jeudi 24 mars 2022

Olympe Racana-Weiler, «Romance with a bird»

 



21 Contemporary, Nice

Jusqu'au 15 mai 2022


La peinture délibérée


En s'éloignant de la figure s'est joué dès l'histoire de l'abstraction, de Mondrian à Pollock, le conflit entre l'idéal d'un ordre raisonné et la pulsion spontanée qui implique aussi le temps de la réflexion puis celui de l'exécution. Dans toute peinture s'exprime cette oscillation du sens et du sensible et le curseur ne cesse de se déplacer entre la liberté du geste par lequel la peinture tend à s'affranchir d'elle-même et l'inscription des procédures complexes qui ont présidé à sa réalisation. Ces dernières ne relèvent plus alors que d'une «délibération» ; elles délivrent ce qui est pressenti en amont d'une œuvre - la conception d'un espace, l'interaction des matières et des couleurs, la prémonition d'une image.

La peinture d'Olympe Racana-Weiler est délibérée. D'ordinaire, son travail se façonne à partir de jus colorés posés horizontalement sur la toile que l'artiste redresse pour des effets de marbrure et de transparence avant d'y apposer lignes, courbes et diagonales et ensuite y faire adhérer le poids de la couleur. La mise en scène, le projet se déclarent ainsi au profit d'une théâtralisation de la peinture. Les effets sont revendiqués en toute somptuosité et la dramaturgie ne s'énonce jamais au-delà de cette rythmique interne à la toile. Toutefois l'imaginaire du spectateur reste en éveil. Des lianes, des cris d'oiseaux exotiques, des trouées marécageuses traversent le regard de celui qui se risque dans les dédales de la résine et de l'acrylique. De cette pure abstraction pour seul récit se développent des modulations mystérieuses pour un titre, «Romance with a bird». Et nous voici conduits dans d'étranges nervures dans le corps même d'une peinture palpitante où se formulent des paysages intérieurs avec lesquels l'artiste se confond. La matière vibre, elle chante et la musique se terre dans sa peau.

A cette symphonie de couleurs répondent des œuvres sur papier, dans un format qui toujours se confronte à la démesure. L’œuvre se replie alors dans une intimité plus austère sans jamais éluder la puissance qui l'anime. Les teintes se font plus sourdes, les lignes s'apaisent par leur précision jusque dans l'ébauche d'une figuration. Quel est ce fil si fragile, invisible à l’œil qui traverse ces espaces plus apaisés et traversés d'une lumière retenue? Sans doute celui de ce même récit mais interprété sur un ton plus bas, comme pour une confidence dont nous mesurons le souffle sensible. L'harmonie est de mise, les traits sont maîtrisés comme en attente de ce qui va surgir. C'est alors l'instant de cette délibération, cette zone incertaine où tout se pense avant de se dévoiler: les fantômes des êtres et des choses daignent nous rencontrer.

Olympe Racana-Weiler ne se laisse jamais absorber par la puissance des espaces qu'elle compose, de même qu'elle y maintient cette distance qu'un artiste se doit d'imposer à une œuvre pour mettre à nu la vigueur des sensations qui l'animent. Se fondre dans la fluidité d'un océan, y graver une glaise miroitante entre des éclats pierreux d’où ruissellent des feuillages, c'est s'offrir au monde et le restituer dans une vérité que nos yeux seuls ne parviennent à déceler.

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