vendredi 30 juillet 2021

Damien Hirst, "Cerisiers en Fleurs"

 Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris

Jusqu'au 2 janvier 2022



                   

Peindre c'est toujours écrire une nouvelle page pour un livre dont on croit tout connaître et qui pourtant, si l’œuvre est suffisamment puissante, apporte cette touche nouvelle qui éclaire autrement l'ensemble de l'ouvrage. On connaît cette histoire-là. Celle de la peinture de paysage et, plus précisément, ces arbres dont le feuillage se confond au ciel, cet espace saturé de lumière comme pour les amandiers de Van Gogh ou les pommiers de Klimt. Une histoire du temps aussi, avec le japonisme, le pointillisme, la matière colorée de Bonnard, le recouvrement de la toile ou plus tard, le jet libre et les coulures hasardeuses avec l'Action Painting et Pollock.

A son début, Damien Hirst illustra l'artificialité de cette peinture par un protocole stricte de points colorés répétés de façon mécanique. Cette série des Spots Paintings inaugura une vaste réflexion sur le geste pictural, son impact sur la représentation et sur les limites de celle-ci. En s'attaquant aux « Cerisiers en Fleurs », l'artiste déjoue les notions d'abstraction et de figuration en revendiquant la monumentalité et la validité de l'ornement. Et pour cela, Damien Hirst ne répugne jamais à l'excès qui, au contraire, est sa marque de fabrique. Pourtant, dans cette nouvelle série de 107 toiles dont 30 sont présentées à la Fondation Cartier, l'artiste revient avec humilité aux racines de la peinture, sans l'aide d' assistants, dans la seule solitude du peintre.

Cette confrontation affirmée avec l'espace et la couleur est aussi un parcours entre matière et fluidité, épaisseur et légèreté. Elle est un rappel allégorique d'une méditation tranquille sur la vie et la mort. Les couleurs doucement acidulées dans une gamme de bleus calmes et d'un rose aérien irriguent la toile parfois jusqu'à l'étouffement. Couleurs et formes s'imprègnent alors de ce combat tour à tour inquiet et jubilatoire avec la toile blanche. « J'ai toujours été un grand amoureux de la peinture et pourtant J'ai constamment cherché à m'en éloigner», déclare Damien Hirst. Ce bel aveu traduit superbement cette hésitation, ce tremblement du sens qui est en jeu dans ce retour à la peinture. L'artiste tourne les pages de son récit avec brio. Avec sensibilité ou, au contraire, dans des effets d’éloignement et d'objectivité, cette peinture chante le temps des cerises qui est aussi celui de la fleur et de la désillusion. Poussée à son paroxysme, la beauté est condamnée à se flétrir. L'immensité des toiles nous invite à pénétrer physiquement dans un monde désordonné de formes et de couleurs dans lequel chacun de nous restituera sa propre histoire pour autant que l'art lui accorde de s'ouvrir à de nouvelles portes de la perception.

 


 

Damien Deroubaix, "La valise d'Orphée" Musée de la Chasse et de la Nature, Paris

 


Le lieu est certes très « chargé » mais pour un Musée consacré à la chasse, rien d'étonnant à ce que cela détonne ! Aussi, d'une salle à l'autre, dans le Musée de la Chasse et de la Nature qui rouvre après deux années de travaux avec l’adjonction à l'Hôtel de Guénégaud dans le Marais de celui, mitoyen, de Mongelas, se développe une histoire singulière. On rebondira sur des trophées de chasse, des collections d'armes et d'improbables cabinets de curiosité. Les murs se parent tour à tour de tableaux et de vitrines, le velours alterne avec le bois, le papier peint suggère quelque histoire secrète, la lumière caresse les ombres et infuse une vie étrange aux animaux empaillés ou aux scènes de genre qui ponctuent un parcours riche en surprises...

En tout, quelques 3500 objets collectés par la Fondation Sommer racontent notre relation à la nature et à la vie sauvage. Les peintures anciennes se confrontent à l'art contemporain pour un effet saisissant quand, par exemple, on s'égare dans une forêt de carton d'Eva Jospin ou une peinture à la cire de Philippe Cognée, un « Paysage vu du train ». Ailleurs les lustres ruissellent d'une lumière mystérieuse pour faire jaillir un bestiaire fantastique où les animaux parlent des hommes. Poésie, science, taxidermie et humour, tout ici s'entremêle. Présent et passé se télescopent. Cette nature recomposée est alors l'écrin d'un songe où la cruauté s'énonce par la densité et le mystère des choses. Elle nous emporte au cœur d'une forêt de Brocéliande recomposée par un mobilier désuet et la trace incertaine des hommes.

Aussi L'exposition temporaire au rez de chaussée pour la réouverture du Musée est elle une introduction à cette expérience initiatique. L'artiste Damien Deroubaix nous plonge dans une sorte de grotte où l'art, la magie et la préhistoire agissent de concert dans une œuvre, « La Valise d'Orphée ». Dans la mythologie, celui-ci avait le pouvoir de charmer les bêtes sauvages. De vastes peintures expressionnistes célèbrent donc ce qui relie la vie animale au cosmos et, en contrepoint, dénoncent l'ignorance et la cruauté des hommes. L'installation composée de peintures dispersées sur le plafond et les murs, mais aussi de sculptures et de gravures sur bois, se construit en parallèle au contenu de la valise d'Orphée : Trois cent minuscules figurines zoomorphiques datant de l'Antiquité qui racontent le mystérieux pacte symbolique qui relie l'humain au règne animal depuis la nuit des temps.




mercredi 7 juillet 2021

Les GIACOMETTI, une famille de créateurs




Fondation Maeght, Saint-Paul de Vence

Jusqu'au 14 novembre 2021


L'été Giacometti


Toujours chez Alberto Giacometti revient ce fil incandescent de la sculpture comme si celle-ci, de ses mains, se réconciliait avec son point d'origine, délivrée de sa matière, réduite à la seule vérité du nerf qui l'organise et lui donne vie. Alberto Giacometti est à la fois celui qui parle de l'origine et qui trace un autre chemin. « L'homme qui marche » est pétri de cendre et, tel le chien ou le chat de ses sculptures, il renifle des miettes de lumière pour continuer à vivre.

La lumière, ce fut son père Giovanni qui, dans la peinture, la célébra. Né en 1868, il inaugura une lignée familiale d'artistes qui durant plus d'un siècle perpétua cette croyance en l'art, cette volonté folle de découvrir la vérité du monde. La Fondation Maeght nous raconte aujourd'hui cette histoire-là qui est celle du feu et de la cendre, celle des braises qui nourrissent de nouvelles flammes pour croire en la vie. Cette aventure s'incarne dans cette famille qui, dans la peinture, la sculpture, la décoration ou l’architecture, embrassa le monde de sa passion créatrice. Giovanni eut trois fils. Alberto, l'aîné, rayonne encore du bronze de ses sculptures émaciées et son œuvre s'expose aujourd'hui à Saint-Paul de Vence comme au Forum Grimaldi de Monaco. Entre l'ombre et la lumière, le plein et le vide, il nous place au cœur de l'acte créateur – celui que Nietzsche évoquait dans « La naissance de la tragédie » : l'opposition fondamentale entre le principe apollinien lié à la lumière et au feu et le principe dionysiaque sous les auspices de l'obscurité et de l'effacement.

Le père, Giovanni, fut l'un des précurseurs de la peinture moderne en Suisse. A côté des plus grands, Félix Valotton, Cuno Amiet et Ferdinand Hodler, ses talents de coloriste s'imposèrent avec une touche serrée et des aplats gorgés de lumière dans la représentation de la montagne ou de scènes familiales. Son autre fils, Diego, collabora à l’œuvre d'Alberto mais dans un souci affirmé du décoratif en intégrant la sculpture dans le mobilier. Meubles et luminaires se parent d'animaux du quotidien pour des fables légères qui illuminent le fer ou le bronze. Le benjamin, Bruno, proche des principes du Bauhaus, se révéla être l'un des architectes suisses les plus importants de l'après-guerre et l'exposition montre plans, maquettes et photographies de ses principales réalisations.

Augusto Giacometti, le cousin de Giovanni, s'illustra dans la première moitié du XXe siècle par une peinture poussée à son paroxysme dans l'emploi de la couleur et son rapport à l'abstraction dont il fut l'un pionniers à côté de Mondrian, Malevitch ou Kandinsky. La Fondation Maeght présente ici une exposition dont l'intérêt documentaire n'oblitère jamais la force des œuvres. Leur présence, dans un large éventail de couleurs et de matières, nous accompagne pour cette passionnante saga familiale qui écrivit l'une des plus belles pages de l'art du siècle dernier.


dimanche 4 juillet 2021

Georges Rousse, "Ici et maintenant"

 


Musée de Vence

jusqu’au 12 décembre 2012

                                             Georges Rousse



Arrêt sur image

En parallèle à l'exposition « Matisse, Méditation niçoise » qui se déroule à partir d'une œuvre majeure réalisée par l'artiste durant son séjour à Vence en 1944, le musée de la ville propose une intervention de Georges Rousse. Si celui-ci est connu pour son travail photographique, il s'empare ici des découpes et des couleurs chaudes du peintre et, plus encore, il se confronte à une œuvre monumentale de Sol Lewitt sur l'ensemble d'une salle attenante. L'effet est spectaculaire quand, par un effet d'anamorphose, les deux compositions murales se confondent et se contrarient mutuellement. L'impact de la couleur sur les figures géométriques détournent les perspectives promises par les lignes tracées par Sol Lewitt sur des surfaces planes tandis que Georges Rousse, en usant d'une même gamme chromatique, prolonge ce jeu à partir des reliefs et des stucs présents dans une autre salle. Le spectateur est immédiatement saisi par une mise en scène qu'il doit lui-même définir en s'insérant dans un point déterminé de l'espace.

 Georges Rousse intervient ici comme peintre et architecte qui perturbe le réel et le quotidien. Dans l'ensemble du Musée, il dissémine une série de travaux réalisés à travers le monde sur des sites désaffectés qu'il retravaille pour les métamorphoser à partir de jeux d'illusion et de perturbation symétrique. Une fois recomposé, l'espace du bâtiment est photographié. La conception de celui-ci est déterminante car elle s'appuie sur le temps. Si le volume du lieu reste identique, la façon de l'habiller autrement, par des jeux optiques ou par de multiples collages de journaux, place le spectateur dans cette béance entre l'avant - un lieu promis à la décrépitude et à la mort - et l'après qui fixe à jamais ce lieu dans une image. Celle-ci promet pourtant l'idée d'une renaissance quand l'artiste ne propose plus une autre réalité mais dépouille l'espace de toute fonctionnalité pour se confronter à l'imaginaire. Les lieux investis se transforment en œuvres d'art et c'est alors toute l’architecture du musée-château qui se trouve transformée par la grâce de l'illusion.



 
Sol Lewitt

mercredi 30 juin 2021

Otobong Nkanga, "When looking Across the sea, Do you dream?"

 



Villa Arson, Nice

Jusqu'au 19 septembre 2021


Étrange paradoxe de parcourir une œuvre aussi multiforme tout en ressentant la présence d'un univers très personnel dans lequel l'artiste feint de nous égarer à travers l'espace labyrinthique de la Villa Arson sans autre fil directeur que ces dessins, ces tapisseries ou les photos documentaires qu'elle sème sur son parcours . D'origine nigériane, Otobong Nkanga nous parle de l'Afrique et de la femme africaine mais par les détours les plus inattendus tels que l'économie, la géologie, la poésie écrite ou sonore, ou l'artisanat. De ce brouillage apparent, une trame se constitue par une multitude de fragments qui s'agencent dans un réseau dont la structure se diffuse d'une salle à l'autre par de vastes compositions. Il ne s'agit plus alors d'élaborer un récit mais d'exposer les ramifications de ce qui relie la Terre, l'Histoire et les Hommes. Et l'artiste, à partir d'assemblages pareils à des coupes géologiques, laisse apparaître toutes les strates de l'interprétation. Rien de linéaire donc pour un horizon qu'on ne peut qu'imaginer dans son titre : « When looking Across the sea, Do you dream ? »

Les productions humaines sont ici soumises au filtre du minéral et du végétal. Les tapisseries artisanales où se lisent la mémoire de l'Afrique révèlent aussi la connectivité numérique. Et l'artiste met en scène ces réseaux signifiants qui irriguent l'univers, du microcosme à l'infini, avec, par exemple,  des noix de Kola pour leur pouvoir coloré et leur charge symbolique dans les légendes. Ailleurs il y aura des racines qui se confondent aux fruits et aux fleurs. Et la brillance du mica qui se heurte à celle du savon noir. Pourtant cet enchevêtrement sémantique et visuel prend sens dans une cosmogonie qui parle aussi bien du temps que de l'exploitation minière à partir de graines ou de sable. Les œuvres se répondent dans un écho transformé. Exécutées avec une parfaite maîtrise, elles rebondissent sans cesse sur de nouvelles thématiques dont nous retrouverons la trace sur d'autres supports. Elles tendent à figurer une cartographie de nos civilisations quand celles-ci sont toutes soumises aux caprices du vivant jusque dans le règne minéral. Tout ici évoque des cycles, le jeu des atomes et tout ce qui est en creux, invisible, impensé, avec la déperdition, l'effacement et la circulation du sens dont la conscience se matérialise dans l'art qu'il soit plastique ou performatif. Otobong Nkanga crée une forme de cérémonial visuel pour explorer ces liens invisibles entre le passé et l'avenir, redonner corps à ces membres disloqués semblables à des rouages de « machines célibataires ». Oui, quand nous regardons à travers la mer, nous rêvons.


2e Biennale Internationale de Saint-Paul de Vence

 

Gonzalo Lebrija, "Cubo torcido"


Jusqu'au 2 octobre 2021


Par son aspect monumental, la sculpture peut se heurter aux modulations d'un paysage ou contrarier les vieilles pierres d'un village, aussi exige-t-elle des artistes beaucoup d'humilité et un sens aigu de la poésie pour se fondre dans un lieu tel que Saint-Paul de Vence. Dans sa première édition en 2018, la Biennale s'appuyait sur des artistes déjà confirmés et chacun d'eux jouait sa propre partition en imposant fièrement son travail sur les remparts et dans les ruelles du village. Désormais, place à la jeune création pour des sculptures moins invasives et une orchestration plus subtile par les matières convoquées, la distribution des œuvres dans l'espace urbain et le choix de celles-ci sous le commissariat de Catherine Issert et la présidence d'Olivier Kaeppelin.

Avec plus de modestie, cette seconde Biennale confirme son incrustation dans un lieu où la force de l'art émane de chaque pierre comme de la qualité de son ciel. Dix-huit jeunes artistes insufflent ici de nouvelles perspectives en proposant des œuvres plus sensibles, plus en relation avec leur temps. Des installations se déploient avec délicatesse pour célébrer l'espace d'une chapelle, adoucir la rigueur d'une tour ou déjouer la puissance d’une architecture. La nature, les mythes, l'artisanat, la modestie des matériaux s'associent alors dans une circulation à l'encontre de l'esprit de verticalité qui préside d'ordinaire à une telle manifestation.

Quand l'artiste allemand Stephan Rink dresse ses figures de pierres calcaires c'est pour un rappel à l'art roman avec ses monstres qui le hantent dans un contexte populaire. Les colonnes brisées de Linda Sanchez se couchent sur le sol dans la blessure de leurs veines pigmentées tandis que Juliette Minchin joue de l'acier et de la cire pour une subtile scénographie où la peau du corps se confronte à la trame d'une architecture religieuse. Dans cette pièce, « Omphalos », l'artiste ajoute une dimension sacrée qui conduit à une méditation sur la mémoire comme traduction du site où elle se dépose. L'émotion peut aussi naître de la nature même du matériau comme chez Kokou Ferdinand Makivia, artiste du Togo qui parvient à donner vie à la matière en conjuguant le cuivre et un rondin d'arbre. Comme une onde organique qui se diffuserait de la terre vers le ciel, l’œuvre se présente comme l'instant d'une coulée qui se fragmente et s'interrompt. Elle consacre un arrêt dans le temps. Pour l'ensemble de ces jeunes artistes, l'énergie l'emporte sur la puissance de l’œuvre. Comme si celle-ci devait porter une force vitale, nourrie d'une mémoire, mais aussi d'un récit en construction et d'un horizon auquel il fallait donner forme.


Œuvres de Awena Cozannet,Martine Feipel & Jean Bechameil, Stéphane Guirand, Gonzalo Lebrija, Quentin Lefranc, Charles Le Hyaric, Kokou Ferdinand Makouvia, Juliette Minchin, Aurélie Pétrel, Florian Pugnaire & David Raffini, Stefan Rink, Kevin Rouillard, Linda Sanchez, Pierre-Alexandre Savriacouty, Elodie Seguin, Charlotte vander Borght, Delphine Wibaux et Scenocosme.

mardi 29 juin 2021

Louis Féraud, « L'artiste au dé d'or »

 

Centre d'Art La Falaise, Cotignac

Jusqu'au 24 octobre 2021





On célèbre le couturier, on ignore pourtant le peintre. Mais en parcourant cette exposition, on s'aperçoit que de l'un à l'autre, le doigt de l'artiste impose sans cesse l’exubérance de la couleur et dévoile les formes d'une sensualité dans l'imaginaire. Louis Féraud emprunte à sa Camargue natale les teintes chaudes d'une lumière crue et les courbes d'un paysage modelé par les bourrasques de vent. Pourtant ce n'est pas la nature qui l'inspire mais la femme, elle, seulement elle. Et à la sensualité de la peau, il lui fallait ajouter celle du vêtement et de la parure qui la revêtira.

Cette présentation somptueuse du travail de Louis Féraud donne toute la mesure de sa puissance créatrice. La mise en scène est joyeuse, on est aspiré par un torrent de couleurs pour des compositions aussi improbables que triomphantes. L'artiste ne s'interdit rien. Quand il peint, il s'empare de la chaleur des coloris de Matisse et de ses découpes, il revisite les méandres d'une peinture heureuse dont le souvenir irriguera ses pièces de haute couture. La femme, toujours la femme et son habit de lumière, les sinuosités qui se heurtent aux angles, la délicatesse des tissus, l'obsession du détail sans jamais contrarier l'explosion des formes.

Il y a de la magie dans ces doigts-là. Ils dessinent les contours minutieux d'un rêve éveillé, d'un bonheur simple tissé de fleurs, de fourrures, de nacres et de perles. Des robes et des foulards, des bijoux et toujours un enchevêtrement subtil de matières ensoleillées pour glorifier le corps féminin. Il rayonne ici par l'hommage que sa fille, Kiki, rend à son père. Une grammaire et un lexique coloré pour écrire cette certitude de la beauté et il faut se laisser alors envoûter par les mots qui décrivent certains habits dans le catalogue de l'exposition : « Fourreau long portefeuille, décolleté bain de soleil bordé de cabochons de strass » ou « Robe longue et veste de mousseline de soie blanche brodée de fines perles, de mini baguettes cristaux, avec application de satin. La veste à manches gigot est courte, laissant apparaître la ceinture de satin drapée de la robe qui s'ouvre aux genoux en large corolle ». Louis Féraud habille le monde avec l'or de la lumière et des mots qui le caressent.





samedi 26 juin 2021

« Structures of radical will », Fondation CAB, Saint Paul de Vence

 

Jusqu'au 7 novembre 2021




Dès l'entrée, le ton est donné. Des lignes rouges délimitent un espace dans lequel le visiteur doit physiquement s'insérer pour en percevoir la parfaite exactitude puisque telle est la démarche de l'artiste Felice Varini. La perception, c'est à dire la présence active d'un corps non matérialisé, est bien ce qui se joue entre le choix du  minimalisme et de l'art conceptuel dans la Fondation CAB à Bruxelles, depuis 2012. Le corps résulte alors d'une interaction, celle de l’œuvre et de la pensée mais, surtout, de ce qui se construit entre l'artiste qui la conçoit et celui qui la contemple et -au-delà- entre le sujet et le corps social.

Ce rejet de la figure, cette distanciation vis à vis de la matière, cette autonomie radicale de l’œuvre, s'expérimentent aujourd'hui à Saint Paul de Vence à travers les salles et les jardins de cette nouvelle Fondation CAB à quelque encablures de la Fondation Maeght. « La légèreté de l'être » est ce premier regard sur une collection qui rassemble les incontournables de ces mouvements : Robert Mangold, Carl Andre, Dan Flavin Laurence Weiner, On Kawara, John Armeleder et, pour la France Buren sans oublier la Suisse avec Toroni. Nous sommes en territoire connu pourtant l'intérêt se déporte aussi vers d'autres créations qui leur font écho quand on cherche à s'étonner de ce qui serait de l'ordre de l'incidence ou de l'incident. Et l'attention se concentre alors vers des artistes plus rares tels Philippe DecrauzatHeimo Zobernig ou Ariane Loze.

« Structures of radical wills », par son titre, renvoie à des références historiques et théoriques pour ces mouvements qui ont bouleversé l'art de la seconde moitié du XXe siècle et à la critique qu'elles ont elles-mêmes pu susciter. Cette exposition temporaire, corollaire à la précédente, poursuit avec brio ce jeu de cache cache entre le sujet et la neutralité. La notion d’environnement est plus prégnante  et semble se confondre, parfois ironiquement, avec les travaux de  Morellet dans ses implications sociales et politiques. A la virulence d'André Cadere, répondent des œuvres plus énigmatiques ou légères telles les réseaux de métal ciselé de Daniel Steegmann Mangrané qui se déploient comme une nébuleuse pour nous rappeler qu'ici, toujours, tout est affaire de perception. Les artistes réactivent cet événement historique majeur pour un mouvement qui, à partir de productions plus récentes, propose une relecture et de nouvelles perspectives pour ce qui révolutionna le monde de l'art.





dimanche 20 juin 2021

Sebastião Salgado, « Déclarations »

 


Musée de la Photographie Charles Nègre, Nice






L’œuvre photographique de Sebastião Salgado accroche le regard tant elle use de tous les procédés pour frapper la conscience du spectateur : l'intensité dramatique du noir et blanc, l'exploitation d'un format imposant et des procédés de mise en scène et de cadrage des plus percutants. Au-delà de ce que certains condamnèrent comme, par exemple Susan Sontag qui dénonçait l'esthétisation de la misère et « l'inauthenticité du beau » chez le photographe, il faut retenir la sincérité de son engagement humaniste. Sebastião Salgado, l'un des représentants les plus célèbres du photojournalisme, illustre dans cette exposition certains articles de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. A mi-chemin entre l'argentique et le numérique, les clichés présentés sont des compositions savamment étudiées, très éloignées de la spontanéité et de l'image choc du reportage de presse. De ses multiples voyages à travers le monde, le photographe rassemble avec une grande humanité 31 images réalisées dans 20 pays. Défense des plus faibles et des oubliés, protestation contre la pauvreté, l'injustice ou la torture sont au cœur de son combat. Sensible à toutes les menaces qui pèsent sur l'humanité, Sebastião Salgado s'implique aussi pour la défense de l'environnement et la présentation du film « Le sel de la terre » coréalisé avec Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado, témoigne des relations intimes entre l'homme et la terre. L’œuvre est d'une brûlante actualité et ne peut nous laisser insensible.

vendredi 18 juin 2021

Hubert Le Gall, "Une fantaisie grecque"

 

Villa Kérylos, Beaulieu sur mer

Jusqu'au 26 septembre 2021





Entre l'abrupt d'une falaise et l'horizontalité de la mer se dresse la Villa Kérylos tel un défi à l'espace et au temps, et sans doute à la raison quand l'archéologue Théodore Reinach la fit bâtir au début du XXe siècle dans l'idéalisation d'une Folie de la Grèce antique. Cette construction toute en décrochages et en angles, tel un promontoire sur la Méditerranée, est un songe immobile auquel le scénariste et designer Hubert Le Gall redonne souffle aujourd'hui par la magie d'une trentaine d’œuvres toutes en courbes - sculptures et objets de mobilier créés sur mesure - dans le fantasme d'un voyage hors du temps, quand les éléments se heurtent aux Dieux et aux Hommes.

Par un détournement subtil de leur usage, les objets qu'il crée sont autant d'invitations au rêve et nous entraînent dans leur sillage à des jeux d'illusions, à des envolées poétiques pour une Odyssée tour à tour sombre et joyeuse. Une sculpture de bronze patiné, « Le cratère du temps » accueille le visiteur. Plus loin, une installation de laiton et de plumes « Le murmure des âmes » nous fait vagabonder dans un parcours onirique, d'une salle à l'autre, dans la majesté d'un péristyle, les parfums d'un jardin saisi dans les embruns de la mer. Tout est en sinuosité et les formes végétales empruntées à l'art nouveau s'enroulent comme des vagues pour dire cette permanence de la Méditerranée qui nous raconte les voyages, les mythes et les guerres mais aussi l'art quand, dans les créations d'Hubert Le Gall, on retrouve l'univers surréaliste de Dali, son humour discret ou bien la force tellurique du signe propre à Miro.

La Villa Kérylos est alors une fête pour l'esprit, un ravissement pour l’œil qui s'amuse de ces jeux de matières quand le fer forgé s’affronte au cuir, au verre ou à la tapisserie. Le baroque et la préciosité se jouent ici de toute convention. L'art est un monstre qui dévore les lieux avec gourmandise et Hubert le Gall déploie les formes du plaisir dans un bestiaire poétique qui électrise l'espace. Pasiphaé, Zéphir et Chloris et toutes les ombres lumineuses du passé et de la mythologie s'emparent bientôt de nous pour un merveilleux voyage.

A la mort de Théodore Reinach en 1928, la Villa Kérylos fut léguée à l'Institut de France et est désormais gérée par le Centre des Monuments Nationaux.