jeudi 21 décembre 2017

Le cas Moya


             Galerie Lympia, Nice


MOYA en quatre lettres qui architecturent une œuvre. Parce que, matériellement, les peintures et les sculptures se structurent ici à partir de ces lettres et que l'artiste revendique fièrement les jeux de l'ego et de la duplication. A partir de son propre nom, Patrick Moya construit un univers personnel qui vise à l'universel et, une telle ambition le conduit à jouer de tous les registres et à rejeter les frontières admises entre naïveté, sérieux, humour, ironie... Tout se mêle joyeusement dans le désordre des formes et des couleurs mais aussi tout se dissout dans ces constructions baroques saisies par le vertige de créer un monde artificiel, d'en être le Créateur et de jouer avec ses créatures mielleuses et dérisoires.
Cela semble léger car issu du monde de l'enfance avec ses héros et ses mythologies mais pourtant ce paradis est fragile. Peut-être est-il contaminé par les clones et l'inflation médiatique qui le menacent. Et ce n'est pas le moindre intérêt de cette œuvre qui simule la candeur et la naïveté pour mieux dire l'extrême complexité de notre monde.
Aussi l'art de Moya consiste-t-il à parodier son propre univers en se projetant constamment dans des jeux de constructions en abyme, des jeux de miroirs où les mêmes figures résonnent sans cesse dans de nouvelles anecdotes sans autre trame que celles des signes qui les organisent. Ici aucune narration mais une mise en scène signifiante à partir de personnages issus de la culture populaire, des contes, de la bande dessinée , de la télévision et des nouvelles technologies. L'art est un double de la vie comme le sont les univers virtuels. Tout n'est plus que spectacle et alors tout devient possible dans la réalité de cette fiction de « Double life ». Les Dieux et les Hommes disparaissent happés par ces marionnettes qu'ils auraient construites.
Délire démiurgique ou méditation inquiète sur notre monde ? Sans doute la question taraude- t-elle l'artiste à un tel point que celui-ci ne cesse de se livrer à une sorte de psychanalyse en interrogeant le nom du père, les figures de l'enfance, la mièvrerie des décors du rêve, les nœuds du fantasme et du réel.
Au moins Moya ne triche-t-il jamais. Il joue avec insolence de la facilité mais excelle aussi dans des compositions numériques extrêmement complexes. Il assume l'exagération, le narcissisme et cette phrase célèbre de Mcluhan : « Le message, c'est le médium ». Et surtout il nous renvoie au miroir vertigineux de ce que nous sommes aujourd'hui. A chacun d'y insérer ses propres images ou ses significations mais tout se diffusera sous les auspices de la cruauté enfantine, du merveilleux corrompu par le kitsch et la redondance des images. Derrière l'opacité de cet univers factice, l'artiste dévoile peut-être la réalité d'un monde que nous ne savons pas ou que nous ne voulons pas voir.

Exposition du 19 décembre 2017 au 11 mars 2018



dimanche 17 décembre 2017

Fondation Maeght, "Est-ce ainsi que les hommes vivent?"

                                             Gérard Fromanger, Le Diprit de Gaumont

Voici que des images surgissent à partir du poème d'Aragon et de cette seule question : « Est-ce ainsi que les hommes vivent... ? ».  Et ces images parlent superbement pour offrir cette seule réponse possible à cette interrogation  existentielle quand seuls l’art et la poésie nous donnent cette certitude qu'ils se confondent à la vie, qu'ils en sont l'expression la plus intense.

Et les premiers mots du poème sont ceux-ci  : « Tout est affaire de décor Changer de lit changer de corps »
 La Fondation Maeght devient, le temps d'une exposition, ce décor dans lequel se déclinent toutes les facettes de l'humanité. Histoires de corps et d'amour. Mais aussi récits mystérieux où parfois l'horreur se peuple de fantômes. Forte de sa riche collection d’œuvres du XXe siècle et de l'époque contemporaine, la Fondation explore les douceurs et les aspérités de la condition humaine ; elle écrit cette histoire selon plusieurs chapitres : la force des regards, les situations du corps, les gestes du travail et de la fête, les théâtres amoureux, le silence et la solitude...

Mais il ne s'agit pas  tant ici d’illustrer à partir de dessins, de peintures ou de sculptures car la centaine d’œuvres exposées ambitionnent d'être une véritable écriture pour tout ce moment chaotique de l'humanité. Une toile de Chagall est l'empreinte d'un instant de rêve et de bonheur comme celles de Velickovic et de Rebeyrolle portent les stigmates de la souffrance et du réel. Dans ces cheminements contradictoires s'élabore toute une gamme d'émotions, de tensions comme autant de propositions pour lire ce monde dont nous sommes les acteurs. On déambule d'une salle à l'autre pour une nouvelle lecture et l'on s'émerveille d'une telle richesse créative. Et l'on comprend qu'au-delà des vicissitudes et des désespoirs qui ça et là apparaissent, cette énergie de création se matérialise dans une croyance absolue en l'homme. Telle est la réponse optimiste et lumineuse que cette exposition apporte à cet « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? ».
L'art apparaît ici comme le vrai miracle de la vie.


Seront présents tout au long de ce chemin comme autant de rencontres : Pierre ALECHINSKY, Pat ANDREA, ARMAN, Eduardo ARROYO, Francis BACON (atelier), Georges BRAQUE, Alexander CALDER, Louis CANE, Marc CHAGALL, Eduardo CHILLIDA, Jean CORTOT, Tibor CSERNUS, Marco DEL RE, Erik DIETMAN, Pierre DMITRIENKO, Eugène DODEIGNE, Jean DUBUFFET, Alekos FASSIANOS, Jean-Michel FOLON, FRANTA, Gérard FROMANGER, Wolfgang GÄFGEN, Claude GARACHE, Gérard GASIOROWSKI, Alberto GIACOMETTI, Julio GONZÁLEZ, Juan GRIS, Fabrice HYBER, Vassily KANDINSKY, Joël KERMARREC, Peter KLASEN, Wifredo LAM, Louis LE BROCQUY, Jean LE GAC, Fernand LÉGER, Luigi MAINOLFI, Juan MARTINEZ, Henri MATISSE, Joan MIRÓ, Jacques MONORY, Jean-Luc et Titi PARANT, Ernest PIGNON-ERNEST, Louis PONS, Paul REBEYROLLE, Germaine RICHIER, Saül STEINBERG, Sam SZAFRAN, Pierre TAL-COAT, Djamel TATAH, Anne TRÉAL-BRESSON, Raoul UBAC, Vladimir VELIČKOVIC, Henk VISCH.


Du 16 décembre 2016 au 11  mars 2018


               Fassianos, Mille et une nuits, 1971

                      Erik Dietman, Bossuet enfant, 2000-2001

                 Anne Tréal-Bresson devant ses dessins

lundi 11 décembre 2017

Dominique Ghesquière

Galerie des Ponchettes, Nice




    A trop vouloir traquer l'invisible, on finit quelquefois par débusquer le néant. Surtout quand on prétend capturer cet invisible à travers les objets du quotidien sans percevoir combien cet échantillonnage là procède d'une mythologie dans la définition précise de Barthes lorsqu'il en révélait le visage boursouflé  des Bouvard et Pécuchet dès lors qu' ils s'en emparent. 
« Traquer l'invisible » puisque la chose désignée ne serait donc que l'enveloppe trompeuse de ce qu'elle renferme. C'est à dire qu'en elle résiderait la magie d'un paradis écologique ou politique perdu, un jardin d’Éden hanté de récits primordiaux avec leurs gnomes et autres personnages de contes. Ou quand les racines rêvées se travestissent en utopie... Cette approche essentialiste fleure bon la nostalgie mais celle-ci exhale pourtant des remugles peu flatteurs. Reste pourtant l'incertitude légèrement inquiétante d'un monde à la présence trop suspecte et tout ceci serait censé être empreint d'une belle poésie si les chemins empruntés par l'artiste n'avaient été tellement labourés qu'ils en seraient devenus stériles. La lourdeur poétique se charge d'une impardonnable tristesse quand on évoque des vagues, des herbes rares, des pierres roulées, des rideaux d'arbre -puisque telles sont les titres des œuvres- par des formes et des concepts qui, loin de s'ouvrir à du sens ou à de nouvelles perspectives, les enferment dans la grisaille du déjà vu et de la facilité On les a tellement arpentés ces chemins là, sans surprise, toujours parsemés des mêmes petits cailloux de peur que nous nous y égarions. Et on les parcourt de nouveau avec ennui, sans autre promesse que ce manque d'horizon et la lassitude de lire encore ce même récit qui, d'une page à l'autre, résonne d'un même vide.
S'il faut rêver, alors livrons ces galets à la mer, écoutons cette onde grondante  quand l'horizon les ratisse sauvagement jusqu'à la grève. Quand au « rideau d'arbre », selon le texte qui l'accompagne, il « évoque l'étrange mue d'un arbre qui aurait pris son autonomie ». Bigre... Alors déchirons-le et, à l'instar de ce pauvre oiseau naturalisé censé célébrer l'envol, retrouvons la vie, la vraie vie, envolons-nous !



jeudi 7 décembre 2017

Shangying Liu, Donation à la Fondation Maeght



                             Peindre un paysage n’est pas peindre la nature. Alors que l’un suppose un cadrage, une forme fixe et une volonté de représentation, la nature, elle,  ne s’appréhende que dans sa totalité ; elle inclut l’homme qui l’habite mais dont aussi il est issu. Comment le peintre peut-il donc rendre compte de  cette nature sans altérer son mouvement, tout en exprimant  pleinement ses caprices, sa violence qui, pourtant,  se conjuguent parfois à la plus parfaite sérénité?
                           Traditionnellement la peinture chinoise est largement imprégnée de cette nature dont le Maître traduit l’équilibre par la sûreté du geste et l’intensité du souffle. Elle annule les effets de représentation ou d’abstraction par son contenu poétique quand le peintre se doit avant tout d'exprimer des sensations.
                           Shangying Liu n’ignore rien de cette tradition même s’il élargit les notions de nature et de paysage, dans une dimension plus contemporaine, dans  l’idée de mouvement telle qu’il exista dans l’Action painting. La nature c'est aussi cette  rencontre physique avec l’artiste qui en saisit  la matière. De cette peinture, il en résulte une charge pulsionnelle intense qui s'unit aux forces naturelles. En effet l’artiste a disposé cette toile parmi une trentaine d’autres durant 18 jours dans un espace désertique soumis à des conditions extrêmes. Peints à l’huile, les tableaux s’imprègnent des tempêtes de sable comme ils peuvent témoigner de l’union  de l’homme avec la nature et le cosmos. Ils restituent les tensions extrêmes de la chaleur ou du gel et la consistance de l’atmosphère. La matière est délicate mais un geste violent semble  lacérer la toile; elle est fusion, elle est en elle-même un récit sur la nature, et comme chez Anselm Kiefer, elle exprime cette ruine qui la guette. Cette toile d’une dimension imposante capte le regard de celui qui la contemple et qui entre dans cette expérience de l’ harmonie du vide et de la matière.





lundi 4 décembre 2017

Caroline Challan Belval, "Le testament d'Eve"

Musée Jean Cocteau, Menton



 Ce qui frappe d'emblée c'est cette voracité qui signe l' œuvre comme si celle-ci, au-delà de ses propres exigences, devait s'emparer et de l'espace et du temps, les traduire dans de nouveaux matériaux ou, à l'inverse, revenir vers des pratiques artisanales pour élaborer ce qui serait une architecture de l'imaginaire.

Caroline Challan Belval n'est pas l' artiste qui se laisserait enfermer dans un champ déterminé et, plutôt que de s'octroyer un plein pouvoir décisionnaire sur l’œuvre, elle se laisse absorber par l'extériorité du monde pour se l'approprier et en proposer , non pas des hypothèses pour un regard, mais l'élaboration d'un autre modèle. La construction de l'imaginaire qui en résulte n'est plus de l'ordre de la fantaisie mais se heurte à ce que sciences et techniques alliées à une réflexion sur l'histoire ont pu y déposer comme traces formelles et sémantiques. Car une forme nouvelle implique d'autres significations et une ouverture au monde, entre arts et sciences, qui extrait de notre savoir ces strates historiques comme composantes d'une histoire qui se confond à celle de l'artiste. Celle-ci utilise tous les matériaux, les plus traditionnels ou les plus novateurs. Ils sont cette peau, cette visibilité qui donne chair au sens. Verre, peinture, dessin, sculpture, gravure, tout est absorbé dans une multiplicité de supports qui diffusent leur lumière et renvoient au désir de créer, de rêver certains objets par de nouvelles substances, d'en mouler d'autres à partir d'éléments anciens pour en faire jaillir cette parenthèse dans laquelle, entre fragilité et constance, le sens de déploie.

Dans un espace mouvant qui nous entraîne dans des univers en apparence disparates, nous oscillons d'un globe terrestre à un portrait peint à l'huile, ou vers des colonnes inversées quand leur mémoire archéologique est niée par la relation au numérique et aux nouvelles technologies. Tout fonctionne alors en décalage, par collisions entre le futur et l'ancien, et il ne s'agit plus alors de « mettre le monde à jour » par le biais de l'art. A contre courant d'une innovation incrémentale, Caroline Challan Belval s'implique du côté d'une innovation disruptive. Ce qui signifie que l’artiste ne saurait être un copiste ni même celui qui corrigerait l'histoire de l’art par l'adjonction de nouveaux éléments. L'artiste impose son récit dans une autre économie que celle qui présidait à notre culture. Ses traces, par de multiples références à des phases artistiques souvent contradictoires, lui permet d'établir des relations d'équivalence et de conflit entre ces systèmes. Aussi cette exposition « Le testament d'Eve » entre-t-elle en résonance avec cet autre testament de Cocteau, celui d'Orphée qui permettait au poète de rebondir dans un autre temps. La radicalité de Caroline Challan Belval consiste à retourner à Eve, au mythe de l'origine de l'humanité.

Le temps est la matière dans laquelle une œuvre s'inscrit et, ici, l'artiste parvient à modeler cette matière avec raffinement et intelligence dans une grande prodigalité de langages. Et ce temps est aussi une fenêtre sur le futur quand l’œuvre permet d'en imaginer les contours.
Michel Gathier


Du 02/12/2017 au 19/03/2018






lundi 27 novembre 2017

Jean- Philippe Roubaud, "Didascalie 1"

                             

 Galerie Sintitulo, Mougins



                       Le titre même d'une exposition préfigure le projet d'un artiste : « Didascalie 1 » annonce un aparté vis à vis du dessin. Certes l'artiste travaille ici à partir du graphite mais en référence à la peinture qui en est la cible. C'est pour Jean-Philippe Roubaud sa manière d'affirmer, qu'au lendemain des avant-gardes, il ne resterait qu'à produire des notes en fin de page. Ainsi l'artiste décline-t-il plusieurs séries de travaux qui, toujours, investissent la notion d'image dans son immanence.
                         Celle-ci renvoie à l'histoire de la peinture quand il dessine sur le thème du romantisme selon des variations autour de Gaspard Friedrich. Ou bien à la peinture religieuse, au drapé comme rappel de la toile libre, sans cadre, à partir du voile de Sainte Véronique. Ailleurs c'est l'image photographique dont il se saisit en créant des fac-similés de polaroids empruntés au cinéaste Tarkowski. Le sous titre « nature-culture », est une amorce à cette exploration de l'image dans sa relation avec la culture qui prend en charge l'ensemble des pratiques artistiques et la transformation qu'elle opère sur la nature. L'architecture, par exemple, se mesure à l'illusion des arbres quand Roubaud édifie une barrière de faux bois dessinés sur des rouleaux de papier sur lesquels figurent, en trompe l’œil, des représentations de cartes postales.
                        Le dessin demeure, en amont de toute figuration, cette pratique qui permet à l'artiste de restituer la source de la création et de dévoiler toutes les couches illusionnistes dont l'art s'est peu à peu chargé . Ce constat résulte des seules possibilités du graphite et de la feuille de papier : Matériaux rudimentaires pour une analyse qui s'attache à révéler la subtilité de toute œuvre artistique pour peu qu'elle soit soumise à l'éclairage du dessin.

 Du 17 novembre au 13 janvier 2018

Michel Gathier, La Strada, N° 284


Quelque chose comme le dessin



Galerie l'Entrepôt, Monaco


                           Comment identifier ce dessin qui préside à l’aube de l’histoire et, plus encore, à l’origine de la pensée ? En définir les contours revient à explorer ses prémisses qu’il s’agisse de l’enfant s’essayant au crayon, de l’homme préhistorique s’aventurant dans la représentation du monde par l’expérience du trait, par l’utilisation des minéraux et du bois brûlé. Et surtout à exprimer cet instant où la forme devient écriture, qu’elle tend à l’abstraction à partir des hiéroglyphes ou de la calligraphie chinoise.
                       Le dessin demeure aujourd’hui encore ce « quelque chose » peu identifiable, multiple, échappant au seul destin de la ligne ou de l’effacement. Lié à la description, il trouve pourtant une nouvelle respiration en s’en libérant, en explorant non plus son origine mais en se projetant sur l’avenir pour ses multiples potentialités.
                    C’est à cette aventure-là que nous convie Gino Gianuizzi lorsqu’il contourne les conventions du dessin pour se hasarder dans ce « quelque chose ». Là, chaque artiste propose, soit de manière faussement traditionnelle, soit par une expérimentation sous le signe de la dérision, un défi au concept de dessin. Celui-ci peut être poussé à son extrême, dans sa précision ou sa disparition dans l’installation, la sculpture ou la vidéo. C’est ainsi que Cinzia Delnevo creuse au stylet des couches d’aquarelle huilée pour en extraire des formes hybrides semblables à une fourrure végétale pour inciter à l’imaginaire. Aurelio Andrighetto pousse le dessin aux confins du volume ; il se matérialise dans la sculpture d’une tête antique revisitée en trompe l’œil par les ombres d’un noir de fumée en contrepoint de son éclairage. Mais il faut parfois extraire le dessin de toute trace humaine, de toute intentionnalité, pour une écriture automatique livrée à la seule volonté de deux cent ordinateurs sans autre intervention que cette restitution des signes d’une intelligence artificielle.

Michel Gathier,  La Strada N° 284

Exposition à partir d’un projet de Gino Gianuizzi avec les artistes : Aurelio Andrighetto, Maurizio Bolognini, Cinzia Delnevo, /barbaragurrieri/group, Bartolomeo Migliore, Stéphanie Nava, Premiata Ditta (Anna Stuart Tovini- vincenzo Chiaranda, Giovanna Starti.

Du 14 novembre au 21 décembre 2017

samedi 25 novembre 2017

Pierrik Sorin, "Mini-théâtres"




Hôtel Windsor, Nice


 Dans l'art tout est bon. Qu’on y pleure, qu'on s'y ennuie, qu'il incite à la réflexion  ou que, comme ici, l'on s' y amuse. Mais l'on sait que le rire peut être grinçant et qu'il n'est jamais neutre. Pas facile aujourd'hui d'être un humoriste et de revendiquer l'absurde quand, de toutes parts, on nous somme de prendre parti, de revendiquer tel système idéologique, telle croyance quand l'art est liberté et répugne à tout enfermement dans une norme. L'art n'est pas l'antichambre du paradis.
Depuis la fin des années 80, Pierrik Sorin démystifie un art trop intellectualisé en créant des saynètes dans lesquelles l'artiste se représente avec dérision à travers des dispositifs audiovisuels ou des installations vidéo entièrement fondés sur l'idée de trucage.

Puisque tout est truqué, manipulé, inutile de rechercher du sens : Ne reste que la représentation burlesque de l'homme réduit à une mécanique ridicule , avec des gestes répétitifs dans un univers factice . Et l'image en mouvement permet au mieux de décrire ce monde-là, emmuré dans son illusionnisme, quand les miroirs mettent en péril ce qu'ils réfléchissent et que le temps demeure celui des premiers effets spéciaux de Méliès et des gags du music-hall. Le burlesque produit un rire malheureux. Pierrik Sorin crée ainsi de petits théâtres optiques qui enferment le vivant dans des boites dont on ne s'évade pas. Le prestidigitateur en est la première victime ; il se déguise, grimace, et gesticule, réduit à l'animal qui tourne frénétiquement dans sa cage. La farce est aussi cette tragédie. L'enchantement est ce désenchantement.

Cette brillante mise en scène relève tout à la fois du cinéma et du théâtre. L'hologramme de l'artiste accentue le comique de répétition et sa solitude dans un environnement d'objets incongrus. Chaque pièce porte son récit dans l'illusion du vivant. Il y a cette fantaisie et cette liberté d'un imaginaire sans limite. L’œuvre ne dit rien d'autre que ce qu'elle montre, elle est à l'image du cinéma muet.

Du 27 octobre au 10 janvier 2018



jeudi 23 novembre 2017

Liz Magor, MAMA, Nice


Il est de bon ton pour l'artiste contemporain d’interpeller, d’explorer et surtout d'interroger. Si Picasso disait « Je ne cherche pas, je trouve » , il semblerait qu'aujourd'hui la quête soit en elle-même plus importante que l'objet qui en résulte d'où l'inflation des concepts et la dévaluation de l’œuvre physique. Celle-ci se réduit le plus souvent à n'être que l'écho des préoccupations sociétales du moment. Même si celles-ci sont présentes dans le lent et long travail de Liz Magor, il n’empêche que l'artiste s'attache à surtout restituer à l'objet sa dignité, fût-il le plus trivial, en le mesurant à ce que, par convention, on nomme « œuvre d'art ».
Si « question » il y a donc dans ces œuvres, c'est bien celle de l'existence des choses et de leur disparition quand elles nous sont liées intimement. Question que Lamartine posa ainsi: « Objets inanimés, avez-vous une âme
 Qui s'attache à notre âme (…) ?

Issus de leur trivialité dans le quotidien, voici ces objets qui parsèment les salles du MAMAC. Figés dans une mémoire éteinte, leur « âme » s'exprime par les subtiles modifications que l'artiste leur fait subir quand ce n'est pas par un jeu de simulations qui leur donne tout leur sens. Anonymes, ces objets attestent pourtant d'une existence. Chacun d'eux porte l'empreinte d'un récit personnel et, de ces indices, Liz Magor parvient à transposer l'intime au niveau de l'universel. Ces objets, comme ceux des natures mortes, sont alors dotés d'une vraie puissance allégorique. Il seraient à l'égal des mythes s'ils étaient chargés d'une quelconque grandeur. Mais qu'il s'agisse d'un mégot de cigarette, d'une bouteille ou de vêtements usagés, ces objets ne sont marqués que par le temps et portent l'empreinte, souvent feinte, de leurs propriétaires. Dans leur sillage, ces choses fonctionnelles sont dépouillées de leur valeur d'usage et paraissent destinées à les suivre dans un autre monde, comme dans l’Égypte ancienne où les objets du défunt l'accompagnaient dans la  tombe.

Si l'idée d'extinction et de mort domine, Liz Magor ne tente pas de redonner vie à ces objets. Elle s'intéresse davantage à leur témoignage, à leur douceur passée et, surtout, à ce qu'ils portaient d'invisible. Elle est une archéologue des âmes. L'artiste nous les donne à voir, revêtus de leur part de simulacre.
En effet, tout ici relève de l'illusion. Si les objets sont bien réels, il se confrontent pourtant à la détérioration d'une mémoire et au détournement que l'artiste leur impose. Le plus souvent, il ne s'agit que d'imitations, de leurres et le spectateur perçoit, par exemple, du vulgaire carton quand celui-ci est en fait le produit d'un moulage en gypse polymérisé.
Cet univers simple et silencieux est celui de notre environnement. Meubles revêtus, sculptures de sacs de couchage, où est la réalité ? Ici les choses règnent dans un présent intemporel : Le temps de la poésie.


Du 18 novembre au 13 mai 2018



Née en 1948, Liz Magor est une artiste canadienne.Elle travaille la sculpture, l'installation et la photographie. Par la sculpture, elle s’intéresse à l'ontologie d'objets ordinaires ou familiers recréés et présentés dans un autre contexte. 



mercredi 15 novembre 2017

Berdaguer & Péjus, "Sine materia"

Le Narcissio, Nice



C'est peut-être une erreur que de se saisir d'une œuvre en fonction de l'idée qui préside à sa conception. Comme si de la « chose mentale » à sa réalisation matérielle rien d'autre n'entrait en jeu qu'un simple effet de miroir qui en serait la traduction. Or c'est toujours un processus plus complexe qui se réalise, avec des digressions, des déformations, et, surtout, il arrive que la forme se rebelle contre le sens ou, au contraire, que la signification d'une œuvre entre en collision avec ce qui lui donne chair.
Pour en faire l'expérience, il suffit de pousser la porte du Narcissio, de franchir un rideau de tiges noires jetant par à coups des flashes de lumière sur le sol. Au loin une vidéo diffuse la douceur d'un bleu ondoyant qui aspire le spectateur de même qu'elle esquisse des allusions au corps, des mouvements à l'intérieur de ce qui serait un univers marin . Mais tout cela est si abstrait, si lisse que nous restons en lisière du sens, dans cet interstice où le corps naîtrait ou bien se noierait dans cet océan primordial.
Bien sûr la réalité se dérobe à la métaphore et il faut de nouveau extraire quelque indice. Par exemple ces sculptures incertaines, sombres comme surgies des profondeurs, semblables à des conques d'un bleu d'encre issues d'un entrelacement de tentacules. Plus qu'un environnement, c'est ici un trajet qui s'effectue et le corps se meut dans l’espace ; il se développe dans une lumière chancelante, rythmée de sonorités discrètes qui le tiennent en alerte. Sur une paroi, des fils électriques sont tissés et figurent un corset.
Décrire une œuvre est inutile si on n'éprouve pas ce mouvement qui est aussi celui de ce qui s'en empare. Pensée mouvante. Sensations contraires. Corps flottant. En quelque sorte un état lacunaire, comme au seuil d'une crise. L’œuvre demeure ce parcours qui nous incite au déchiffrement et l'art est cette expérience de l'herméneutique.

Faut-il alors dire, puisque tel est le projet de Christophe Berdaguer et de Marie Péjus, que nous sommes face au corps qui se décompose dans un épisode hystérique ? L'hystérie, l'utérus, la matrice... Cette bonne vieille mythologie qui érode le présent avec ses héros, ses martyrs nimbés d'extase!  Si pour les artistes, le projet prélude à l'exécution de l’œuvre, à l'inverse pour le spectateur, il n'intervient qu'au terme de sa déambulation. De l'un à l'autre, une suite de hiatus et de chausse-trappes se succèdent et font que l’œuvre n'appartient jamais vraiment à celui qui l' a produite mais tout autant à ses dépositaires qui parachèvent son sens parfois en résistance avec l'artiste. Et, paradoxalement, c'est souvent cette tension qui lui donne cette force à laquelle nous nous abandonnons. Nous percevons l’œuvre en fonction de notre histoire et de notre corps si bien qu'elle demeure ouverte et n’agit que par ce conflit qu'elle suppose entre celui qui la crée et celui qui la reçoit.

Mais l''hystérie est aussi histoire de simulation, c'est à dire d'excès, de faux semblant. D'un miroir déformant. Elle désigne alors une crise de la représentation. On peut évoquer Charcot ou Freud mais l'essentiel n'est-il pas dans la façon dont elle se formule ailleurs que dans un corps, c'est à dire ici dans l'art lui-même ? Car celui-ci nous renvoie à un corpus de signes, d'indices et de symptômes qui resteront inopérants aussi longtemps qu'on se laissera aveugler par l'invisible. L'art dévoile et nous ouvre à l'évidence; un peu à la façon de Lacan lorsqu'il nous disait que « La lettre volée » était là, tellement en évidence, que ceux qui la cherchaient, échouaient à la découvrir.
La réussite d'une œuvre échappe parfois à son auteur. Il n'est pas certain que le binôme Berdaguer & Péjus ait délibérément franchi l'autre côté du miroir mais, du moins, le spectateur aura-t-il expérimenté ce nœud inextricable de la représentation. C'est celui-ci qu'il s'agit de voir et non pas ce qui se trame dans une ombre introuvable. A moins que l'idée même de représentation ne soit elle-même un leurre. On connaît cet adage chinois disant que lorsque le sage désigne le lune, l'idiot regarde son doigt. On pourrait rétorquer que le sage aurait plus d'intérêt à regarder son doigt qu'à désigner la lune. Une simple histoire de perspective.

Du 10 novembre 2017 au 10 février 2018