mardi 25 septembre 2018

Un cabinet atomique, intervention à la Villa Cameline


                             
Céline Marin

                                  La tonalité et le concept d'une exposition se dévoilent souvent par son titre. De même que sa scénographie, d'autant plus lorsque celle-ci se confie au cadre très particulier de la Maison abandonnée (Villa Cameline). Ce titre donc, «Un cabinet » atomique» décrit en lui-même ce que les salles précieusement défraîchies d'une maison surannée nous proposent: il porte en lui l’indéfini du déterminant de ce nom qu'il désigne. Car ce «cabinet » est bien, dans sa désuétude, un monde oublié mais aussi ce lieu où un émiettement de sens se produirait au terme d'une déflagration. A moins que sa polysémie ne renvoie aussi à ces aréopages de spécialistes de domaines variés, tous concentrés sur une même tâche. Car cette exposition ambitionne de briser les cadres, de rassembler des artistes, des scientifiques ou des écrivains pour jouer des interférences, voire des débordements, qui se formulent quand les propos des uns se confrontent aux propositions plastiques des autres. On songe alors à l’extraordinaire contemporanéité de Shakespeare écrivant dans Hamlet, « Il suffit d'un atome pour troubler l’œil et l'esprit. » Atome au sens des matérialistes grecs comme dans celui de la menace apocalyptique du monde nucléarisé, il y a sans doute tout cela dans cette exposition.
                                  Les peintures de Jean-Simon Raclot sont rongées par des couleurs flasques qui sont des lichens étouffant le paysage. Quant à Arnaud Rolland, il peint l'atome dans son angoissante frontalité selon les codes de la peinture classique comme si le temps s'était aliéné à l'horizon de la catastrophe finale. Anne Favrez et Patrick Manez nous proposent l'image d'un « paysage résiduel », image nue du chaos quand Céline Marin dessine les décombres hallucinés de nos jeux et de nos rêves, le jour après...
                             Impossible d’établir une synthèse pour ces contributions de cette trentaine d'artistes, musiciens, médecins, architectes, ingénieurs et autres qui, chacun, apporte son regard, son interprétation et, parfois, une vision plus positive par le recours à la science. Car l'intérêt d'une telle exposition, c'est aussi de nourrir un débat dans un autre contexte que celui du champ médiatique ou politique. Il s'agit alors de subvertir la simple argumentation par le choc de la rationalité et de l'imaginaire. Et de montrer comment ces flux d'idées et d'images, de matières et de mots, produisent aussi bien des déconstructions que des potentialités de formes. Les images de science-fiction sont toujours les figures d'un pressentiment. A nous de les faire mentir en saisissant ces œuvres comme un travail sur l'image et sur l'avenir qu'elle porte. Leur seule rédemption serait de déchirer le voile du malheur en réconciliant, pour reprendre les mots de Shakespeare, « l’œil et l'esprit ».

La Strada, N°300

Avec Sophie Braganti - écrivain (Nice) • Eric Caligaris - musicien (Nice) • Clémentine Carsberg - artiste (Marseille) • Baptiste César - artiste (Paris) • Thomas Clapier - ingénieur (Nice) • Peter Cusack - musicien, membre du CRiSAP (Creative Research in Sound Arts Practice, Londres) • Anne Favret et Patrick Manez - photographes (Nice) • François Fincker - médecin, médecine nucléaire (Nice) • Eric Laurin - directeur artistique aux éditions Lombard (Nice - Bruxelles) • Antoine Loudot - artiste (Monaco) • François Remion - architecte (Nice) • Céline Marin - artiste (Nice) • Olivier Marro - journaliste, critique art & cinéma (Nice) • Aurélien Mauplot - artiste (Saint-Frion) • Jürgen Nefzger - photographe (Paris - Nice) • Tadashi Ono - photographe (Tokyo - Arles) • Sidonie Osborne Staples - artiste (Strasbourg - Lille) • Maxime Parodi - artiste (Nice) • Jean-Simon Raclot - artiste (Nice) • Arnaud Rolland - artiste (Berlin) et la participation d'Ernest Pignon Ernest (Paris - Nice )

 Villa Camenine, Nice, jusqu'au 28 octobre


                                                       Jean-Simon Raclot

lundi 24 septembre 2018

Martin Caminiti "Tête en l'air et sans mobile apparent"


                                 

                                     Rien de plus indéfinissable qu'un objet de Martin Caminiti. Parler d'objet c'est encore ici se résigner à le nommer ainsi quand il oscille entre dessin et sculpture, ombre et représentation, insecte ou végétal. Car cet objet semble se dérober à lui-même et au temps dans lequel il s'inscrit. Autant dire qu'il le traverse, incongru, presque immatériel, qu'il malmène ou structure l'espace qui le contient et qu' il témoigne ainsi d'une manière d'approcher ce que pourrait être une œuvre d'art : une trouée, une échappée dans le temps et l'espace, une hypothèse de sens pour déjouer les atours séduisants mais illusoires du réel.
                            Aveuglé par l'image d'un présent autant obsessionnel qu' éternel, l'homme de la consommation se consume au fur et à mesure qu'il érige l'éphémère comme signe du vivant jusqu'à utiliser des pratiques dites artistiques pour dénier à l'art toute possibilité de produire des utopies et des formes nouvelles. C'est à dire tout ce qui se joue en dehors de l'espace et d'un temps quand il se déchire de sa seule actualité. Giorgio Agamben en 2008, dans « Qu'est-ce que le contemporain ? » écrivait : « Celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n'adhère à ses prétentions, et se définit, en ce sens, comme inactuel. » L'art de Martin Caminiti est inactuel car il détourne l'usage des choses, les mythologies de l'utilitaire pour les traduire en icônes incertaines de notre temps. Fausses idoles mais créations magiques pour un siècle aux rêves perdus. Sont-ce des libellules, ces fils tendus sur du verre, ces filaments aériens qui dessinent des flexions contre un mur ou vers le ciel ? Ou bien figurent-ils quelque motif végétal qui se serait échappé de la gangue de l'industrialisation, d'une bicyclette ou d'une canne à pêche?
                            Rythme, douceur, poésie, regard dédaigneux sur le temps, humour sur l'ironie et l'obsession matérielle. Martin Caminiti est l'artiste du détachement. On peut espérer que la légèreté de ses constructions incertaines épouse les courbes d'une calligraphie nouvelle pour dire autrement le monde, loin de l'art des carrefours ou de la finance, loin de l'asservissement au grondement des frustrations haineuses des uns et des autres... On peut aussi rêver.

Galerie Matarosso, Nice, jusqu'au 6 octobre 2018



vendredi 21 septembre 2018

Satie 152, Marcel Bataillard, Frédérik Brandi, Kristof Everart


"Faut-il (encore) célébrer le 152ème anniversaire de la naissance d'Erk Satie?"

                     Le musicologue Roland de Condé écrivait : «  Erik Satie vécut emmitouflé dans son ironie ». Et  celle-ci demeura la seule ligne directrice d'un personnage chaotique, toujours en mouvement, anticipant les avant gardes et ne se fixant nulle part. Musicien d'ameublement comme il se plaisait à se définir, il écrivait, dessinait et l'artiste de cabaret repoussait dans l'ombre le créateur de génie. Mystique mais communiste, misérable mais mondain, celui qui fréquenta les plus grands restera « l'inconnu d'Arcueil».
                A cette ironie, il fallait répondre par la grand pompe d'un 152ème anniversaire ! Le collectif créé à cette occasion par Marcel Bataillard, Frédéric Brandi et Kristof Everart sous l’appellation de « guignol's band » interprète dans une joyeuse cacophonie le rapiècement de quelques éléments biographiques ou artistiques qui éclairent, prolongent et questionnent l’œuvre de Satie. Qu'en reste-il aujourd’hui? Et qu'en est-il désormais de la notion d'avant garde ? A mi-chemin entre l'exposition et le spectacle, cette expérience se garde bien de répondre à ces questions mais s'amuse à accentuer les éléments disparates que l'artiste apportait en se jouant de tout questionnement. L'humour se conjugue ainsi à l'absurde mais toute la réussite de ce Guignol's band repose sur cette prémonition d'un rythme autre, d'un processus de pensée différent, d'une esthétique à rebours des codes déjà formulés. Dans leur sauvage modestie, nos artistes préfigurent de nouvelles formes. Tous les chemins sont bons pour une telle aventure burlesque et on les défrichera à l'aide de créations numériques, d'installations sonores, de dessins, et d'assemblages hétéroclites. Ici l'on ne s'interdit rien et le grand écart est la seule règle jusqu'à la déchirure. On rit et le rire est libérateur.

Villa Arson, Nice jusqu’au 14 octobre 2018






mercredi 5 septembre 2018

Catherine Issert , Sainte Roseline, Les Arcs


                             Le domaine de Sainte Roseline est l'un de ces vignobles du Var dans lesquels les sculptures se mêlent à la pierre et aux teintes contrastées d'une nature glorieuse. Des œuvres imposantes, dont celles de Sosno et de Farhi s'incrustent sur cette terre et font résonner vignes et oliviers dans toute leur intensité.
  
  

                             Mais Sainte Roseline c'est aussi une merveilleuse chapelle qui, depuis 1329, conserve le corps de la Sainte revêtue d'habits sacerdotaux. Un bas relief de Giacometti offert par Marguerite Maeght en 1976, illustre le "miracle des roses". On y admire une mosaïque de Chagall représentant le repas des anges. Quant aux vitraux de Bazaine et d'Ubac, ils répandent dans ce lieu de méditation une lumière flamboyante. 





                            Cet été le domaine s'est associé à Catherine Issert pour présenter quelques artistes qui se sont par ailleurs exprimés dans le cadre  de la première Biennale de Saint Paul de Vence: Vincent Barré, Vincent Mauger, David Nash, Bejamin Sabatier et Vladimir Skoda. La simplicité des œuvres qui jouent sur la géométrie  et de sa relation aux matériaux confère au lieu une  puissance particulière. A voir et à vivre jusqu'au 30 septembre!









lundi 16 juillet 2018

Tom Wesselmann, "La promesse du bonheur"


NMNM, Villa Paloma, Monaco, du 29 juin au 6 janvier 2019




Plutôt que de prétendre à une présentation exhaustive de l’œuvre de Tom Wesselmann le commissaire de l'exposition a délibérément choisi un angle d'attaque pour répondre à la polémique suscitée par certains aspects du travail du peintre. Nous voici donc plongés dans les années 60 à New York lors de l'émergence du Pop art dont Wesselmann fut l'un des principaux protagonistes. Refus de l’expressionnisme abstrait et regard critique sur la société de consommation avec la perte du réel et la chosification du corps qu'elle entraîne, tels seront les marqueurs de ce mouvement qui marquera profondément l'art de notre temps.
Mais Tom Wesselmann s'est attaqué radicalement à l'image. Celle-ci reste froide, clinique. Si elle se charge du désir matériel ou sexuel figé dans les signes de la publicité ou du cinéma, elle se dissout dans les effets de massification qu'elle implique. L'individu s'incarne dans des stéréotypes, la réalité du désir se fait piéger par la codification même du fantasme. En effet, les personnages ne sont plus que le reflet de l'image que la société leur renvoie. Dépouillés de toute psychologie, les yeux absents, ils sont exilés en eux-même et dans le monde. Tout est découpé, les choses et les êtres ne sont plus que des signes vides, des icônes silencieuses, des mains, des seins, des jambes, des sexes réduits à un idéal inaccessible qui nous condamne à la position du voyeur.
Aussi a-t-on pu reprocher à l'artiste une chosification de la femme à une époque ou celle-ci commençait à théoriser sa libération. L'exposition tend alors à corriger cette idée en montrant combien ce jeu de tensions et de silences prend en charge les deux sexes. Et que ceux-ci sont condamnés à tenir un rôle de figuration dans une vie dont le scénario et la scénographie leur échappe. L'érotisme apparent se dissout alors dans la platitude du quotidien et le réel se confond avec l'univers de la publicité et de l'imagerie de masse. L'artiste énonce et dénonce dans un même geste cette captation du vivant par ce regard artificiel qui est devenu le nôtre. Mais le constat n'est pas désespéré, l'idée du bonheur rode encore sur ce monde...
 L'exposition se pare de l'allusion de Stendhal à cette relation à la beauté qui serait « la promesse du bonheur » . Tel en est le titre et la beauté survit en effet à ces nus malgré la glaciation des désirs. Tom Wesselmann, sait peindre, dessiner, travailler le plexiglas, jouer de tous les assemblages pour des points de vue vertigineux. Ce réel perdu qu'il dépeint avec brio porte aussi l'espoir d'une réconciliation de l'homme avec son imaginaire. C'est en cela qu'il faut en effet parler de bonheur. Pour la beauté qui subsiste et parce qu'à l' instar de Camus, « il faut imaginer Sisyphe heureux ».

La Strada N° 297

mercredi 11 juillet 2018

Alain Clément, 2012-2018




Cette puissance qui nous saisit face à l’œuvre d'Alain Clément est celle de la peinture telle quelle, dans sa seule mise à nue par la violence des formes et des couleurs qu’elle contient, à sa source, avant même d'investir l’hypothèse une œuvre. Mais une violence sereine comme habitée des seules pulsations du monde, de ses modulations, de ses éruptions incontrôlables comme de l' harmonie qui pourtant le façonne aussi. Voici donc une peinture sincère, qui s'offre alors dans son geste primitif, dans celui de la seule brosse qui décrit le mouvement du bras, se prolonge dans le ciel des couleurs et pourtant se fige ou se contracte au cœur de la toile comme si l'artiste saisissait alors  un instant d’éternité.
Cette force s'exprime et se comprime dans ses limites internes comme dans   celles du cadre qui l'enserre. Plus précisément, cette peinture, si mesurée, parle de la démesure dont elle procède et renvoie l'image de sa seule tension. C'est pour cela qu'elle déborde toujours vers autre chose que ce qu'elle suggère, qu'elle désigne les obstacles auxquels elle se heurte dans la représentation de l''imaginaire ou du réel. Son abstraction parle alors de la figure, du corps, de ses découpes, de ses torsions et l'on perçoit la hantise de la peinture de Matisse.
Alain Clément ne cesse de peindre sur l'histoire de la peinture ; il connaît toutes les stations de ce périple qu'il entreprend avec rigueur et humilité quand tout aboutit à un signe définitif , à ses ondulations, à sa cristallisation dans l’œuvre d'un artiste. Alain Clément ne peint pas d'image, il célèbre un hommage à l' histoire de l'art.
Et d'ailleurs est-il seulement peintre? Sa peinture se matérialise alors dans la découpe froide du métal, elle devient sculpture, elle lacère avec grâce l'espace qui l’accueille et lui livre ses courbes, l'authenticité de ses couleurs primaires comme pour une offrande à ceux dont il est l'héritier.
Alain Clément n'est pas le peintre des ruptures mais plutôt celui d'une éclosion lente, d'une méditation sur ce qui fut et sur ces formes minimales qui en résultent : une rythmique, une incandescence – l'écho toujours bruissant d'une origine. Regardez cette œuvre. Elle est féroce. Elle laisse sur les côtés tous ces décombres de formes ou de pensée qui ne sont rien. Impitoyablement, elle éclaire ce vide.

La Strada N° 298

Centre d'Art Contemporain, Châteauvert (Var)
Du 8 juillet au 25 novembre 2018






mercredi 4 juillet 2018

Picasso et les contemporains, éloge de la fabrique


Musée de Vence, du 23 juin au 28 octobre 2018




Aura-t-on jamais élucidé les mystères d'une œuvre qui défia son époque tant elle ne cessa de se déporter vers d'autres territoires dès lors qu'elle frisait la perfection et que ce qu'elle proclamait devait inéluctablement se développer dans cet ailleurs que Picasso, sans relâche, arpenta ? Le maître espagnol ne s'interdisait rien : le monde des apparences lui appartenait et nul autre que lui ne parvenait ainsi à en lui arracher la peau, à l'éviscérer pour en restituer les formes et les couleurs. Celles d'un monde qui crie sa vérité en même temps qu'il  résonne encore en nous quand nous sommes confrontés à lui.

Ce sont ces résonances-là que d'autres artistes désormais amplifient en les laissant percevoir dans leurs propres œuvres. Il ne s'agit pourtant pas pour eux de citer ou de copier Picasso mais plutôt de se mesurer à cette volonté d'absorber le monde par le recours à tous les matériaux, à tous les procédés, en se jouant de tous les styles et savoir faire. Car Picasso était aussi un artisan, un bricoleur, il savait  que chaque chose porte sa part de dignité.

                                 Voici donc 13 artistes, toutes générations confondues, qui réfléchissent une facette de l’œuvre protéiforme de Picasso. Le tempérament de chacun nous permet d'adapter notre regard vers telle ou telle orientation du peintre. Ses œuvres semblent alors revivre, autrement, grâce à l'inventivité de chaque artiste. Vincent Corpet s'autorise une autopsie neutre de la peinture en s'attribuant des citations d'images qu'il nous propose d'interpréter avec la distance critique propre à chacun. Gérard Serée saisit la matière de Picasso dans toute son intensité, du feu de la violence colorée jusqu'à la cendre. Peinture et sculpture ici se répondent. Louis Cane se saisit de l'espace sur un mode ludique avec l'impertinence de celui qui peut tout faire. Fabrice Hyber s'affronte à ce corps post-organique dont l’œuvre est la mémoire. Corps impur, totalisant, mouvant, en prise avec les éléments mais toujours hanté par la figure de  ses réminiscences.

Picasso nous permet ainsi  une meilleure compréhension de l' héritage légué à certains artistes contemporains qui, loin de copier le maître, désiraient en libérer la parole pour peut-être mieux s'en affranchir. Le choix est toujours d'une parfaite intelligence et alors que le regard se promène d'une pièce à l'autre, quelque chose de mystérieux se produit comme si le souffle prodigieux de Picasso réanimait ici les braises d'un feu qui se serait emparé de tous les artistes participant à cet « éloge de la fabrique ».

Artistes présentés : Antoni Clavé, Louis Cane, Anne Deguelle, Pierre Tilman, Max Charvolen, Gérard Serée, Joël Desbouiges, Gérald Thupinier, Paul Billen, Miguel Barcelo, Thierry Cauwet, Vincent Corpet, Fabrice Hyber et Pablo Picasso

samedi 30 juin 2018

Jan Fabre, "Ma nation, l'imagination"


Fondation Maeght, du 30 juin au 11 novembre 2018




Qui connaît l’œuvre de Jan Fabre s'est déjà laissé emporté par ses scénographies inédites et l'insolence souveraine des figures qu'il arrache à l'imaginaire. Il ne pourra qu'être envoûté par cet opus qui s'empare de la Fondation Maeght. Décidément ce lieu, par le miracle d'une rencontre parfaite entre une architecture et la nature, renvoie à la magie de la lumière qui l’inonde celle des œuvres qui semblent y surgir dans l'évidence de leur forme et dans la puissance de ce qu'elles expriment. On appelle cela la grâce. Et si l'on perçoit là l'écho d'une élévation mystique, Jan Fabre sait arracher la peau de celle-ci, non par provocation mais dans le désir fou de rencontrer l'absolu par le geste d'une création artistique.

Tout est dit dans cette revendication : « Ma nation, l'imagination ». Sans doute celle-ci renvoie-t-elle à cette histoire de la Belgique, territoire incertain, souvent envahi et si fragile pour lequel il ne restait d'autre destin que cette aspiration folle à un au-delà ou au nihilisme, à l'humour désespéré ou au paradis incandescent de Bosh ou d'Ensor.
 Jan Fabre, comme ailleurs Wim Delvoye, s'inscrit dans la lignée de ces artistes qui recréent un monde imaginaire comme pour panser les blessures du monde réel. Pourtant  l'imaginaire n'est pas le lieu de la mièvrerie mais celui des audaces ; il n'est pas un discours de l'afféterie mais l'expérience d'un langage qui s'incarne ici dans toute la matérialité d'un cerveau. Dans la tradition flamande d'une allégorie dévastatrice, hantée par la mort, le cerveau est cet organe flasque et improbable qui devient pourtant le socle solide d'une œuvre puissante et peut-être rédemptrice qui rejette les frontières du réel au delà même de cet imaginaire dont il s'empare.

« Les plus beaux musées sont les cimetières. » dit-il. Alors pour cette mise en scène du cerveau, l’artiste utilisera-t-il le marbre blanc, le plus pur, celui de Carrare. Renouant ainsi avec la tradition de l'art funéraire, ce matériau pourtant semble ici saisi par une légèreté soyeuse quand il se dépose sur un lit d'or qui ôte à la statuaire son ancrage terrestre pour un effet d'élévation envoûtant. Car celui qui détient le privilège de rencontrer cette œuvre, s'affronte à une expérience sensible sur laquelle se greffent bien d'autres aventures possibles quand elles sont le miroir de notre propre imaginaire. Aventures esthétiques, mystiques, sauvages, blasphématoires par le rire strident qui s'en échappe, libératoires par les échappées de lumière qu'elles suscitent.

« Je ne suis pas un artiste cynique, confie-t-il pourtant, je crois en la beauté » . Qui a dit que la beauté sauverait le monde ? Jan Fabre traque cette beauté, la débusque et l'exhibe à partir de ce socle sculptural du cerveau. Car cet organe est en lui-même un univers irrigué d'artères et de veines ; tel une éponge, il absorbe et transforme le réel ; il est un organisme autonome, inconnu, qui se serait déposé ici comme une météore. L'artiste le pare de tous ses sourires ou de bien des grimaces. Dans un dessin, un tire-bouchon danse sur lui; dans une sculpture une paire de jambes dépouillées de leur peau fleurissent vers le ciel dans la ramification d'un système sanguin. L'artiste affirme alors que celui du talon est à l'image de celui qui irrigue le cerveau et il y perçoit alors pour l'homme une aspiration équivalente vers la terre et vers le ciel. Dans une autre série, les cerveaux sous cloche sont ceux de disparus : Einstein, Gertrude Stein, Wittgenstein et, puisque la réalité se heurte à la fiction, Frankenstein. Et puisque aussi tous ces noms se terminent par -stein « la pierre », ces cerveaux ne sont plus que des pierres poreuses comme la lave morte d'un volcan éteint.
Beauté. L'absolu de la beauté. « L'homme dans sa perfection, c'est l'ange » ajoute Jan Fabre. Élévation encore. Jan Fabre nous emmène très haut, très loin.

La Strada N° 298




vendredi 29 juin 2018

Michel Blazy, "Timeline"



                              Michel Blazy est né à Monaco en 1966 et il est devenu l'un des acteurs les plus créatifs de l'art contemporain. Cet été, la Galerie des Ponchettes de Nice deviendra un territoire d'expérimentation pour cet artiste qui ne cesse d’innover en usant de matériaux pauvres pour mettre en scène toutes les métamorphoses du vivant.
                          Il a l'art d’orchestrer tous les paradoxes, de jouer sur toutes les gammes de la révulsion et du sublime, de dériver avec flegme entre la transformation de la matière organique la plus crue et le grotesque de l'artifice.
                               Aussi l’œuvre n'est-elle jamais stable ; elle ne saurait se fixer dans l'instant du regard mais ne s'appréhende que dans le concept de la durée et de l'éphémère. C'est donc à une forme de performance à laquelle nous sommes conviés. En contrepoint de la tradition de la « nature morte », l'artiste se saisit des notions de méditation et de vanité pour les replacer dans le contexte de la science et de la poésie.
                                Non sans humour, il parvient alors à une interprétation du vivant où le trivial peut côtoyer la somptuosité des effets esthétiques et l'observation scientifique conduire à tous les délires dadaïstes. Michel Blazy peut jouer de tous les matériaux, les plus humbles comme les plus farfelus - du coton, des croquettes pour chien, des lentilles ou du fil de fer. Mais il a une prédilection certaine pour le végétal, un fruit ou un jus de légume. Ses installations mouvantes soulignent le caractère éphémère des choses, l'évolution des processus, la transformation inhérente à tout élément. Aussi bousculent-elles le spectateur car elles contaminent l'espace où elle sont produites et en proposent une approche inédite.
                          L’œuvre suscite tour à tour le dégoût ou l'amusement mais elle nous entraîne toujours sur les sentiers hasardeux d'un voyage extraordinaire. Michel Blazy nous permet alors de poser un autre regard sur le monde et, cette aventure sensorielle qui se joue des technologies, des odeurs, des couleurs, des apparences réelles ou factices, nous ouvre les portes du merveilleux. Une expérience à vivre !

Galerie des Ponchettes, Nice. Du 7 juillet au 4 novembre 2018


La Strada N°296

mercredi 27 juin 2018

François Baron-Renouard, "Une vie de couleurs"

Château-Musée Grimaldi, Cagnes-sur-mer, du 16 juin au 17 septembre 2018


                           Célébré de son vivant, François Baron-Renouard est de ces artistes dont la trace s'est peu à peu effacée de nos mémoires. Peut-être parce que beaucoup de suivistes de moindre qualité ont adopté son style et sa façon d'interpréter le paysage mais sans y déployer le même savoir faire et la même énergie. Sa première exposition se déroula en 1946 et dès lors il s'écarta peu à peu des grands courants picturaux de la figuration liés au cubisme ou au fauvisme pour s'orienter vers une peinture abstraite mais imprégnée par l'idée de nature. Né en Bretagne, le peintre fut marqué par les paysages qu'il vit du ciel quand il fut officier aviateur durant la seconde guerre mondiale. Ses toiles portent ainsi l'empreinte de vastes champs colorés auxquels il apporte une rythmique très personnelle.
Chez lui tout se structure par la couleur et c'est à partir de l'énergie qu'elle diffuse que l'espace se développe, d'où une architecture très musicale qui saisit immédiatement le visiteur. Deux premières salles présentent les œuvres les plus anciennes, sans doute moins abouties, et l'on sent combien la figure peut peser sur l'artiste mais comment il s'en libère progressivement en épurant les formes pour faire jaillir la couleur. Alors la douceur des tons se heurte sans hiatus à la violence rythmique. On devine parfois le souvenir de paysages marins, marécageux ou tourmentés mais tout s'interprète de façon résolument symphonique. Les traits s'effacent au profit de vastes masses de rouge orangé ou de jaune éblouissant qui tournoient ou s'apaisent, ponctuées par de puissants effets de matière. Celle-ci est parfois translucide et brillante, parfois elle se charge de sable; son épaisseur porte la marque de griffures de terre ou bien délimite, par l'adjonction de collages, des espaces mélodiques.
L’œuvre témoigne d'une intense vitalité. La carrière du peintre fut d'ailleurs marquée par 25 expositions personnelles à travers le monde et particulièrement au Japon. Très actif, il créa aussi des vitraux, des tapisseries et des mosaïques. Il s'impliqua dans plusieurs organisations internationales, telles que l'UNESCO, pour la reconnaissance et le défense des artistes.

La Strada, N°296