lundi 14 octobre 2024

Jérémy Griffaud, «Sous le ciel»

 


Musée National Marc Chagall, Nice

Jusqu’au 21 janvier 1025



Entre terre et ciel, l’univers de Chagall s’épanouit dans les tourbillons d’une danse où les amours, les prophètes et les hommes s’entremêlent au cœur des promesses ou des déchirures. A ce ciel constellé de lunes et de visages, dans des couleurs d’or ou de sang pour célébrer l’élévation et la vie, répond un autre monde aujourd’hui, «sous le ciel». C’est celui dans lequel nous plonge Jérémy Griffaud à travers les entrailles acidulées d’un univers virtuel, d’un paradis perdu ou peut-être d’une nouvelle promesse qu’il nous reviendrait d’entendre et d’accomplir. La vie, le vivant, tels sont les enjeux d’une peinture et d’un environnement poétique qui ferment les rideaux de l’apparence d’un monde ancien comme des paupières s’ouvriraient alors, hallucinées, sur nos existences desquelles nous nous effaçons sous l’effet des technologies.

Comme si la poésie de Chagall avait atteint son intensité ultime, un autre monde alors se façonne. Celui du jour où les anges ont disparu. Puis celui où les hommes se sont éteints. Ne reste après le feu du soleil qu’un air moite, un ciel vide qui colle à la terre quand des ailes de papillons rament de leurs ailes dans une eau visqueuse. Des lianes coulissent entre les nuages, des fleurs artificielles se meuvent parmi des créatures hybrides… Tel est ce paradis qui nous aspire ou nous menace et que l’artiste façonne aussi bien par des aquarelles imbibées d’une encre trouble que par un environnement immersif qui nous saisit dans d’enivrantes contorsions colorées pour traduire une nature sans âme.

Jérémy Griffaud, à l’aide de l’ordinateur, numérise ses images. Et la musique qui les accompagne nous conduit dans ce monde de l’anthropocène, de la fantaisie, du merveilleux et des mutants. L’artiste, entre jardin des délices et jardin des supplices, par des effets hypnotiques et un jeu psychédélique, nous entraîne dans les sillages de l’art fantastique ou d’un Jérôme Bosch mais, cette fois, pour des œuvres amputées de toute humanité et de toute morale. Il nous installe alors dans ce face à face saisissant entre nous, humains, et cette nature dénaturée et peut-être, ce ciel de paradis perdu. L’ordinateur, l’intelligence artificielle, seront-ils cette baguette magique pour réenchanter le monde et croire en un nouvel Eden? De ces traces humaines immergées dans les débris de la botanique, dans les souvenirs des chants d’oiseaux et dans une lumière morte ne subsiste peut-être que le soupçon d’une beauté à venir. Et qui a dit que seule la beauté sauvera le monde?

Sorti du Pavillon Bosio à Monaco en 2017 et Résident de la Villa Médicis en 2023, Jérémy Griffaud confirme ici qu’il est l’un des artistes les plus prometteurs de cette décennie. Dans le cadre du festival OVNi en novembre, il sera présent pour une vidéo dans une chambre de l’Hôtel Windsor à Nice ainsi que pour une installation en projection immersive, «The Garden» dans la Grotte du Lazaret. Le visiteur deviendra performer à l’aide d’un casque de réalité virtuelle si bien que l’œuvre sera dépendante de son implication.






samedi 12 octobre 2024

Florence Obrecht, «Odyssée»

 


Le Suquet des Artistes, Cannes

Jusqu’au 16 février 2025



Et si la vie était en soi une œuvre d’art dans ses éclairs quand rêves et réalité se confondent au cours de ses accidents ou de ses miracles et, partout, toujours, avec la beauté au bord du chemin? C’est à ce voyage que nous convie Florence Obrecht. Une «Odyssée» qui ne se contente pas de rassembler des images mais qui s’empare de fragments de vie glanés au fil des jours quand, pour l’artiste, l’univers se concentre dans son atelier qui se confond avec une fenêtre ouverte sur le monde.

Ainsi l’exposition du Suquet des Artistes, ne se réduit-elle pas à un accrochage de peintures mais se présente comme un cabinet de curiosité où les objets du peintre, sa palette, ses tableaux, leur matière colorée, coïncident avec le quotidien de la famille, des amis et des choses. Ici la splendeur des toiles résonne dans le vertige de la banalité des jours quand la peintre dépose une étoffe, une valise, des étendards ou de simples boites comme des reliques et des traces pour dire que la peinture est aussi une mémoire qui se dépose quand elle écrit le monde.

La peintre nous entraîne alors au gré des cimaises et des assemblages dans son Odyssée. C’est à dire dans un voyage où le mythe se réalise par la fusion de l’intime et de l’universel. Florence Obrecht nous conduit entre Charybde et Scylla sur les chapitres d’une existence ici ou là, à travers des visions d’Orient, d’Arménie, d’Amérique, d’Ailleurs ou de Berlin où elle vit. Elle glane des objets improbables, les détourne et leur accorde une parole dans un effet de confidence. Autant d’images qui se diffusent en bouquets de couleurs quand elles nous disent que nous sommes tour à tour sujets du hasard ou héros à l’ombre de nos rêves ou de nos exils. C’est cela que nous raconte l’artiste en nous donnant une magistrale leçon de peinture: Celle-ci n’est pas seulement un reflet du monde, elle est une histoire de cette volonté à inscrire l’espace et le temps dans un langage universel.

 Ici les cultures se croisent et se confondent dans une même spiritualité, se heurtent à l’histoire de l’art quand un signe renvoie à Matisse, qu’un visage est peint comme un  Picasso ou que des figures semblent empruntées à l’imaginaire surréaliste quand tout est cependant réalisé dans une perfection proche de l’hyperréalisme. Autant de paradoxes qui rendent cette peinture si troublante par ce grand écart qui s'inscrit entre le souffle épique et l’humble geste du quotidien. La couleur est exacerbée, les formes se figent dans un impossible horizon, les visages s’immortalisent dans leur maquillage… Chaque tableau parle ainsi d’une attente, d’une espérance qui traverse les jours ou les siècles pour se transformer en un bel hommage à la grandeur des petits choses.