Galerie Eva Vautier, Nice
Jusqu'au 12 juin 2021
Mettre en forme et en espace la fuite du temps comme les poètes romantiques le firent avec des mots, c'est s'affronter à l’éphémère, se heurter à l’invisible et au néant quand ceux-ci ne se pensent que par la matérialité d'une trace. Ou bien, dans une sculpture par la mémoire d'un moulage désormais disparu. Les œuvres de Frédérique Nalbandian invitent à pénétrer dans les modulations d'un processus, sa légèreté ou ses aspérités. Elles convoquent les matériaux qui épousent au mieux les prémices de la disparition comme les souvenirs d'une ancienne gestation tels que le plâtre pour une peau rêche et friable ou bien le savon comme pour en dissoudre les scories et les traces. Tous deux portent le souvenir de l'eau, d'un élément purificateur pour une promesse de guérison. Plâtre et savon donc, mais aussi des pigments, du verre ou de la cendre...
L’œuvre de l'artiste entre alors en résonance avec l'actualité d'une pandémie quand elle se réfère aux deux déesses sœurs de la Grèce, Hygie pour la santé et la propreté et Panacée pour les remèdes qu'elle suggère. La mémoire de la statuaire antique revient ici par le flottement de tissus saisis dans une gangue savonneuse avec les figures de Panacée quand celle d' Hygie s'enveloppe de la sensualité d'un corps et du drapé qui en caresse les courbes. La présence est tactile, elle invite à un cérémonial sensoriel si bien que l'artiste nous convie à tremper nos mains dans l'eau, à éprouver la douceur des vagues savonneuses puis à sécher nos mains avec un linge qui accompagnera l’œuvre. Pour évoquer le savon, Francis Ponge le désigna ainsi : « Pierre magique ! ». Et c'est bien dans les méandres de la chimie ou de l'alchimie que nous entraîne Frédérique Nalbandian.
L’œuvre se diffuse sur le sol mais aussi sur les murs par le dessin, la modestie d'une couleur ou bien la présence d'une composition sur un socle, l'allusion à un décorum désuet, la récurrence de l'image d'une rose, la fuite du temps encore – Ronsard - la beauté qui pâlit au soir de la vie mais aussi le souvenir qui perdure, les colonnes de marbre ou de savon qui ne supportent plus que le ciel, des entrelacs de plâtre comme des fleurs séchées. La poésie s'empare alors de l'espace et du temps, elle ruisselle de ses ondes purificatrices face aux stigmates et aux intempéries du monde. L'artiste les saisit avec déférence, délicatesse. L'objet s'énonce alors davantage dans sa suggestion ou son ombre que dans son exactitude comme si sa seule vérité résidait dans la mémoire qui l'immortalise. Nous en sommes la trace semble nous dire Frédérique Nalbandian quand l’œuvre nous accompagne dans sa fragilité mais que nous la percevons comme une guérison.