet d'établir des relations d'équivalence et de conflit entre ces systèmes. Aussi cette exposition « Le testament d'Eve » entre-t-elle en résonance avec cet autre testament de Cocteau, celui d'Orphée qui permettait au poète de rebondir dans un autre temps. La radicalité de Caroline Challan Belval consiste à retourner à Eve, au mythe de l'origine de l'humanité.

Le temps est la matière dans laquelle une œuvre s'inscrit et, ici, l'artiste parvient à modeler cette matière avec raffinement et intelligence dans une grande prodigalité de langages. Et ce temps est aussi une fenêtre sur le futur quand l’œuvre permet d'en imaginer les contours.
Michel Gathier


Du 02/12/2017 au 19/03/2018






lundi 27 novembre 2017

Jean- Philippe Roubaud, "Didascalie 1"

                             

 Galerie Sintitulo, Mougins



                       Le titre même d'une exposition préfigure le projet d'un artiste : « Didascalie 1 » annonce un aparté vis à vis du dessin. Certes l'artiste travaille ici à partir du graphite mais en référence à la peinture qui en est la cible. C'est pour Jean-Philippe Roubaud sa manière d'affirmer, qu'au lendemain des avant-gardes, il ne resterait qu'à produire des notes en fin de page. Ainsi l'artiste décline-t-il plusieurs séries de travaux qui, toujours, investissent la notion d'image dans son immanence.
                         Celle-ci renvoie à l'histoire de la peinture quand il dessine sur le thème du romantisme selon des variations autour de Gaspard Friedrich. Ou bien à la peinture religieuse, au drapé comme rappel de la toile libre, sans cadre, à partir du voile de Sainte Véronique. Ailleurs c'est l'image photographique dont il se saisit en créant des fac-similés de polaroids empruntés au cinéaste Tarkowski. Le sous titre « nature-culture », est une amorce à cette exploration de l'image dans sa relation avec la culture qui prend en charge l'ensemble des pratiques artistiques et la transformation qu'elle opère sur la nature. L'architecture, par exemple, se mesure à l'illusion des arbres quand Roubaud édifie une barrière de faux bois dessinés sur des rouleaux de papier sur lesquels figurent, en trompe l’œil, des représentations de cartes postales.
                        Le dessin demeure, en amont de toute figuration, cette pratique qui permet à l'artiste de restituer la source de la création et de dévoiler toutes les couches illusionnistes dont l'art s'est peu à peu chargé . Ce constat résulte des seules possibilités du graphite et de la feuille de papier : Matériaux rudimentaires pour une analyse qui s'attache à révéler la subtilité de toute œuvre artistique pour peu qu'elle soit soumise à l'éclairage du dessin.

 Du 17 novembre au 13 janvier 2018

Michel Gathier, La Strada, N° 284