mercredi 24 octobre 2018

Noël Dolla, "Sniper"


Le mouvement « Support Surface » s'est constitué à la fin des années 60 sur la volonté d'une pratique qui s'inscrirait sur la matérialité de la peinture telle qu'elle s'énoncerait à travers son histoire. Celle-ci suppose donc une idéologie et, de fait, se définit comme discours. Et ce sont bien aussi des mots qui inaugurent cette exposition « Sniper » de Noël Dolla, des mots délivrant le stricte contenu minimal d'une balle qui traverse l'espace comme son point final pour atteindre sa cible. Guerre, mort et silence imposent alors la syntaxe d'une trajectoire que la peinture ici énonce et dénonce tout à la fois.
Il y faut calculer le recul, l'angle de visée, et, en corollaire, la maîtrise du corps qui s'efface puis cette tension brutale qui se relâche. Puis la détente. L'explosion. Et de l’autre côté, l'invisible d'une disparition absolue. N'est-ce pas cela aussi l'acte de peindre ? Noël Dolla peint donc ce geste d'un relâchement, l'instant de la trace, ou, plus précisément, il le déploie en exhibant les signes et les lignes qui le constituent . Des fils et des boules colorées traversent l'espace comme pour figurer la trajectoire des balles si ce n'est aussi la résonance d'un langage qui s'apparenterait au morse. Des toiles ou des voiles structurent l’ensemble et, aux murs, l'impact du tir, les fleurs de sang ou « les fleurs du mal », ainsi que les définit l'artiste. Des taches de couleurs éclatées et chacune d'elles épouse la forme de l'iris d'un œil. Débris de chairs, éclaboussure du regard. Œil du peintre ou du sniper. Œil comme perforation, trou, sexe, mort. Tout se fait dans le coin de l’œil -in ictu oculi.
Dans « Dits et écrits », Michel Foucault écrivait pour sa « Préface à la transgression » : « La mort n'est pas pour l’œil la ligne toujours levée de l'horizon, mais, en son emplacement même, au creux de tous ses regards possibles, la limite qu'il ne cesse de transgresser, le faisant surgir comme absolue limite dans le mouvement d'extase qui lui permet de bondir de l'autre côté. »
Noël Dolla peint avec tous « ces regards possibles ». Il y met de l'humour et de la colère, du silence et du sens avec, toujours en ligne de mire, cette invisibilité qu'il lui faut toujours débusquer. La grimace et le rire conjurent l'horreur. Et l'arme ou le pinceau cèdent à la jouissance grand guignolesque de l'arme fatale, l'ADWC.45, «  l'arme à déboucher les chiottes », l'outil de nettoyage pour projeter un peu de couleur sur la noirceur du monde. L'éclabousser de rire plutôt que de sang !

Le Narcissio, Nice, jusqu'au 24 novembre 2018




lundi 22 octobre 2018

Karine Rougier, "Les sables mouvants"



Telle la belle arlésienne, la peinture, par sa rareté, suscite l'attente d'une promesse, d'un rêve d'exprimer le monde dans toute son intensité. Mais il arrive que la peinture s'incarne dans la structure même de ce rêve. Sans prémonition, sans qu'il ne dise rien de ce que la toile ou le dessin pourrait représenter, ce rêve dans sa nudité apparaît comme une peau sur laquelle s'inscrivent fantasmes, désirs et tous ces excès que le réel ne cesse de réprimer. A voir les peintures de Karine Rougier, on pense alors au vers de Pierre-Jean Toulet dans son poème « En Arles » : « Prends garde à la douceur des choses ». Non pas que celles-ci soient empoisonnées. Ni même qu'elles ne renvoient au néant: il suffit qu'elles s'accordent à l' image neutre de ce qu'elles voulaient exprimer. Comme à l'accoutumée, l'Espace à vendre nous propose une approche de la figuration mais par le biais de l'humour ou de la poésie. Et c'est sur ce dernier registre que l’œuvre de Karine Rougier se déploie.

C'est sans doute dans ce territoire étroit de l'image neutre que l’œuvre de Karine Rougier devient lisible. Sa visibilité, elle, se réduit à une surface superfétatoire. Et si le tableau se drape d'un récit, celui-ci ne déroge en rien à la vérité de son mutisme originel, à la viscosité trouble du fond. Telle est la scénographie de l'artiste qui joue de l’ambiguïté entre fluidité et épaisseur, glauque et transparence, pour faire apparaître la trame d'une narration. Mais rien que la trame car la poésie réside justement dans cette solitude des choses, comme si les objets et les êtres étaient amputés de toute finalité. Privés de toute substance, leur présence erratique les condamne à faire « bonne figure » dans un jeu inutile quand la règle leur impose cette seule inutilité au monde.

 Chaque figure est alors cet îlot esseulé porteur de sa seule étiquette, aussi sèche qu'une définition de dictionnaire. On reconnaîtra là l'écho d'une figure mythologique, d'un dieu exotique, d'un animal totémique à moins qu'il ne soit qu'un jouet. Icônes et signes anonymes, dépouillés de toute identité. Et les êtres ici se hissent dans des profondeurs ou s’abîment dans des altitudes vaines qui ne leur renvoient que l'image de leurs mouvements incertains dans la grammaire figée de ce qu'ils étaient condamnés à être. Autant dire qu'une certaine tristesse rayonne ici, mais dans la délicatesse, car si tout semble joué d'avance, leur seule présence au monde leur confère une sorte de pouvoir magique.

 Chaque élément saisi dans sa singularité contient en lui-même cette part d'indicible et d'invisible qui en fait la richesse. On pense à ces peintures de Morandi ou de Balthus, ces peintres de la solitude et du silence. Les êtres et les choses semblent être là, fanés dans leur éternité mais en même temps ils portent dans leur intériorité ce rêve de fleurir, ce désir de s'abandonner à la vie. Tout se joue alors dans ces lisières du réel et de l'imaginaire, d'une réalité crue, de l'érotisme ou de la simple beauté. L'univers de Karine Rougier possède cette beauté trouble d'un débordement qui ne s'exprime qu'à sa source, d'un silence qui précède le cri. C'est cela la poésie.

La Strada N°302


L'espace à vendre, Nice, jusqu'au 1 décembre 2018





mercredi 10 octobre 2018

Bernar Venet, "Les années conceptuelles 1966-1976"


« Un coup de dés jamais m'abolira le hasard », écrivait Mallarmé dans un poème où les mots jouaient de leur disposition et les phrases s’énonçaient par fragments. En ôtant le d à la fin de son prénom, Bernar Venet pensait-il déjà à ce concept d'un jeu où l’aléatoire se mesurait aussi bien à lui-même qu'à la rigueur d'une règle ?
« Les années conceptuelles 1966-1976 » illustrent parfaitement ces expériences de sens et de non sens qui furent au cœur des préoccupations de l'artiste. Il confronte alors le hasard à la logique mathématique et les équations à l'espace. Pour s'attaquer aux conventions de l 'art français de son époque, il se réfère aussi bien à Marcel Duchamp qu'au formalisme américain. Partant de ce principe d'incertitude et de mise en accusation du sens, comme le fit en un autre temps Mallarmé, Bernar Venet renie tout subjectivisme et rompt avec les tentations romantiques toujours à l’œuvre dans l'Ecole de Paris.
L'exposition du MAMAC s'intéresse donc à cette première période de l'artiste qui réfute toute portée esthétique ou symbolique dans sa pratique artistique pour la confronter à sa forme seule, à sa relation au plein et au vide. Aussi Bernar Venet, bien avant les gigantesques sculptures en acier corben qui feront sa réputation aux quatre coins du monde, s'intéresse-t-il au concept même de l’œuvre et de l'idée qu'elle sous-tend jusqu'à laisser celle-ci exclure la notion même de créateur. L'artiste est alors pluridisciplinaire, tour à tour plasticien, musicien, poète et même créateur de ballet. Mais la recherche mathématique et sa réflexion sur l'art et son rapport au minimalisme ne cesseront d'être le centre de gravité de son travail.
Quittant la France, il s'installe à New York en 1966 à la suite d'Arman dont il sera un moment l'assistant. Dès lors il délaisse ses premiers travaux marqués par le noir, le goudron, le charbon et les matériaux pauvres tels le carton. Loin de l’expressionnisme qui domine encore en Amérique, ses rencontres avec Donald Judd, Sol LeWitt, Robert Smithson ou Michael Heizer, l'orientent vers un minimalisme de plus en plus radical. L’œuvre tend à se dématérialiser. S'il s'empare du principe tautologique énoncé par Stella : « Ce que vous voyez est ce qui est à voir », paradoxalement il revendique davantage « un art du contenu plus que de la surface ». En effet, ces dix années conceptuelles sont pour Bernar Venet l'objet d'un processus d 'épuration des formes et de la matière à partir d'une recherche autour des sciences exactes, de l'astrophysique et des mathématiques. Autant d'approches pour défaire les paramètres qui définissent l'objet. Celui-ci se dissout désormais dans la pensée et atteint la pureté du concept lorsqu'il n'est plus plus que réductible à des courbes, à des dessins industriels, à des diagrammes mathématiques.
Tout se réduit alors à des lois essentielles, à des plans, à une esthétique de la pensée. En 1968 il expose déjà dans les galeries les plus influentes de Manhattan, chez Léo Castelli ou la Paula Cooper Gallery. En collaboration avec des chercheurs de Columbia, il créée une performance au Judson Church Theater. Puis il s'impose un retrait de la scène artistique, revient à Paris où il continuera sa réflexion sur l'art à la Sorbonne et dans plusieurs universités européennes. En 1976 Bernar Venet retourne à New York. Une nouvelle aventure commence alors avec l'éclosion des sculptures de lignes indéterminées.

La Strada, N°301

MAMAC, Nice du 12 octobre 2018 au 13 janvier 2019





jeudi 27 septembre 2018

L'oeuvre d'Yves Hayat à Grasse et Draguignan


                       

    Dans « La part maudite », Georges Bataille affirmait qu’en parallèle à l'activité humaine consacrée à la conservation de la vie et à la continuation de l'activité productive, il existait « une seconde part représentée par les dépenses improductives, le luxe, les deuils, les guerres. » A cette sphère il faudrait adjoindre l'art et c'est aussi de cela que traite l’œuvre d'Yves Hayat.
                       Les deux expositions qu'il présente simultanément à Grasse et à Draguignan  révèlent ces deux versants -luxe et guerre- auxquels l'art confère une forme particulière. Dans la crypte de la Cathédrale de Grasse, l'artiste s'empare de la peinture classique et de sa relation au religieux pour marquer son décalage mais aussi son ancrage avec le monde contemporain par le biais de la violence et de la guerre. Dans la Chapelle de l'Observance de Draguignan, son œuvre est liée à l'industrie du luxe. Mais elle s'inscrit dans l'écriture d'un même champ étymologique où luxe, luxure et lucre  se mêlent; elle se formule dans cet espace dans lequel aucune morale n'a prise, sur ce terrain vague où les mauvaises herbes côtoient les plus belles fleurs. Il revient alors à l'artiste de lui donner forme en maniant cette glaise où la beauté se conjugue à l'horreur, là où l'humanité semble à jamais absente. Guerre et violence ne cessent de hanter aussi ce monde-là. Georges Bataille associait la dépense au sacrifice quand Hayat en restitue l'image « luxuriante » mais comme sur du papier glacé: Image de cette collision tragique entre la beauté formelle, l'argent dont elle n'est pas indemne, et les catastrophes humaines qui en découlent.
                   Yves Hayat vient de la publicité, c'est à dire de la « séduction » qui, étymologie encore, nous conduit "hors du chemin"... Mais l'art ne se soucie guère de cette morale là quand il porte la prémonition de nouveaux chemins en friche comme des territoires à conquérir pour un monde meilleur. Encore faut-il exhiber les stigmates de tous ces objets liés au désir, à la mode, à l'accumulation somptuaire et à ce qui peut en résulter comme horreur.
                          Hayat travaille à partir de photographies de l'industrie du luxe qu'il associe à celles de la guerre et des ruines. L'artiste maîtrise tous les codes de la publicité, ceux d'un message simple s'appuyant sur un langage de masse et la perfection du support. Mais ici l'objet de luxe est taraudé par l'idée de luxure ; il est poussé dans ses retranchements, déformé, acculé à l'extrême de son possible jusqu'à menacer de sombrer sur le versant de la cruauté. Sous la peau séduisante des images, un enfer nous menace.

La Strada N°301

Crypte de la cathédrale de Grasse jusqu'au 15 novembre

Chapelle de l'Observance à Draguignan jusqu'au 8 décembre





mardi 25 septembre 2018

Un cabinet atomique, intervention à la Villa Cameline


                             
Céline Marin

                                  La tonalité et le concept d'une exposition se dévoilent souvent par son titre. De même que sa scénographie, d'autant plus lorsque celle-ci se confie au cadre très particulier de la Maison abandonnée (Villa Cameline). Ce titre donc, «Un cabinet » atomique» décrit en lui-même ce que les salles précieusement défraîchies d'une maison surannée nous proposent: il porte en lui l’indéfini du déterminant de ce nom qu'il désigne. Car ce «cabinet » est bien, dans sa désuétude, un monde oublié mais aussi ce lieu où un émiettement de sens se produirait au terme d'une déflagration. A moins que sa polysémie ne renvoie aussi à ces aréopages de spécialistes de domaines variés, tous concentrés sur une même tâche. Car cette exposition ambitionne de briser les cadres, de rassembler des artistes, des scientifiques ou des écrivains pour jouer des interférences, voire des débordements, qui se formulent quand les propos des uns se confrontent aux propositions plastiques des autres. On songe alors à l’extraordinaire contemporanéité de Shakespeare écrivant dans Hamlet, « Il suffit d'un atome pour troubler l’œil et l'esprit. » Atome au sens des matérialistes grecs comme dans celui de la menace apocalyptique du monde nucléarisé, il y a sans doute tout cela dans cette exposition.
                                  Les peintures de Jean-Simon Raclot sont rongées par des couleurs flasques qui sont des lichens étouffant le paysage. Quant à Arnaud Rolland, il peint l'atome dans son angoissante frontalité selon les codes de la peinture classique comme si le temps s'était aliéné à l'horizon de la catastrophe finale. Anne Favrez et Patrick Manez nous proposent l'image d'un « paysage résiduel », image nue du chaos quand Céline Marin dessine les décombres hallucinés de nos jeux et de nos rêves, le jour après...
                             Impossible d’établir une synthèse pour ces contributions de cette trentaine d'artistes, musiciens, médecins, architectes, ingénieurs et autres qui, chacun, apporte son regard, son interprétation et, parfois, une vision plus positive par le recours à la science. Car l'intérêt d'une telle exposition, c'est aussi de nourrir un débat dans un autre contexte que celui du champ médiatique ou politique. Il s'agit alors de subvertir la simple argumentation par le choc de la rationalité et de l'imaginaire. Et de montrer comment ces flux d'idées et d'images, de matières et de mots, produisent aussi bien des déconstructions que des potentialités de formes. Les images de science-fiction sont toujours les figures d'un pressentiment. A nous de les faire mentir en saisissant ces œuvres comme un travail sur l'image et sur l'avenir qu'elle porte. Leur seule rédemption serait de déchirer le voile du malheur en réconciliant, pour reprendre les mots de Shakespeare, « l’œil et l'esprit ».

La Strada, N°300

Avec Sophie Braganti - écrivain (Nice) • Eric Caligaris - musicien (Nice) • Clémentine Carsberg - artiste (Marseille) • Baptiste César - artiste (Paris) • Thomas Clapier - ingénieur (Nice) • Peter Cusack - musicien, membre du CRiSAP (Creative Research in Sound Arts Practice, Londres) • Anne Favret et Patrick Manez - photographes (Nice) • François Fincker - médecin, médecine nucléaire (Nice) • Eric Laurin - directeur artistique aux éditions Lombard (Nice - Bruxelles) • Antoine Loudot - artiste (Monaco) • François Remion - architecte (Nice) • Céline Marin - artiste (Nice) • Olivier Marro - journaliste, critique art & cinéma (Nice) • Aurélien Mauplot - artiste (Saint-Frion) • Jürgen Nefzger - photographe (Paris - Nice) • Tadashi Ono - photographe (Tokyo - Arles) • Sidonie Osborne Staples - artiste (Strasbourg - Lille) • Maxime Parodi - artiste (Nice) • Jean-Simon Raclot - artiste (Nice) • Arnaud Rolland - artiste (Berlin) et la participation d'Ernest Pignon Ernest (Paris - Nice )

 Villa Camenine, Nice, jusqu'au 28 octobre


                                                       Jean-Simon Raclot

lundi 24 septembre 2018

Martin Caminiti "Tête en l'air et sans mobile apparent"


                                 

                                     Rien de plus indéfinissable qu'un objet de Martin Caminiti. Parler d'objet c'est encore ici se résigner à le nommer ainsi quand il oscille entre dessin et sculpture, ombre et représentation, insecte ou végétal. Car cet objet semble se dérober à lui-même et au temps dans lequel il s'inscrit. Autant dire qu'il le traverse, incongru, presque immatériel, qu'il malmène ou structure l'espace qui le contient et qu' il témoigne ainsi d'une manière d'approcher ce que pourrait être une œuvre d'art : une trouée, une échappée dans le temps et l'espace, une hypothèse de sens pour déjouer les atours séduisants mais illusoires du réel.
                            Aveuglé par l'image d'un présent autant obsessionnel qu' éternel, l'homme de la consommation se consume au fur et à mesure qu'il érige l'éphémère comme signe du vivant jusqu'à utiliser des pratiques dites artistiques pour dénier à l'art toute possibilité de produire des utopies et des formes nouvelles. C'est à dire tout ce qui se joue en dehors de l'espace et d'un temps quand il se déchire de sa seule actualité. Giorgio Agamben en 2008, dans « Qu'est-ce que le contemporain ? » écrivait : « Celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n'adhère à ses prétentions, et se définit, en ce sens, comme inactuel. » L'art de Martin Caminiti est inactuel car il détourne l'usage des choses, les mythologies de l'utilitaire pour les traduire en icônes incertaines de notre temps. Fausses idoles mais créations magiques pour un siècle aux rêves perdus. Sont-ce des libellules, ces fils tendus sur du verre, ces filaments aériens qui dessinent des flexions contre un mur ou vers le ciel ? Ou bien figurent-ils quelque motif végétal qui se serait échappé de la gangue de l'industrialisation, d'une bicyclette ou d'une canne à pêche?
                            Rythme, douceur, poésie, regard dédaigneux sur le temps, humour sur l'ironie et l'obsession matérielle. Martin Caminiti est l'artiste du détachement. On peut espérer que la légèreté de ses constructions incertaines épouse les courbes d'une calligraphie nouvelle pour dire autrement le monde, loin de l'art des carrefours ou de la finance, loin de l'asservissement au grondement des frustrations haineuses des uns et des autres... On peut aussi rêver.

Galerie Matarosso, Nice, jusqu'au 6 octobre 2018



vendredi 21 septembre 2018

Satie 152, Marcel Bataillard, Frédérik Brandi, Kristof Everart


"Faut-il (encore) célébrer le 152ème anniversaire de la naissance d'Erk Satie?"

                     Le musicologue Roland de Condé écrivait : «  Erik Satie vécut emmitouflé dans son ironie ». Et  celle-ci demeura la seule ligne directrice d'un personnage chaotique, toujours en mouvement, anticipant les avant gardes et ne se fixant nulle part. Musicien d'ameublement comme il se plaisait à se définir, il écrivait, dessinait et l'artiste de cabaret repoussait dans l'ombre le créateur de génie. Mystique mais communiste, misérable mais mondain, celui qui fréquenta les plus grands restera « l'inconnu d'Arcueil».
                A cette ironie, il fallait répondre par la grand pompe d'un 152ème anniversaire ! Le collectif créé à cette occasion par Marcel Bataillard, Frédéric Brandi et Kristof Everart sous l’appellation de « guignol's band » interprète dans une joyeuse cacophonie le rapiècement de quelques éléments biographiques ou artistiques qui éclairent, prolongent et questionnent l’œuvre de Satie. Qu'en reste-il aujourd’hui? Et qu'en est-il désormais de la notion d'avant garde ? A mi-chemin entre l'exposition et le spectacle, cette expérience se garde bien de répondre à ces questions mais s'amuse à accentuer les éléments disparates que l'artiste apportait en se jouant de tout questionnement. L'humour se conjugue ainsi à l'absurde mais toute la réussite de ce Guignol's band repose sur cette prémonition d'un rythme autre, d'un processus de pensée différent, d'une esthétique à rebours des codes déjà formulés. Dans leur sauvage modestie, nos artistes préfigurent de nouvelles formes. Tous les chemins sont bons pour une telle aventure burlesque et on les défrichera à l'aide de créations numériques, d'installations sonores, de dessins, et d'assemblages hétéroclites. Ici l'on ne s'interdit rien et le grand écart est la seule règle jusqu'à la déchirure. On rit et le rire est libérateur.

Villa Arson, Nice jusqu’au 14 octobre 2018






mercredi 5 septembre 2018

Catherine Issert , Sainte Roseline, Les Arcs


                             Le domaine de Sainte Roseline est l'un de ces vignobles du Var dans lesquels les sculptures se mêlent à la pierre et aux teintes contrastées d'une nature glorieuse. Des œuvres imposantes, dont celles de Sosno et de Farhi s'incrustent sur cette terre et font résonner vignes et oliviers dans toute leur intensité.
  
  

                             Mais Sainte Roseline c'est aussi une merveilleuse chapelle qui, depuis 1329, conserve le corps de la Sainte revêtue d'habits sacerdotaux. Un bas relief de Giacometti offert par Marguerite Maeght en 1976, illustre le "miracle des roses". On y admire une mosaïque de Chagall représentant le repas des anges. Quant aux vitraux de Bazaine et d'Ubac, ils répandent dans ce lieu de méditation une lumière flamboyante. 





                            Cet été le domaine s'est associé à Catherine Issert pour présenter quelques artistes qui se sont par ailleurs exprimés dans le cadre  de la première Biennale de Saint Paul de Vence: Vincent Barré, Vincent Mauger, David Nash, Bejamin Sabatier et Vladimir Skoda. La simplicité des œuvres qui jouent sur la géométrie  et de sa relation aux matériaux confère au lieu une  puissance particulière. A voir et à vivre jusqu'au 30 septembre!









lundi 16 juillet 2018

Tom Wesselmann, "La promesse du bonheur"


NMNM, Villa Paloma, Monaco, du 29 juin au 6 janvier 2019




Plutôt que de prétendre à une présentation exhaustive de l’œuvre de Tom Wesselmann le commissaire de l'exposition a délibérément choisi un angle d'attaque pour répondre à la polémique suscitée par certains aspects du travail du peintre. Nous voici donc plongés dans les années 60 à New York lors de l'émergence du Pop art dont Wesselmann fut l'un des principaux protagonistes. Refus de l’expressionnisme abstrait et regard critique sur la société de consommation avec la perte du réel et la chosification du corps qu'elle entraîne, tels seront les marqueurs de ce mouvement qui marquera profondément l'art de notre temps.
Mais Tom Wesselmann s'est attaqué radicalement à l'image. Celle-ci reste froide, clinique. Si elle se charge du désir matériel ou sexuel figé dans les signes de la publicité ou du cinéma, elle se dissout dans les effets de massification qu'elle implique. L'individu s'incarne dans des stéréotypes, la réalité du désir se fait piéger par la codification même du fantasme. En effet, les personnages ne sont plus que le reflet de l'image que la société leur renvoie. Dépouillés de toute psychologie, les yeux absents, ils sont exilés en eux-même et dans le monde. Tout est découpé, les choses et les êtres ne sont plus que des signes vides, des icônes silencieuses, des mains, des seins, des jambes, des sexes réduits à un idéal inaccessible qui nous condamne à la position du voyeur.
Aussi a-t-on pu reprocher à l'artiste une chosification de la femme à une époque ou celle-ci commençait à théoriser sa libération. L'exposition tend alors à corriger cette idée en montrant combien ce jeu de tensions et de silences prend en charge les deux sexes. Et que ceux-ci sont condamnés à tenir un rôle de figuration dans une vie dont le scénario et la scénographie leur échappe. L'érotisme apparent se dissout alors dans la platitude du quotidien et le réel se confond avec l'univers de la publicité et de l'imagerie de masse. L'artiste énonce et dénonce dans un même geste cette captation du vivant par ce regard artificiel qui est devenu le nôtre. Mais le constat n'est pas désespéré, l'idée du bonheur rode encore sur ce monde...
 L'exposition se pare de l'allusion de Stendhal à cette relation à la beauté qui serait « la promesse du bonheur » . Tel en est le titre et la beauté survit en effet à ces nus malgré la glaciation des désirs. Tom Wesselmann, sait peindre, dessiner, travailler le plexiglas, jouer de tous les assemblages pour des points de vue vertigineux. Ce réel perdu qu'il dépeint avec brio porte aussi l'espoir d'une réconciliation de l'homme avec son imaginaire. C'est en cela qu'il faut en effet parler de bonheur. Pour la beauté qui subsiste et parce qu'à l' instar de Camus, « il faut imaginer Sisyphe heureux ».

La Strada N° 297

mercredi 11 juillet 2018

Alain Clément, 2012-2018




Cette puissance qui nous saisit face à l’œuvre d'Alain Clément est celle de la peinture telle quelle, dans sa seule mise à nue par la violence des formes et des couleurs qu’elle contient, à sa source, avant même d'investir l’hypothèse une œuvre. Mais une violence sereine comme habitée des seules pulsations du monde, de ses modulations, de ses éruptions incontrôlables comme de l' harmonie qui pourtant le façonne aussi. Voici donc une peinture sincère, qui s'offre alors dans son geste primitif, dans celui de la seule brosse qui décrit le mouvement du bras, se prolonge dans le ciel des couleurs et pourtant se fige ou se contracte au cœur de la toile comme si l'artiste saisissait alors  un instant d’éternité.
Cette force s'exprime et se comprime dans ses limites internes comme dans   celles du cadre qui l'enserre. Plus précisément, cette peinture, si mesurée, parle de la démesure dont elle procède et renvoie l'image de sa seule tension. C'est pour cela qu'elle déborde toujours vers autre chose que ce qu'elle suggère, qu'elle désigne les obstacles auxquels elle se heurte dans la représentation de l''imaginaire ou du réel. Son abstraction parle alors de la figure, du corps, de ses découpes, de ses torsions et l'on perçoit la hantise de la peinture de Matisse.
Alain Clément ne cesse de peindre sur l'histoire de la peinture ; il connaît toutes les stations de ce périple qu'il entreprend avec rigueur et humilité quand tout aboutit à un signe définitif , à ses ondulations, à sa cristallisation dans l’œuvre d'un artiste. Alain Clément ne peint pas d'image, il célèbre un hommage à l' histoire de l'art.
Et d'ailleurs est-il seulement peintre? Sa peinture se matérialise alors dans la découpe froide du métal, elle devient sculpture, elle lacère avec grâce l'espace qui l’accueille et lui livre ses courbes, l'authenticité de ses couleurs primaires comme pour une offrande à ceux dont il est l'héritier.
Alain Clément n'est pas le peintre des ruptures mais plutôt celui d'une éclosion lente, d'une méditation sur ce qui fut et sur ces formes minimales qui en résultent : une rythmique, une incandescence – l'écho toujours bruissant d'une origine. Regardez cette œuvre. Elle est féroce. Elle laisse sur les côtés tous ces décombres de formes ou de pensée qui ne sont rien. Impitoyablement, elle éclaire ce vide.

La Strada N° 298

Centre d'Art Contemporain, Châteauvert (Var)
Du 8 juillet au 25 novembre 2018