Suquet des Artistes, Cannes
Jusqu’au 28 avril 2024
Difficile de saisir une image sans recourir aux mots. Et si l’on s’en tient à son étymologie, dès le XIIe siècle l’image, après avoir revêtu par son origine latine l’idée de fantôme, désigne une vision acquise au cours d’un rêve et s’oppose ainsi à la «figura» qui énoncerait la réalité. La peinture de Barbara Navi relève de cette origine et de ces effluves de mémoire quand ils s’incorporent à l’imaginaire. Et l’on pense alors aux vers de Rimbaud, «...tu sais bien des histoires,/ Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis/ Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires».
C’est une lumière plus argentée qui se diffuse par «ces portes de corne et d’ivoire» qu’entrouvre l’artiste. Sur la toile, la couleur se dépose par fragments et des lames de blanc déchirent des gammes chromatiques desquelles surgissent des bribes de mémoire, des songes confondus à des réminiscences picturales. On y croise des revenants de la peinture ancienne, des personnages de Courbet, des attitudes de Rubens et des tours de Babel. Et comme émergeant du sommeil, voici que le temps s’empare de l’espace, se contracte ou se déchire pour imposer des bribes de récit dans une nuit incertaine.
L’œuvre de Barbara Navi est cette buée qui se dépose sur le réel. Un souffle inquiet semble se coaguler sur une huile très diluée avec ses flux et ses reflux pour faire émerger des strates de récit, des reliquats de visages et des collisions de sens. Les paysages ensommeillés semblent traversés d’éclairs dans un ciel floconneux et le réel se confond alors à un théâtre dont l’artiste ouvrirait les rideaux pour dévoiler la scène d’une dramaturgie qui répondrait à ce qui se joue en coulisses. Barbara Navi nous conduit en funambule sur les rives de cet entre-deux hors du temps. Il n’y a là nulle perspective mais seulement le phrasé d’un récit qui se fraye, une apocalypse qui nous hante et un feu éteint qui dilate les couleurs du monde. Rêve ou réalité, enfer ou paradis, tout suinte ou s’écrit sur la peau d’une peinture qui transpire d’un désir de recomposer la vie.
Plus que d’image ou de l'illustration d’un univers fantastique, il s’agit ici d' une révélation de la peinture, dans sa trame, dans ses effacements comme dans ses vagues qui déferlent obsessionnellement sur notre histoire. Barbara Navi en retrace les soubresauts, les cris enfouis ou les caresses. Sommeil, mort ou soleil éteint, tout se conjugue dans la vie et ses lumières parmi lesquelles nous errons entre nos ombres. En ouvrant ses portes, la peinture se hisse alors sur les cimes de la poésie et nous entraîne sur les rives de Cythère, entre monts et merveilles dans les interstices du temps.