samedi 15 novembre 2025

Le phare Rembrandt

 


Musée des Beaux-Arts, Draguignan

Jusqu’au 15 mars 2026



A l’instar des peintres du XVIIIe siècle nous voici éblouis par ce phare dont l’éclat ne se contente pas d’éclairer un artiste mais de défricher de nouveaux chemins pour l’art.

Pourtant si Rembrandt connut très vite le succès auprès des collectionneurs, l’Académie le méprisa pour son refus de l’idéalisation, ses sujets jugés trop vulgaires et une matière picturale qui se densifia au fil du temps contre la finesse du trait. Le peintre hollandais, en effet, négligea le classicisme de l’Italie et, si la dramaturgie du clair-obscur du Caravage sculptait un théâtre de visages populaires, d’anges et de héros tragiques dans un puissant contraste entre ciel et terre, Rembrandt se détourna du ténébrisme avec un éclairage latéral pour une scène humaine dans un miroitement d’or de de bistre. Entre cendre et feu, il exprime la vie dans sa seule vérité avec ces portraits de vieillards et la flamme vacillante de leurs regards. Avec aussi ces femmes mures aux chairs tombantes qui pourtant, au-delà de la grisaille des eaux fortes, règnent dans la gloire de leur volupté comme pour un hommage à la réalité du quotidien.

La chair, la vie, telles seront donc ces lumières que nous renvoie «le phare Rembrandt». L’exposition dracénoise nous convie à cette histoire du regard en montrant comment l’artiste, au-delà du mythe, influença les peintres du siècle des Lumières. Mais aussi combien ce regard se réévalue au gré des nouvelles avancées ou des modes. Paris est alors la capitale de l’art ; on théorise, on collectionne et le réalisme de l’école hollandaise répond au goût de l’époque. Les portraits en trois-quarts et saisis dans un éclairage oblique sont souvent le fait de pasticheurs du Maître. Le regard traduit la psychologie du personnage tandis que la main désigne la fonction sociale – pinceau ou palette, livre, couteau ou tout autre objet signifiant une activité et non plus un symbole. Parmi les artistes ici présentés, Fragonard, en plusieurs toiles, accentue la couleur et par une matière généreuse exécute le portait de vieillards dans un ruissellement de teintes fauves avec les cheveux fous et les rides qui burinent le visage dans une tempête intérieure. Dans la tradition hollandaise Chardin peint des natures mortes mais dans un souci de vérité qui leur ôte toute portée allégorique. Un portrait de 1734 montre un érudit concentré sur sa lecture et surmonté d’une collection d’objets usuels. Et, toujours dans la lignée de Rembrandt, il excellera à traduire la gravité des personnages dans des tonalités sourdes, lesquelles feront aussi la renommée de Greuze. Chez celui-ci, le portrait parvient alors à saisir sans artifice toutes les nuances de l’intimité et toujours, comme pour l’ensemble de ces artistes, le vêtement n’est plus un drapé qui se développe vers le firmament mais le seul témoignage d’une situation sociale.

Ce phare Rembrandt éclaire la condition humaine qui n’a alors cessé de rayonner à travers de nouvelles images au-delà des pastiches et des imitations. La peinture est aussi cette histoire de la rationalité dans l’humanité. A Amsterdam, Rembrandt fut le contemporain de Spinoza qui écrivit : « La lumière se fait connaître elle-même et fait connaître les ténèbres, la vérité est norme d’elle-même et du faux. »

dimanche 9 novembre 2025

Maurice Denis, années 1920. L’éclat du Midi

 


Musées des Beaux-Arts Jules Chéret, Nice

Jusqu’au 8 mars 2026



Une peinture dans tous ses éclats

Peindre le Midi, c’est le plus souvent une affaire de perception quand il s’agit de capter le lumière et d’en restituer toutes les nuances qui sculptent la nature comme tant d’artistes s’y consacrèrent à partir de Cézanne et des impressionnistes. Pourtant, si Maurice Denis découvrit la Provence en 1906 et qu’il fréquenta Cézanne, Renoir et tant d’autres, il resta imprégné d’une formation plus intellectuelle héritée du primitivisme de Gauguin quand il fut le théoricien des peintres Nabis. Marquée par le symbolisme, sa peinture se réalise dans le souvenir du Quatroccento et de la Renaissance italienne avec ses larges aplats, la simplification de la couleur et une volonté de synthèse entre le matériel et le spirituel. Aussi, s’éloignant de l’imitation et de la description, Maurice Denis fut-il surtout célébré pour l’harmonie de ses vastes compositions décoratives.

Pourtant, dans les années 1920, alors qu’il est au faîte de sa gloire, ses œuvres de chevalet témoignent de scènes intimes associées à une nature parfaitement architecturée. Conçue en plusieurs séquences chronologiques, l’exposition niçoise nous livre une autre façon de percevoir la Provence et la Côte d’Azur. Elle est aussi l’ occasion d’affirmer l’apport de Maurice Denis dans l’art de l’entre-deux-guerres. Sa peinture est alors strictement cloisonnée par couleurs en aplats et les reliefs se succèdent en courbes et contre-courbes tandis que les arbres, cyprès ou mimosas, structurent le plus souvent un cadre dans lequel le thème familial répond à l’organisation du paysage. L’artiste, au fil de ce parcours, semble aspiré par l’harmonie d’un ordre idéal en recourant à des camaïeux de rose et de bleu pour exprimer douceur et transparence comme pour une aspiration mystique qu’il ne cessa de revendiquer.

Toute en sinuosités et en teintes suaves, la peinture de Maurice Denis apparaît aussi « superficielle » que profonde et c’est peut-être ce paradoxe qui donne le rythme de cette exposition. Il y a là un hiératisme des formes presque naïf dans ses modelés, des teintes douces mais éteintes, une transparence qui s’accorde à des scènes juxtaposées de femmes et d’enfants, de paysages édéniques et d’architectures strictes pour inscrire le récit d’une époque où, au lendemain de la première guerre mondiale, on chercha le réconfort des proches et d’un au-delà. Un portrait de Renoir que le peintre réalisa en 1913 ou un bronze de Maillol pour Marthe Denis, première épouse du peintre, illustrent cette volonté de sublimer le monde à travers une espérance artistique. Passionnante pour cette découverte d’un Maurice Denis plus intime que dans ses compositions murales, cette exposition, au-delà de l’expression de toute sensation, relate toute la sensibilité d’une expérience humaine dans une période où la peinture s’acharne dans son idéal de dire le monde. Ou de le célébrer.