samedi 21 février 2015

Lionel Sabatté "Infusion parfaite"

    Espace à vendre, NICE  



                Le monde de Lionel Sabbaté n'est pas celui du présent. Pas plus qu'il ne serait en prise avec le réel pour peu que celui-ci d'ailleurs puisse être désigné par l'art.
Donc Lionel Sabatté ne transige pas: il s'inscrit dans cet au-delà de l’espace et du temps où, passé et futur se dissolvent quand la représentation de la gestation est aussi l'image de la finitude. Ce qu'il désigne alors est intemporel, hors de l'espace de la pensée mais figé dans la seule durée de l'acte créatif.
               Un temps autonome donc , en rupture avec toute chronologie quand,  ce qui est représenté ou, plus exactement, suggéré - figure humaine, oiseau, alligator – prend sa source dans les matériaux convoqués : des moutons de poussière, cheveux, béton... Autant d'indices pour désigner un monde organique, fragile, trivial, loin de toute narrativité, englué dans le socle de son mystère, là ou l'infime se confond à l'intime et la poésie à la saturation, voire à la disparition, du sens.
             Car il ne faut voir ici que cette représentation de l'invisible. Que ces traces du vivant dans la fragilité et « l'impureté » de la matière, des débris, du rebut... De la sculpture ? Non de la matière tout simplement, traitée avec une liberté extrême, que le support soit peinture ou dessin. C'est bien cette matière qui contiendrait, en son essence même, l'origine de toute figure.
             Les sculptures sont cependant étonnamment vivantes alors qu'elles semblent faire allusion à un monde fossile ; elles sont tissées de ferraille et de pièces de monnaie qui brillent comme des écailles, totems hissés comme emblème du mystère. Alligators, serpents... Totems incertains pour un monde vide, réduit à ce vertige inabouti. L'art est aussi ce rituel qui exhibe un monde asséché, des figures qui semblent échouées sur ses rivages.
          Les peintures, elles, de grand format, se libèrent de tout jugement esthétique tant elles en déjouent les codes par la seule force de leur présence :frontalité, fausse fluidité, couleurs neutralisées par les glissements de l'acrylique et de l'huile qui, simultanément, ouvrent l'espace et le clôt. Car c'est bien à cette expérience très personnelle de la peinture -et du dessin- que l'artiste nous convie. Et l'évocation, encore,  de ce bestiaire primitif, à peine surgi du chaos, nous renvoie à nos propres récits, à nos contes, à notre mythologie personnelle, à nos rêves ou à nos cauchemars, comme si l'artiste , désormais, nous en confiait le témoin, pour nous laisser partir dans nos propres aventures.
           Et dans ces peintures, presque abstraites, tout s'organise autour d'un œil qui apparaît ci et là. L’œil de Caïn et du cauchemar dans la tombe, l’œil du cyclope dans la caverne, comme à la source de nos mythologies.
             L’œil aussi, centre de gravité de cette peinture, qui se saisit de celui qui la regarde. Dès lors, impossible de s'en échapper.







lundi 2 février 2015

Le périssable de Michel Blazy. Villa Paloma, NMNM, Monaco


L'art est souvent une expérience du temps, la mise en forme de ce qui perdure ou de de ce qui s'érode. Et, si la matière de l'oeuvre n'est pas exempte de cette déchéance elle prend toute sa signification lorsque, elle-même, s’inspire de la nourriture, de la digestion, de ce qui constitue le carburant de la vie...et de la mort.
La vie donc, comme temps périssable, durée incertaine qui, dans l'oeuvre de Michel Blazy, ne peut s'écrire que dans la trivialité des rebuts du  supermarché, dans l'excrémentiel de la consommation. Ainsi le matériau de l'artiste s'inscrira non dans le marbre mais dans la trivialité des biscuits pour chiens, du danone au chocolat, du coton, du jus de betterave... 
 Ce n'est pas la dérision qui l'emporte ici mais, plutôt, cette forme de méditation qui, pour d'autres, emprunterait  le symbole conventionnel du crâne dans une "vanité". ( Par exemple, dans le même lieu et au même moment, les installations de Jan Fabre avec ses croix, ses crânes tissés de scarabées mais des crânes- rapaces...)
Car l'image de la mort ne se fixe pas sur une image mais dans le processus même de la vie construite sur cette matière mouvante et périssable.
Il en résulte les traces de ce qui fut, les  ruines d'un corps recomposé par le magicien: un monde échoué sur les restes d'un imaginaire qui s'abandonne au vertige de sa décomposition. Ce qui est figurable  c'est en définitif  ce cheminement, ce matériau déjà inscrit dans sa finitude, c'est ce que voit le spectateur; une peau d'animal qui s'expose dans sa détérioration continue, quelque chose de squelettique et de reptilien condamné à la poussière, un arbre dans sa gangue d'or mais déjà exsangue...
Un monde à la représentation incertaine, déjà fossile, où se confondent passé et futur...
L'oeuvre est cet instant périssable, ultime. Sa finalité c'est sa disparition.  L'invisible est son horizon. La beauté est à ce point-là.


jeudi 22 janvier 2015

Alaleh Alamir


Galerie Depardieu, Nice 




On l’imaginerait volontiers ratisser sable et graviers d'un jardin Zen si, d'aventure, Alaleh Alamir, eût voulu figurer un espace.
 Or, c'est davantage à l'expérience d'un temps nomade que s'attache l'artiste, ramenant à la surface de la Galerie Depardieu, des fragments de vie déclinés dans une grande variété de supports : sculptures organiques de plâtre et de résine, dessins, photographies, gravures...
Mais ces moyens ne sont jamais prétexte à une narration biographique ; au contraire, l'artiste s'efface dans le monde végétal – parfois absorbé dans une gangue minérale – dans un jeu d'apparition et de disparition. Car il y a de la légèreté, de l'humilité dans ce geste quand elle parvient à saisir ce « presque rien «  au terme d'une approche quasi mystique d'une nature autant effleurée que vénérée.
L'émotion est transmise de ce monde à peine éclos, trouble, où la couleur peine à sourdre. Et de ce rituel,  quand le regard se force au silence face à tant de grâce, à tant de maîtrise dans l'élaboration de l'objet.
Pourtant le travail de l'artiste disparaît tellement les figures, incertaines, semblent, naturellement, naître de leur support.

De la poésie, une écriture du sensible. C’est tellement précieux dans l'art d'aujourd'hui !





jeudi 15 janvier 2015

"Fausses vacances" Baptiste César

Galerie 22, Rue de Dijon, NICE

"Fausses vacances" de Baptiste César.

Comme le suggère le titre de l'exposition, nous voici confrontés à un univers où le factice du medium renvoie au vide d'une représentation. C'est dire combien il nous reviendra de  donner sens quand tout se joue, de manière farceuse et puérile, dans cet entre deux improbable. Là où, pourtant, une narration s'éclôt hors de toute linéarité.
Car dans l'espace de la galerie se répondent  des films, de pseudos sculptures, des photos, un dessin, des galets échoués sur les murs où sont gravés des éclats poétiques -ou des épitaphes- comme d'ultimes messages jetés à la mer...
Peu à peu un récit se construit à partir de ces signifiants disparates. Ce sont des rappels de la Méditerranée, du monde des loisirs et, pourtant,  rien ici de solaire. A l'inverse, des cactus boueux, des visages boursoufflés comme si les acteurs de cette histoire s'y étaient noyés. Une histoire qu'il nous revient de reconstituer, par lambeaux. Au terme de cette enquête, les indices s'accumulent, se contredisent parfois,  mais l'ironie de la démarche suffit à nous convaincre que rien n'aboutira, faute de preuves. Que "l'affaire sera classée", mais comme une série d'images clownesques dans un album de bande dessinée. Le crime restera impuni.
Cet espace saturé de signes et de réminiscences c'est surtout le temps vide des loisirs, du tourisme de masse comme icône de la solitude, de l'hédonisme qui prend le masque de la mort. On songe parfois à Plateforme, le roman de Houellebecq, aux pages de Philippe Muray pour son ironie grinçante face à l'univers de la fête généralisée dont le tourisme représente la caricature ultime.
 Il faut rendre hommage à cet artiste qui a su remettre le narratif au cœur de ses préoccupations plastiques, mais avec l'impertinence et l'aplomb de celui qui se joue de tous les codes, qui sait débusquer la grimace derrière le rire... Et quel culot, quel clin d'œil ne nous donne-t-il à voir, justement, lorsqu'il s'expose ainsi à Nice!