dimanche 13 avril 2025

Maxime Parodi, «Les vengeances de la nuit»


Galerie Eva Vautier, Nice

Jusqu’au 31 mai 2025



C’est toujours par effraction qu’on pénètre dans l’œuvre de Maxime Parodi. Il faut d’abord arracher le cadenas qui enserre toute logique ou, plus précisément se doter d’un nouvel outil pour ouvrir comme le préconisait Aldous Huxley, «les portes de la perception». Celles-ci s’entrouvrent alors à travers une déconstruction du temps et de l’espace qui s’apparente à la structure du rêve pour nous plonger aux sources même de l’intime. Telles se déroulent ces «vengeances de la nuit», séquences hachées, épisodiques, obsessionnelles dans lesquelles le sujet rayonne sombrement au cœur des forces ténébreuses. Dans ses dessins, le plus souvent l’artiste se dépeint dans une nudité neutre en rupture avec le décor qui l’absorbe. Le dessin se trame dans les couleurs de la nuit, les lignes se fondent dans l’effacement d’une brume où se figent des bribes de récit. Nous voici plongés parmi des plans cinématographiques aussi énigmatiques que ceux de David Lynch.

La nuit se venge, elle hurle l’étouffement des jours, la norme, l’enfer des autres, la solitude dans la prison du décor. Et le dessin ou le tableau sont encore cette cage de laquelle il faudrait s’extraire de même que rêve ou cauchemar nous délivrent des griffes du réel tout en en exhibant la douleur. Entre stries et gommage, un univers flou se construit pour un théâtre factice dans lequel les personnages ne sont jamais les acteurs de leur propre vie. Tous sont étrangers à eux-mêmes, imperméables aux autres, réduits aux conventions sociales qui les façonnent. Spectres errants dans la nuit, les êtres se confondent à leurs fantasmes pour se fondre dans la seule réalité des images.

Le décor est si solidement planté qu’aucun air ne circule. Les réminiscences de l’art affluent en désordre. Ici le déjeuner sur l’herbe de Manet et son érotisme froid et sans désir avec la campagne comme une nature morte. Ailleurs, un morceau de manga, un rappel de bande dessinée, une lueur de sourire de l’ailleurs parmi les convenances de la société. Mais toujours une intériorité figée dans l’univers resserré d’un tableau de Vuillard. Et quand il s’ouvre, c’est sous les auspices d’une lumière artificielle et balafrée comme dans la peinture d’Hockney lorsqu’il peint la nature. Le dessin pour le Noir de l’intérieur, la Couleur pour l’extérieur et cet éveil qui rime avec merveille. Peut-être alors le jour se venge-t-il de la nuit…

Ne cherchons pas d’autres clés pour se soustraire à ces enfermements que le reflet qui nous en est ici restitué. Peindre, dessiner est un acte de résistance et de délivrance. Maxime Parodi conjugue avec brio les labyrinthes de l’invisible et de l’impossible qui s’accrochent à nos vies comme une mauvaise herbe.







Karina Bisch, «La tête dans le décor»

 


Musée National Fernand Léger, Biot

Jusqu’au 10 novembre 2025



L’accidentel est la norme. Ainsi Karina Bish travaille-t-elle au cœur de cette antiphrase et s’amuse-t-elle de toutes ces conventions d’un art drapé dans la certitude d’un idéal, auréolé de beauté et coupé du monde. Alors voici qu’elle fait une embardée, qu’elle se plante et se retrouve «la tête dans le décor»!

Et cette tête bien ronde, presque lunaire en guise d’autoportrait, la voici qui d’emblée, à l’entrée de l’exposition, se morcelle en fragments de fresques et en multiples éclats comme rappels du répertoire graphique de Fernand Léger. Rencontre fortuite puisque le hasard est par essence accidentel et que la collision détruit en même temps qu’elle construit du nouveau et implique un autre regard. Karina Bisch s’amuse donc avec «légèreté», virevolte autour du peintre, le titille avec maintes fleurs et papillons stylisés comme pour réactualiser avec humour l’œuvre du Maître. Autoportrait mais aussi autodérision. Car l’artiste ne cesse de jouer entre des citation du vocabulaire de Léger et son aspiration à décloisonner les arts, l’architecture, l’artisanat, la tapisserie, la mosaïque, le textile… Rendre hommage à Léger c’est le passer à la moulinette de ses utopies et de son système, laver plus blanc que blanc et faire plus Léger que Léger.

Aussi Karina Bisch se penche-t-elle sur l’héritage des avant-gardes modernes du XXe siècle. Elle se mesure à la monumentalité, à l’aplat des couleurs vives et contrastées, au cerne du dessin et à la géométrisation de la figure. Mais tout vole en éclats, les nuages se cognent à des aspérités et sur le béton poussent des fleurs numérisées. Le souvenir de Léger s’imprime alors sur un patchwork truculent sur lequel s’agencent le désordre des signes iconiques de tel ou tel peintre, des motifs géométriques, le souvenir des arts «premiers» ou, plus simplement, la trace ou la trame du quotidien. L’artiste s’autorise tout; elle accorde d’ailleurs à la peinture la même autorité quand elle s’en habille ou en fait un parapluie. L’art est total, il déborde de partout, s’empare des murs entre ébauche et perfection, hésitation et certitude. Karina Bisch pratique l’art dans l’esprit d’une performance qui, ici, nous apprend à lire autrement l’œuvre de Fernand Léger.

Cette exposition répond à cet autre volet, «Léger peintre de la couleur». Celui-ci écrivait: «La couleur est une nécessité vitale (...) Elle devient un besoin social et humain». Ainsi l’art et la vie se conjuguent-ils autant qu’ils se percutent. Et dans les premières œuvres de Léger on découvre une superbe approche impressionniste dans une tonalité inédite ainsi qu’une façon très cézanienne de déterminer la couleur en fonction du trait. L’intervention de Karina Bisch accentue cette autre lecture du travail de Léger et l’ouvre à d’autres perspectives. Elle dit: «Aux échecs comme en peinture, la diagonale est la pente du risque et de la déraison. Et c’est bien dans cette aventure oblique que je veux entraîner la peinture.»




Gottfried Honegger, «Du singulier au pluriel»

 


Espace de l’Art Concret, Mouans-Sartoux

Jusqu’au 22 février 2026



Il arrive que le titre d’une exposition fournisse la clé d’une œuvre en résumant les orientations qu’elle déploie au fil du temps. L’œuvre d’art se livre dans sa singularité mais, pour Gottfried Honegger, il fallait surtout qu’elle s’infusât dans toutes les mailles de la société, qu’elle s’accordât à un double idéal esthétique et d’émancipation pour éclairer le monde. L’artiste souhaitait cette résonance de l’art par l’usage d’un vocabulaire simple, directement accessible par l’impact du blanc ou de la couleur, par le dénuement du signe ou de la matière pour que chacun puisse en éprouver un désir de spiritualité face à l’illusion consumériste.

Il s’agira donc de toujours s’impliquer dans une démarche pédagogique, de s’adresser à la pensée plutôt qu’aux émotions et de ne jamais privilégier la subjectivité pour que l’œuvre d’art reste plurielle et puisse s’adresser à tous. Honegger fut aussi collectionneur et voulut que son action ne restât pas solitaire mais qu’elle se situât dans le contexte de l’abstraction pour imposer la souveraineté du concept.

Né en 1917, Gottfried Honegger fut d’abord graphiste et perçut la publicité comme un vecteur social. Au fil de l’exposition, on s’aperçoit que dans sa pratique artistique, l’objet peu à peu se dissipe, que la perspective se contracte pour laisser place au seul jeu des lignes et d’une couleur pure. En contrepoint d’une abstraction lyrique et gestuelle qui domine dans les années 50, il revendique le refus de toute subjectivité pour l’idéal d’un langage universel. Il reprend les principes de l’art concret théorisés par Theo Van Doesburg en 1930 en s’attachant à la rigueur d’un système que l’imaginaire ne saurait dévoyer. A cette austérité répond néanmoins l’autorité plastique d’une œuvre qui délivre immédiatement son message par la simplicité de ses plans et la monochromie pour seuls matériaux d’une construction de l’espace.

Cependant l’œuvre ne cessera d’évoluer parallèlement aux apports de la science et des systèmes informatiques. Et le «pluriel» ce sera aussi la relation aux autres artistes qui s’exerce dans la quête d’un même idéal de rigueur géométrique. Gottfried Honegger a su les collectionner et, dans cet Espace de l’Art Concret qu’il créa en 1990, il s’attacha à présenter la diversité des approches tant dans la peinture que dans la sculpture et l’émergence de nouvelles techniques. «Du singulier au pluriel» réunit ainsi les œuvres de Max Bill, Marcelle Kahn, Ad Dekkkers, Richard Paul Lohse, Aurélie Nemours, Jan J.Schoonhoven pour une même célébration de l’art comme une ouverture au monde et à la connaissance.