Fondation Maeght, du 30 juin au 11 novembre 2018
Qui
connaît l’œuvre de Jan Fabre s'est déjà laissé emporté par
ses scénographies inédites et l'insolence souveraine des figures
qu'il arrache à l'imaginaire. Il ne pourra qu'être envoûté par cet
opus qui s'empare de la Fondation Maeght. Décidément ce lieu, par
le miracle d'une rencontre parfaite entre une architecture et la
nature, renvoie à la magie de la lumière qui l’inonde celle des
œuvres qui semblent y surgir dans l'évidence de leur forme et dans
la puissance de ce qu'elles expriment. On appelle cela la grâce. Et
si l'on perçoit là l'écho d'une élévation mystique, Jan Fabre
sait arracher la peau de celle-ci, non par provocation mais dans le
désir fou de rencontrer l'absolu par le geste d'une création
artistique.
Tout
est dit dans cette revendication : « Ma nation,
l'imagination ». Sans doute celle-ci renvoie-t-elle à cette
histoire de la Belgique, territoire incertain, souvent envahi et si fragile
pour lequel il ne restait d'autre destin que cette aspiration folle à
un au-delà ou au nihilisme, à l'humour désespéré ou au paradis
incandescent de Bosh ou d'Ensor.
Jan Fabre, comme ailleurs Wim
Delvoye, s'inscrit dans la lignée de ces artistes qui recréent un
monde imaginaire comme pour panser les blessures du monde réel. Pourtant l'imaginaire n'est pas le lieu de la mièvrerie mais celui des
audaces ; il n'est pas un discours de l'afféterie mais
l'expérience d'un langage qui s'incarne ici dans toute la matérialité
d'un cerveau. Dans la tradition flamande d'une allégorie
dévastatrice, hantée par la mort, le cerveau est cet organe flasque
et improbable qui devient pourtant le socle solide d'une œuvre puissante et
peut-être rédemptrice qui rejette les frontières du réel au delà
même de cet imaginaire dont il s'empare.
« Les
plus beaux musées sont les cimetières. » dit-il. Alors pour
cette mise en scène du cerveau, l’artiste utilisera-t-il le marbre
blanc, le plus pur, celui de Carrare. Renouant ainsi avec la
tradition de l'art funéraire, ce matériau pourtant semble ici saisi
par une légèreté soyeuse quand il se dépose sur un lit d'or qui
ôte à la statuaire son ancrage terrestre pour un effet d'élévation
envoûtant. Car celui qui détient le privilège de rencontrer cette œuvre,
s'affronte à une expérience sensible sur laquelle se greffent bien
d'autres aventures possibles quand elles sont le miroir de notre
propre imaginaire. Aventures esthétiques, mystiques, sauvages,
blasphématoires par le rire strident qui s'en échappe, libératoires
par les échappées de lumière qu'elles suscitent.
« Je
ne suis pas un artiste cynique, confie-t-il pourtant, je crois en la beauté » . Qui a dit que la beauté sauverait le monde ? Jan Fabre traque
cette beauté, la débusque et l'exhibe à partir de ce socle
sculptural du cerveau. Car cet organe est en lui-même un univers irrigué
d'artères et de veines ; tel une éponge, il absorbe et transforme le réel ;
il est un organisme autonome, inconnu, qui se serait déposé ici
comme une météore. L'artiste le pare de tous ses sourires ou de bien des grimaces. Dans un dessin, un tire-bouchon danse sur lui; dans une
sculpture une paire de jambes dépouillées de leur peau fleurissent
vers le ciel dans la ramification d'un système sanguin. L'artiste
affirme alors que celui du talon est à l'image de celui qui irrigue le
cerveau et il y perçoit alors pour l'homme une aspiration équivalente vers la
terre et vers le ciel. Dans une autre série, les cerveaux sous
cloche sont ceux de disparus : Einstein, Gertrude Stein,
Wittgenstein et, puisque la réalité se heurte à la fiction,
Frankenstein. Et puisque aussi tous ces noms se terminent par -stein
« la pierre », ces cerveaux ne sont plus que des pierres
poreuses comme la lave morte d'un volcan éteint.
Beauté.
L'absolu de la beauté. « L'homme dans sa perfection, c'est
l'ange » ajoute Jan Fabre. Élévation encore. Jan Fabre nous
emmène très haut, très loin.
La Strada N° 298
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