lundi 26 mai 2025

Aurélien Mauplot, «Moana fa’ a, aro»

 


Villa Cameline / Maison abandonnée, Nice

                                  Jusqu’au 28 juin 2025



Dès l’entrée, l’espace est saturé, comme enlisé dans la poussière du temps. Contre les murs des objets se bousculent dans le désordre d’un cabinet de curiosité. Ici l’horloge s’est arrêtée, le silence s’abat sur le désert des choses pour nous confier son histoire… Ou faire semblant. Car par d’innombrables fragments - cartes, photographies, ossements ou objets non identifiés - c’est bien un récit qui éclot à l’instant même où il se dissipe. Et qu’on le prenne au début ou à la fin, qu’importe puisque nous sommes pris dans un jeu de miroir par lequel le réel se confond à l’imaginaire. Aurélien Mauplot, avec gravité, s’amuse des désordres du monde et de toute identité: Est-il le narrateur ou le héros, l’artiste ou le romancier, l’explorateur ou le lecteur? De même les chronologies se confondent-elles et, d’une métamorphose à l’autre, l’histoire claudique entre fantômes et maison abandonnée, océan Pacifique et mondes imaginaires que le narrateur étudie avec le sérieux de l’anthropologue, de l’archéologue et de toute autres sommité des sciences.

Puis l’espace s’allège, des boursoufflures de plâtre sur les murs ou de peintures écaillées se parent de taches d’or quand des réminiscences d’atolls ou des déploiements d’archipels se devinent comme dans une cartographie incertaine. Donc des personnages, un capitaine de navire, une femme Giulia, une île inconnue de Polynésie, un volcan éteint, un chef de village Oriata et le tout au XIXe siècle mais une redécouverte aujourd’hui quand personnages et temps se culbutent puisqu’une boussole n’indique plus le nord et que l’artiste lui-même se raconte dans l’imaginaire de ses véritables résidences d’artiste en Italie ou au Chili qui se confondent avec l’illustration du récit.

La Villa Cameline se transforme alors en un immense palimpseste dans lequel des strates de récit se découvrent pour se transformer en nouvelles aventures. Le monde est un labyrinthe dans lequel je est un autre. L’art est un leurre. S’y aventurer c’est risquer de soi-même se dissoudre dans les traces de cette réalité illusoire ou de ces illusions réelles. Vertige de la perception, Grandeur et misère de la vérité. Aurélien Mauplot nous entraîne dans le sillage de ses eaux troubles au cœur d’une troublante histoire de l’art revue et corrigée par Jules Vernes, Conrad…L’enquête continue, de nouvelles pistes apparaissent... Élémentaire mon cher Watson!

De verre et de pierre, Chagall en mosaïque

 


Musée National Marc Chagall, Nice

Jusqu’au 22 septembre 2025



Par son étymologie, on sait que la mosaïque, dès son apparition dans la Grèce antique, se rapportait aux muses. Cette relation aux arts et à l’architecture, Chagall en eut la révélation lorsqu’en 1954, au retour d’un voyage en Grèce, il s’arrêta à Ravenne où il découvrit ses splendeurs byzantines. Des voûtes célestes drapées d’or et de bleu pour un hommage à l’élévation et à la spiritualité répondaient intimement aux aspirations de l’artiste qui, un an plus tard, peignit une gouache, le «Coq bleu» qui sera sa première esquisse pour une mosaïque. Ce n’est qu’en 1958 qu’elle sera transposée à Ravenne en deux versions par deux mosaïstes différents ouvrant ainsi la voie à quatorze projets de mosaïque murale à travers le monde conçus jusqu’en 1979.

Cette aventure d’une collaboration du peintre avec des artisans nous est racontée selon un parcours chronologique et se diffuse sous les auspices du «Prophète Elie», cette mosaïque qui ensoleille le bassin du Musée niçois avant que l’exposition ne voyage vers le Musée de Ravenne… Documents relatifs à l’exécution des œuvres, travaux préparatoires et bien sûr, vastes photographies de l’ensemble de ces réalisations, illustrent cet aspect trop méconnu de l’œuvre de Chagall. Et pourtant c’est dans le sud, entre Nice au Musée Chagall et à la Faculté de droit, la Fondation Maeght et l’école de la Fonette à Saint Paul de Vence, la cathédrale de Vence et la chapelle Sainte-Roseline des Arcs-sur-Argens qu’on peut découvrir six de ces mosaïques.

D’inspiration mystique ou relatives à l’Odyssée, les œuvres célèbrent l’amour et la joie. La dimension des mosaïques et le subtil assemblage d’une multitude de tesselles sur les parois soulignent ce sentiment d’exaltation qui se traduit par un effet de miroitement ente la matité et la brillance de la pâte de verre ou du marbre. L’espace frémit de toutes ces parcelles de lumière d’où surgissent contes et merveilles. Et le sol même du musée se parsème des éléments de ces mosaïques. Sur plusieurs salles, dessins, peinture ou lithographies se mesurent aussi à la réalité de ces réalisations de verre et de pierre. Cette pratique ancestrale, dans une tradition d’artisanat et par son ouverture à un large public, correspondait aux vœux du peintre qui toujours s’attacha aux liens entre la poésie, la musique et les arts décoratifs.

La mosaïque est une pratique d’assemblage de milliers de fragments irréguliers de matières qui constellent une paroi. Elle résulte d’un long travail que Chagall surveilla constamment en guidant les artisans dans l’agencement des éléments et la nuance de leurs coloris. Cette exposition évoque toutes les facettes de cet art qui, à l’instar des fresques, illuminent des pans entiers de l’architecture.




jeudi 22 mai 2025

«Vertigo», Fondation Carmignac

 


Île de Porquerolles

Jusqu’au 2 novembre 2025



Il y a le ciel et la mer et tout ce qu’une île peut délivrer d’un paysage. Mais celui-ci est mouvant et ne se laisse jamais absorber dans une simple image. Il résulte d’une rencontre entre qui le perçoit et l’éprouve et une nature multiple, tumultueuse qui répond à l’œil ou à l’esprit du poète ou du peintre. Mais l’art ne saurait s’asservir à rendre fidèlement la copie du réel si bien que cette rencontre s’apparente à une expérience pour détricoter les mailles de l’apparence, un «vertigo» donc, une aventure par laquelle l’artiste se confronte à la transparence de l’air, au ressac des vagues, à la brûlure du soleil à moins qu’il ne se laisse emporter par le vent. Cet état physique de qui se mesure à l’atmosphère se donne à voir, au seuil de l’invisible, dans cette exposition pensée par Matthieu Poirier dans l’architecture de la Fondation Carmignac entre pierres, mer, oliviers et herbes folles.

Les œuvres présentées résultent de ces états où la conscience se modifie de telle sorte que la représentation du monde se craquelle au point de se dissoudre dans une pure abstraction. Voici donc un voyage déstabilisant qui nous entraîne dans les sillages de l’art abstrait des années 1950 jusqu’à aujourd’hui. Une Odyssée du regard entre ombres et lumières qui s’ouvre sur un déluge de pigments dans une nébuleuse colorée de Flora Moscovici, «A la poursuite du rayon vert». D’emblée le ton est donné, les portes de la perception s’entrouvrent pour laisser place au trouble, à l’effervescence des sensations et à l’immersion dans un monde sans repères. En plusieurs chapitres, l’exposition nous mène vers des contrées qui nous emportent successivement dans l’esprit des forces telluriques, des mondes sous-marins ou de la seule atmosphère, là où toute représentation nous est interdite. C’est donc bien une histoire de l’art qui est ici en train de s’écrire entre les peintures de feu et le bleu d’Yves Klein, une condensation lumineuse d’Hartung ou l’intrusion dans un univers parallèle par le trouble déroutant du rouge et noir de James Turrel. Les phénomènes s’éprouvent alors dans leur instabilité, vagues, nuages, couleur pure, illusions… Se dissoudre dans les voyages brumeux de Thu Van Tran, ou les résonances hypnotiques d’Oliver Beer, autant de nouvelles expériences pour s’immerger dans le seul monde des sensations.

Pourtant au-delà des magmas et des brumes, il existe cette abstraction rigoureuse de la ligne et de la couleur. L’univers se saisit alors dans la seule incandescence d’un trait, la perfection d’une courbe, le cisaillement de l’espace. Uns sculpture d’Artur Lescher nous le rappelle comme une toupie qui nous désorienterait en restructurant l’espace entre pointes acérés et ombres portées. Sous un plafond d’eau, une sphère jaune de Jesus Rafael Soto rayonne de ses pleins et de ses vides comme un soleil réduit à un pur objet pour une méditation sur l’énigme de la matérialité et de l’énergie qu’elle diffuse. Une cinquantaine d’œuvres d’artistes internationaux ponctuent ce parcours initiatique qui se poursuit dans les jardins… Sensations encore, vertige toujours.






dimanche 18 mai 2025

Jean-Michel Othoniel, «Poussière d’étoiles»

 


Centre d’art La Malmaison, Cannes

Jusqu’au 4 janvier 2026



Alors qu’il interprétera cet été en Avignon, «Les fantômes de l’amour», c’est aujourd’hui à Cannes, dans une Malmaison hantée de «Poussière d’étoiles» que Jean-Michel Othoniel diffuse sa symphonie d’or et de lumière. Il faut en effet parfois s’extraire des blessures du temps pour célébrer la beauté du monde et l’artiste se saisit de l’espace cloisonné du lieu pour, au cœur de la Croisette, restituer les courbes majestueuses de ses palmiers, l’incandescence solaire et le miroitement du ciel dans le bleu de la Méditerranée.

C’est donc dans un rêve éveillé, parmi les méandres d’un conte où tout ne serait que luxe et volupté que nous entraîne Othoniel. Le rez de chaussée baigne dans le poudroiement de l’or que l’artiste, tel un magicien, diffuse dans d’immenses colliers de sphères de feu comme autant d’astres pour le souvenir d’un paradis perdu. Dessinateur, peintre, sculpteur de rêves, Othoniel nous rappelle que l’or, issu d’une collision de supernovas, serait selon les astrophysiciens un matériau issu d’une autre planète. Ici il essaime l’espace de ses spirales enchantées comme la promesse d’un idéal qui se réaliserait dans la transparence de l’eau lorsqu’elle jaillit de fontaines lumineuses dans un jeu de reflets qui se répand d’une salle à l’autre.

Aux étages supérieurs, la couleur rayonne pour une immersion dans le merveilleux sous le signe du langage des fleurs. Le verre, matériau de prédilection pour l’artiste, s’inscrit dans le rayonnement d’un bouton de rose à l’aube de son éclosion ou dans la délicatesse d’un lotus blotti dans sa spiritualité. Car l’art est aussi un acte de méditation pour s’abstraire des misères du monde et le réenchanter. Et ce monde résulte aussi de cette plongée au-delà des vastes fenêtres qui, ici, nous conduisent jusqu’aux horizons de la Méditerranée. Du dedans au dehors se joue cette secrète alchimie du réel et du merveilleux dans les entrelacs de briques et de sphères.

Il ne s’agit plus alors seulement de voir mais d’éprouver l’univers à travers une communion des sens. Les couleurs ont un parfum. Les chapelets d’astres rutilants qui s’égrènent du sol au plafond répandent leur suc comme les éléments d’une bonbonnière avec les sucreries d’une enfance perdue. Le luxe parfois se pare de la naïveté de l’innocence quand on veut s’évader vers d’autres ciels… A l’image de l’art baroque, tout n’est que chant, danse, élévation… Les parures de perles que tisse Jean-Michel Othoniel dessinent autant de larmes de bonheur que de douleur pour une œuvre toute en profondeur bien au-delà de l’effet de fascination qu’elle suscite. Plongeons alors parmi les méandres de la poésie et nulle besoin d’une boule de cristal pour prédire que cette exposition ravira toute personne qui s’immergera dans cette seule promesse du bonheur.