mardi 11 avril 2017

Agnès Vitani, "L'état des choses".

Galerie Eva Vautier, Nice




En quelques pages admirables, Georges Didi-Huberman évoque le regard comme l'expérimentation d' une errance, d' un va et vient qui saisit aussi bien l'espace que le temps : « Le regard va et vient. Ce qu'il attrape ici (ou maintenant), il le perd là-bas (ou juste avant, ou juste après). Pas de regard sans cette dialectique, pas de regard sans cette ce mouvement perpétuel, sans ce jeu incessant du qui-perd-gagne.(...) Toute nouvelle inflexion du regard me fait perdre de vue – et vouer à la mémoire, qui elle-même ne garde rien en l'état – l'inflexion précédente. » (in Blancs soucis)

Or la peinture est précisément ce lieu où le regard se construit en même temps qu'il s’interroge quand il se dépose en couleur dans  la toile sur le châssis. Or, cette peinture, il faut aussi l'expérimenter et la représenter dans sa face cachée, dans sa mémoire, son histoire, par les enjeux qui président à sa matérialisation . Il faut la traduire par son envers, il faut en retourner la peau. C'est alors un retour  à la source, à  l'atelier, là où l'expérience se conjugue à l'alchimie des matières et où un espace réel se mesure à l'aune d'un espace imaginaire. Ainsi Agnès Vitani ne cesse-t-elle de donner voix à cette peinture là, saisie dans sa seule extériorité, dans l'expérience du regard qui s'énonce  en se matérialisant.
Non pas que la peinture se réduirait à des formes ou à quelque système que se soit. Mais, saisie en son amont, celle-ci parle d'une histoire qu'elle ne cesse de se raconter à elle-même. Et de cet écart entre l'expérience et la fiction , la peinture peut se formuler autrement que par ses codes traditionnels
. C'est ce tour de passe-passe que réalise Agnès Vitani. Plutôt que de montrer de la « peinture de paysage », elle en énonce les signes, la circulation du regard qu'elle suppose, son support comme ses effacements. Elle en ausculte la mémoire et en exhibe les rebuts ou les excroissances. Tour à tour, le végétal et le biologique s’emparent de l'espace d'exposition en même temps que la couleur se fige sur l'objet qui fut à l'origine de l'expérience du regard, ne füt-ce que dans le traitement imposé à un bâton de ski ou à une chaussure. Car l'artiste exhibe ici un espace mouvant à l'instar d'une promenade dont elle décompose, en couleurs, jusqu'à l'extinction du blanc, le récit. On y verra donc un « nuancier de voyage », une couverture de survie empreinte des taches de l'atelier, et de la matière colorée, calcinée, refroidie, des échos météorologiques, des grilles de frigo et l'effet matériel d'une chaleur intense sur des plastiques, des feutres tordus ou broyés autour de fils de fer, des pigments ou du papier mâché.Les objets de la peinture sont présents, physiquement et n'ont plus besoin d'être peints.
La peinture est ici, littéralement, « exprimée ». Elle peut s'affranchir de ses formes, s'émanciper de toute figure. Elle est une expérience de vie à l'image même de la vie. Elle permet toutes les métamorphoses et ce sont celles-ci qu' Agnès Vitani nous donne à voir.
M.G









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