lundi 27 novembre 2017

Jean- Philippe Roubaud, "Didascalie 1"

                             

 Galerie Sintitulo, Mougins



                       Le titre même d'une exposition préfigure le projet d'un artiste : « Didascalie 1 » annonce un aparté vis à vis du dessin. Certes l'artiste travaille ici à partir du graphite mais en référence à la peinture qui en est la cible. C'est pour Jean-Philippe Roubaud sa manière d'affirmer, qu'au lendemain des avant-gardes, il ne resterait qu'à produire des notes en fin de page. Ainsi l'artiste décline-t-il plusieurs séries de travaux qui, toujours, investissent la notion d'image dans son immanence.
                         Celle-ci renvoie à l'histoire de la peinture quand il dessine sur le thème du romantisme selon des variations autour de Gaspard Friedrich. Ou bien à la peinture religieuse, au drapé comme rappel de la toile libre, sans cadre, à partir du voile de Sainte Véronique. Ailleurs c'est l'image photographique dont il se saisit en créant des fac-similés de polaroids empruntés au cinéaste Tarkowski. Le sous titre « nature-culture », est une amorce à cette exploration de l'image dans sa relation avec la culture qui prend en charge l'ensemble des pratiques artistiques et la transformation qu'elle opère sur la nature. L'architecture, par exemple, se mesure à l'illusion des arbres quand Roubaud édifie une barrière de faux bois dessinés sur des rouleaux de papier sur lesquels figurent, en trompe l’œil, des représentations de cartes postales.
                        Le dessin demeure, en amont de toute figuration, cette pratique qui permet à l'artiste de restituer la source de la création et de dévoiler toutes les couches illusionnistes dont l'art s'est peu à peu chargé . Ce constat résulte des seules possibilités du graphite et de la feuille de papier : Matériaux rudimentaires pour une analyse qui s'attache à révéler la subtilité de toute œuvre artistique pour peu qu'elle soit soumise à l'éclairage du dessin.

 Du 17 novembre au 13 janvier 2018

Michel Gathier, La Strada, N° 284


Quelque chose comme le dessin



Galerie l'Entrepôt, Monaco


                           Comment identifier ce dessin qui préside à l’aube de l’histoire et, plus encore, à l’origine de la pensée ? En définir les contours revient à explorer ses prémisses qu’il s’agisse de l’enfant s’essayant au crayon, de l’homme préhistorique s’aventurant dans la représentation du monde par l’expérience du trait, par l’utilisation des minéraux et du bois brûlé. Et surtout à exprimer cet instant où la forme devient écriture, qu’elle tend à l’abstraction à partir des hiéroglyphes ou de la calligraphie chinoise.
                       Le dessin demeure aujourd’hui encore ce « quelque chose » peu identifiable, multiple, échappant au seul destin de la ligne ou de l’effacement. Lié à la description, il trouve pourtant une nouvelle respiration en s’en libérant, en explorant non plus son origine mais en se projetant sur l’avenir pour ses multiples potentialités.
                    C’est à cette aventure-là que nous convie Gino Gianuizzi lorsqu’il contourne les conventions du dessin pour se hasarder dans ce « quelque chose ». Là, chaque artiste propose, soit de manière faussement traditionnelle, soit par une expérimentation sous le signe de la dérision, un défi au concept de dessin. Celui-ci peut être poussé à son extrême, dans sa précision ou sa disparition dans l’installation, la sculpture ou la vidéo. C’est ainsi que Cinzia Delnevo creuse au stylet des couches d’aquarelle huilée pour en extraire des formes hybrides semblables à une fourrure végétale pour inciter à l’imaginaire. Aurelio Andrighetto pousse le dessin aux confins du volume ; il se matérialise dans la sculpture d’une tête antique revisitée en trompe l’œil par les ombres d’un noir de fumée en contrepoint de son éclairage. Mais il faut parfois extraire le dessin de toute trace humaine, de toute intentionnalité, pour une écriture automatique livrée à la seule volonté de deux cent ordinateurs sans autre intervention que cette restitution des signes d’une intelligence artificielle.

Michel Gathier,  La Strada N° 284

Exposition à partir d’un projet de Gino Gianuizzi avec les artistes : Aurelio Andrighetto, Maurizio Bolognini, Cinzia Delnevo, /barbaragurrieri/group, Bartolomeo Migliore, Stéphanie Nava, Premiata Ditta (Anna Stuart Tovini- vincenzo Chiaranda, Giovanna Starti.

Du 14 novembre au 21 décembre 2017

samedi 25 novembre 2017

Pierrik Sorin, "Mini-théâtres"




Hôtel Windsor, Nice


 Dans l'art tout est bon. Qu’on y pleure, qu'on s'y ennuie, qu'il incite à la réflexion  ou que, comme ici, l'on s' y amuse. Mais l'on sait que le rire peut être grinçant et qu'il n'est jamais neutre. Pas facile aujourd'hui d'être un humoriste et de revendiquer l'absurde quand, de toutes parts, on nous somme de prendre parti, de revendiquer tel système idéologique, telle croyance quand l'art est liberté et répugne à tout enfermement dans une norme. L'art n'est pas l'antichambre du paradis.
Depuis la fin des années 80, Pierrik Sorin démystifie un art trop intellectualisé en créant des saynètes dans lesquelles l'artiste se représente avec dérision à travers des dispositifs audiovisuels ou des installations vidéo entièrement fondés sur l'idée de trucage.

Puisque tout est truqué, manipulé, inutile de rechercher du sens : Ne reste que la représentation burlesque de l'homme réduit à une mécanique ridicule , avec des gestes répétitifs dans un univers factice . Et l'image en mouvement permet au mieux de décrire ce monde-là, emmuré dans son illusionnisme, quand les miroirs mettent en péril ce qu'ils réfléchissent et que le temps demeure celui des premiers effets spéciaux de Méliès et des gags du music-hall. Le burlesque produit un rire malheureux. Pierrik Sorin crée ainsi de petits théâtres optiques qui enferment le vivant dans des boites dont on ne s'évade pas. Le prestidigitateur en est la première victime ; il se déguise, grimace, et gesticule, réduit à l'animal qui tourne frénétiquement dans sa cage. La farce est aussi cette tragédie. L'enchantement est ce désenchantement.

Cette brillante mise en scène relève tout à la fois du cinéma et du théâtre. L'hologramme de l'artiste accentue le comique de répétition et sa solitude dans un environnement d'objets incongrus. Chaque pièce porte son récit dans l'illusion du vivant. Il y a cette fantaisie et cette liberté d'un imaginaire sans limite. L’œuvre ne dit rien d'autre que ce qu'elle montre, elle est à l'image du cinéma muet.

Du 27 octobre au 10 janvier 2018



jeudi 23 novembre 2017

Liz Magor, MAMA, Nice


Il est de bon ton pour l'artiste contemporain d’interpeller, d’explorer et surtout d'interroger. Si Picasso disait « Je ne cherche pas, je trouve » , il semblerait qu'aujourd'hui la quête soit en elle-même plus importante que l'objet qui en résulte d'où l'inflation des concepts et la dévaluation de l’œuvre physique. Celle-ci se réduit le plus souvent à n'être que l'écho des préoccupations sociétales du moment. Même si celles-ci sont présentes dans le lent et long travail de Liz Magor, il n’empêche que l'artiste s'attache à surtout restituer à l'objet sa dignité, fût-il le plus trivial, en le mesurant à ce que, par convention, on nomme « œuvre d'art ».
Si « question » il y a donc dans ces œuvres, c'est bien celle de l'existence des choses et de leur disparition quand elles nous sont liées intimement. Question que Lamartine posa ainsi: « Objets inanimés, avez-vous une âme
 Qui s'attache à notre âme (…) ?

Issus de leur trivialité dans le quotidien, voici ces objets qui parsèment les salles du MAMAC. Figés dans une mémoire éteinte, leur « âme » s'exprime par les subtiles modifications que l'artiste leur fait subir quand ce n'est pas par un jeu de simulations qui leur donne tout leur sens. Anonymes, ces objets attestent pourtant d'une existence. Chacun d'eux porte l'empreinte d'un récit personnel et, de ces indices, Liz Magor parvient à transposer l'intime au niveau de l'universel. Ces objets, comme ceux des natures mortes, sont alors dotés d'une vraie puissance allégorique. Il seraient à l'égal des mythes s'ils étaient chargés d'une quelconque grandeur. Mais qu'il s'agisse d'un mégot de cigarette, d'une bouteille ou de vêtements usagés, ces objets ne sont marqués que par le temps et portent l'empreinte, souvent feinte, de leurs propriétaires. Dans leur sillage, ces choses fonctionnelles sont dépouillées de leur valeur d'usage et paraissent destinées à les suivre dans un autre monde, comme dans l’Égypte ancienne où les objets du défunt l'accompagnaient dans la  tombe.

Si l'idée d'extinction et de mort domine, Liz Magor ne tente pas de redonner vie à ces objets. Elle s'intéresse davantage à leur témoignage, à leur douceur passée et, surtout, à ce qu'ils portaient d'invisible. Elle est une archéologue des âmes. L'artiste nous les donne à voir, revêtus de leur part de simulacre.
En effet, tout ici relève de l'illusion. Si les objets sont bien réels, il se confrontent pourtant à la détérioration d'une mémoire et au détournement que l'artiste leur impose. Le plus souvent, il ne s'agit que d'imitations, de leurres et le spectateur perçoit, par exemple, du vulgaire carton quand celui-ci est en fait le produit d'un moulage en gypse polymérisé.
Cet univers simple et silencieux est celui de notre environnement. Meubles revêtus, sculptures de sacs de couchage, où est la réalité ? Ici les choses règnent dans un présent intemporel : Le temps de la poésie.


Du 18 novembre au 13 mai 2018



Née en 1948, Liz Magor est une artiste canadienne.Elle travaille la sculpture, l'installation et la photographie. Par la sculpture, elle s’intéresse à l'ontologie d'objets ordinaires ou familiers recréés et présentés dans un autre contexte. 



mercredi 15 novembre 2017

Berdaguer & Péjus, "Sine materia"

Le Narcissio, Nice



C'est peut-être une erreur que de se saisir d'une œuvre en fonction de l'idée qui préside à sa conception. Comme si de la « chose mentale » à sa réalisation matérielle rien d'autre n'entrait en jeu qu'un simple effet de miroir qui en serait la traduction. Or c'est toujours un processus plus complexe qui se réalise, avec des digressions, des déformations, et, surtout, il arrive que la forme se rebelle contre le sens ou, au contraire, que la signification d'une œuvre entre en collision avec ce qui lui donne chair.
Pour en faire l'expérience, il suffit de pousser la porte du Narcissio, de franchir un rideau de tiges noires jetant par à coups des flashes de lumière sur le sol. Au loin une vidéo diffuse la douceur d'un bleu ondoyant qui aspire le spectateur de même qu'elle esquisse des allusions au corps, des mouvements à l'intérieur de ce qui serait un univers marin . Mais tout cela est si abstrait, si lisse que nous restons en lisière du sens, dans cet interstice où le corps naîtrait ou bien se noierait dans cet océan primordial.
Bien sûr la réalité se dérobe à la métaphore et il faut de nouveau extraire quelque indice. Par exemple ces sculptures incertaines, sombres comme surgies des profondeurs, semblables à des conques d'un bleu d'encre issues d'un entrelacement de tentacules. Plus qu'un environnement, c'est ici un trajet qui s'effectue et le corps se meut dans l’espace ; il se développe dans une lumière chancelante, rythmée de sonorités discrètes qui le tiennent en alerte. Sur une paroi, des fils électriques sont tissés et figurent un corset.
Décrire une œuvre est inutile si on n'éprouve pas ce mouvement qui est aussi celui de ce qui s'en empare. Pensée mouvante. Sensations contraires. Corps flottant. En quelque sorte un état lacunaire, comme au seuil d'une crise. L’œuvre demeure ce parcours qui nous incite au déchiffrement et l'art est cette expérience de l'herméneutique.

Faut-il alors dire, puisque tel est le projet de Christophe Berdaguer et de Marie Péjus, que nous sommes face au corps qui se décompose dans un épisode hystérique ? L'hystérie, l'utérus, la matrice... Cette bonne vieille mythologie qui érode le présent avec ses héros, ses martyrs nimbés d'extase!  Si pour les artistes, le projet prélude à l'exécution de l’œuvre, à l'inverse pour le spectateur, il n'intervient qu'au terme de sa déambulation. De l'un à l'autre, une suite de hiatus et de chausse-trappes se succèdent et font que l’œuvre n'appartient jamais vraiment à celui qui l' a produite mais tout autant à ses dépositaires qui parachèvent son sens parfois en résistance avec l'artiste. Et, paradoxalement, c'est souvent cette tension qui lui donne cette force à laquelle nous nous abandonnons. Nous percevons l’œuvre en fonction de notre histoire et de notre corps si bien qu'elle demeure ouverte et n’agit que par ce conflit qu'elle suppose entre celui qui la crée et celui qui la reçoit.

Mais l''hystérie est aussi histoire de simulation, c'est à dire d'excès, de faux semblant. D'un miroir déformant. Elle désigne alors une crise de la représentation. On peut évoquer Charcot ou Freud mais l'essentiel n'est-il pas dans la façon dont elle se formule ailleurs que dans un corps, c'est à dire ici dans l'art lui-même ? Car celui-ci nous renvoie à un corpus de signes, d'indices et de symptômes qui resteront inopérants aussi longtemps qu'on se laissera aveugler par l'invisible. L'art dévoile et nous ouvre à l'évidence; un peu à la façon de Lacan lorsqu'il nous disait que « La lettre volée » était là, tellement en évidence, que ceux qui la cherchaient, échouaient à la découvrir.
La réussite d'une œuvre échappe parfois à son auteur. Il n'est pas certain que le binôme Berdaguer & Péjus ait délibérément franchi l'autre côté du miroir mais, du moins, le spectateur aura-t-il expérimenté ce nœud inextricable de la représentation. C'est celui-ci qu'il s'agit de voir et non pas ce qui se trame dans une ombre introuvable. A moins que l'idée même de représentation ne soit elle-même un leurre. On connaît cet adage chinois disant que lorsque le sage désigne le lune, l'idiot regarde son doigt. On pourrait rétorquer que le sage aurait plus d'intérêt à regarder son doigt qu'à désigner la lune. Une simple histoire de perspective.

Du 10 novembre 2017 au 10 février 2018


mercredi 8 novembre 2017

"Le paysage en question", Centre d'Art Contemporain, Chateauvert, Var

Vincent Bioules

On épouse des vallonnements de vignobles dorés par l'automne et une lumière mielleuse puis, au débouché de gorges sombres hérissées de falaises, un village minuscule , Chateauvert, et, au cœur  d'une vaste prairie, on découvre le Centre d'Art Contemporain. Au milieu d'un jardin de sculptures, un vaste espace accueille le meilleur de la création d'aujourd'hui. Et l'exposition actuellement présentée, « Le paysage en question », est en elle-même une fenêtre sur la nature. Ne serait-ce que par son immersion dans la troublante ambiguïté de celle-ci  , elle propose déjà une amorce de réponse dans sa manière d'envisager la notion de paysage.
Que celui-ci soit fragmentaire - c'est à dire qu'il procède de l'arbitraire d'un découpage, qu'il soit géométrisé dans son cadre et, surtout, qu'il relève d'une culture et de choix décisifs pour mettre en scène des sensations dans une organisation de l'espace et une signification qui est celle de la parole de l'artiste - tout s'expérimente ici dans l'idée de ce qui constitue un paysage. Mais, quand il s'agit  de peinture, il est certain que l'artiste définit le concept de paysage en même temps qu'il énonce le  pouvoir de la  peinture et, de cette interaction, une forme de récit se construit.

Cette histoire là n'est pas nouvelle. Les paysages idylliques de Poussin sont en décalage avec ceux de l'antiquité auxquels ils servent pourtant de cadre. Le réel s’efface alors devant les contraintes de l'allégorie ; la nature s'annule au regard de la métaphore. Avec Corot s'ouvre une nouvelle ère, celle de la peinture de chevalet, celle de l'artiste face à ses seules sensations, dépouillé de toute autre forme de récit que celui de sa captation de la lumière, du rendu de ses couleurs, de la création d'un espace humanisé à la dimension d'un corps. Il y aura bien sûr Cézanne et tant d'autres...
Alors pourquoi aujourd'hui « Le paysage en question ? » Peut-être justement parce que l'art contemporain a mis la peinture en question. Qu'il a pu parfois, au terme d'un procès expéditif, la qualifier de décorative, dénoncer son manque de pertinence de par ses limites formelles et de son rapport à son histoire. A ceci on rétorquera que la peinture n'a cessé d'évoluer en fonction, non pas seulement du regard que les hommes portaient sur le monde, mais plus encore par l'intensité du désir que ceux-là éprouvaient à le formuler, à le remplir d'une signification nouvelle pour donner sens à un monde, autrement muet, et qui,autrement, nous resterait invisible.

C'est dire que la peinture doit se saisir de ce monde tel qu'il est aujourd'hui. Dans son immédiateté mais  aussi dans son trop plein d'images. Le peintre, désormais, n'ignore donc rien, par exemple,  de la photographie qui propose son propre regard mais qui peut aussi être pour lui un outil, un instrument de mesure pour appréhender ce qu'est un paysage.
Jérémy Liron l'utilise comme on l'aurait fait autrefois d'un carnet de croquis. Il trace à l'aide de la photo des ébauches qu'il met en peinture pour des espaces vertigineux, rendus à leur seul vide existentiel ; et la peinture est ici un miroir implacable sur la beauté tragique de notre monde. Koen van den Broeck se sert également de la photographie et de photoshop pour capter de nouvelles perspectives au ras du sol, à des raccourcis saisissants pour donner vie à  une peinture épurée qui, au terme d' éclairs, de formes brutes et de lumière, se limite à l'essentiel. Le paysage ici ne saurait souffrir d'aucune anecdote ; il règne dans sa majesté froide, dans son objectivité hors limite, hors sens. Il définit les seuls contours possibles de l'abstraction.
Chaque peintre s'empare de la matière picturale pour cette analyse du paysage. En lui se joue ce va et vient émouvant, parfois nostalgique -mais le désir toujours y procède- de la nature et d'un espace urbain. De l'un à l'autre, oscille cette distance irrémédiable, cette impossibilité, mais en même temps cette évidence que cet interstice serait la figure même d'une utopie. Ce seul mot  ne serait-il pas l'horizon de tout paysage -physique ou mental -? Ne serait-il pas toujours l'idée même de la peinture ?

Michel Gathier


Œuvres de Arthur Aillaud, Vincent Bioules, Koen van den Broek, Tshuta Kimura, Per Kirkeby, Jérémy Liron, Guy de Malherbe, Serge Plagnol

Exposition jusqu'au 26 novembre 2016


              Arthur Aillaud


                                   Koen van den Broek




mercredi 25 octobre 2017

"Inventeurs d'aventures", Villa Arson

                            Villa Arson, Nice    

                           
Morgan Patimo, "It's for the kids" dessin aux feutres réalisé in situ

                                 « Inventeurs d'aventures » : De ce double vocable surgit l'un de ces pléonasmes que les artistes affectionnent, non seulement parce qu'il engage une même étymologie dans le sens de « venir » et celle d'un destin à mettre en œuvre, mais surtout pour cette intuition qu'un pléonasme demeure une mise en miroir de deux mots et, qu'entre ceux-là, se joue toute une gamme d'attirances et de contradictions comme ferment d'un geste artistique.
                             Mais un geste n'est pas l’œuvre en soi ; il en préfigure l'accomplissement. Physique ou mental, là encore faudrait-il recourir à son sens médiéval d'une « chose faite » pour lui ajouter cette matérialité nouvelle que l'artiste propose. Même balbutiante, même irréductible à la « chose » ou fractionnée dans un environnement d'objets, même se mesurant à l'immatériel et à la multiplicité des supports, l’œuvre d'art énonce ce projet avant même de prendre corps.

                           C’est peut-être là que réside la véritable réussite de cette exposition. Dans l'ensemble des 22 propositions qu'essaime l'architecture labyrinthique de la Villa Arson, des trames de récit se nouent, se jaugent et parviennent à dessiner le paysage de que serait une aventure artistique aujourd'hui. D'anecdote en anecdote ou de la superposition d'un lieu à un autre, un paysage se compose. Un paysage est un espace ouvert qui a pour fiction un horizon. Celui-ci est une ligne de flottaison pour le sens ; il vacille, cherche son équilibre et, de ce mouvement inégal, il conduit cette démarche en dehors des clous, au-delà des normes, pour le territoire de l'artiste ou de l'aventurier. L'horizon, seul le fou voudra l'atteindre mais seul l'artiste peut prétendre le figurer.



                           Or parmi toutes ces propositions, ce qui frappe c'est que, contre toute présence du corps ou  d'une quelconque subjectivité,  cet extérieur paysager  domine. Parfois un espace qui fait référence à une iconographie classique mais détournée par le champ social ou politique. Parfois, à l'instar des mythes anciens, l'espace est terra incognita, champ d'expérience, terre de possibles.  La résonance d'une video se heurte à des souvenirs picturaux ; ailleurs, la sculpture est contaminée par le vivant, absorbée par le biologique. Car c'est bien la vie, dans son intensité extrême, ses soubresauts peut-être, qui s'agite ici, se réactive et formule ses multiples espérances. Sans doute faudrait-ici rendre compte de chaque parcours, mais ce serait encore une autre histoire, une longue saga pour laquelle il faudrait recomposer les fils. Contentons-nous donc d' « entrevoir », c'est à dire de penser, d'imaginer – dans notre propre aventure – ce que serait cet espace et ce temps à défricher pour de nouvelles mythologies.

Michel Gathier

Avec Chloé Angiolini & Elodie Castaldo (La Balnéaire) ; Vincent Ceraudo ; Antoine Donzeaud ; Yohan Dumas ; Camille Franch Guerra & Evan Bourgeau ; Xiaoxin Gui ; François-Xavier Guiberteau ; Amandine Guruceaga ; Aurélien Lemonnier ; Martin Lewden ; Rafaela Lopez, Baptiste Masson & David Perreard ; Robin Lopvet ; Marie Ouazzani & Nicolas Carrier ; Jordan Pallagès ; Morgan Patimo ; Georgia René-Worms ;  Thomas Royez ; Elvia Teotski ; Anna Tomaszewski ; Rebecca Topakian ; Samuel Trenquier ; Gaëtan Trovato & Robin Touchard
Commissariat : Gaël Charbau assisté d’Aurélie Faure

Exposition du 15 octobre 2017 au 7 janvier 2018

Gaëtan Trovato § Robin Troucard, TRINAKRIA, installation video et fragments d'images projetées


Elvia  Teotski, "Un monde en construction", installation non statique, culture de champignons.


mardi 24 octobre 2017

La grande illusion

Caisse d'Epargne, Place Masséna, Nice



David ANCELIN Sea of heartbreak (detail) 2017 wallpaper Dimensions variables Courtesy de l’artiste © David Ancelin

Nous sommes encombrés de fausses évidences, de constats trop rapides et de clichés. Ce titre « La grande illusion » en est d'ailleurs un, tellement ces mots issus du cinéma se sont imprimés dans notre mémoire. Un cliché que les commissaires organisatrices, Rébecca François et Lélia Decourt, démontent en donnant à voir le lieu en fonction de l'illusionnisme. Dans le cadre de la salle d'attente de la Caisse d'Epargne, elles invitent le visiteur, à travers une errance jubilatoire, à repenser l'espace, à en saisir les normes, à déjouer son cadre illusoire. Un espace fonctionnel ne se réduit pas à ce qu'on peut en attendre, il demeure un lieu de curiosité et de rêverie auquel l'intelligence n'est pas étrangère.
Dans « Le rire », Bergson écrivait cette phrase qui devrait constamment guider notre pensée : « Nous ne voyons pas les choses mêmes. Nous voyons seulement les étiquettes qu'on a collées sur elles. » Se réapproprier le réel après avoir arraché le papier peint de nos vies et déchiré le décor, telle devrait être la mission de l'art et de la culture.

Poésie et humour sont les meilleurs outils pour ce joyeux nettoyage ! Sept artistes se disputent le plaisir d'apporter chacun leur touche à cette œuvre de  « déssillement » du regard. Les propositions se toisent, se croisent, s'annulent mutuellement comme si chacune s'amusait à enfreindre la règle d'unité qui serait justement celle de l'illusion alliée au bon goût. Pascal Pinaud renverse les codes ; il remplace le fond uniforme sur lesquelles, par convention, on accroche des tableaux par un mur peint selon le logo de la Caisse d'Epargne. Celui-ci est alors recouvert de tableaux de même format mais tous d'un style et d'une facture si différents qu'un effet de brouillage se produit : En dépit de la qualité esthétique de chaque œuvre, le spectateur entre en collision avec elles et est incité à se demander si l'artiste est une seule personne, si le décor est homogène, s'il n'y aurait pas quelque ruse perverse quelque part...
De la même manière, Jean-Philippe Roubaud exécute avec brio quelques natures mortes dans l'esprit du XVII èm siècle hollandais mais à partir du dessin. Sa rigueur tout en contretemps avec la modernité du lieu nous incite à penser le décor avec peut-être ce clin d’œil ironique aux « vanités »... Xavier Theunis expose une vaste photographie de parpaings recouvrant la peinture murale, inverse ainsi les perspectives et nous donne à voir ce qui est recouvert.
Toutes les œuvres interprètent leur sens et leur déconstruction dans cette joyeuse cacophonie qui incite le spectateur à l'éveil, à la curiosité, au mouvement. Même si l'on y savoure pourtant le plaisir d'attendre.

Michel Gathier


Œuvres de Pascal Pinaud, Ludovic Lignon, Xavier Theunis, Jean-Philippe Roubaud, David Ancelin, Nicolas Desplats, Julie Kieffer.

Du 21 octobre 2017 au 12 janvier 2018

samedi 21 octobre 2017

Eglé Vismanté, lauréate de la bourse de la Francis Bacon MB Art Foundation

Villa Arson, Nice




Identifier une œuvre se résume le plus souvent à en saisir les contours, à la cerner dans l'illusion du  projet abouti de l'artiste et à en négliger les doutes et cette substance dont le spectateur s'empare et qui, souvent, échappe, ne serait-ce que dans la marge, à ce que son auteur désirait qu'elle fût. La seule phénoménologie de l'art  massivement  acceptable est celle qui est entièrement centrée sur l'artiste démiurge quand c'est l’œuvre, et seulement celle-ci, qu'il s'agit d'appréhender. L’œuvre d'art n'est jamais un objet fini mais plutôt le résultat d'un instant arbitrairement interrompu. Fragile, elle témoigne d'un cheminement, des hésitations qui ont jalonné sa réalisation. Elle n'est qu'une étape et un état provisoire de l'acte créatif.
Si en amont l’œuvre s'élabore sur ce parcours indécis, on comprend qu'en aval, une fois qu'elle se met en suspens pour son temps d'exposition, elle anticipe son effacement programmé. Le dessin pourrait  être le lieu privilégié de ce processus avec ses effets de recouvrement et de gommage, ses jeux de lignes et de masses, ses constructions en noir et blanc. Moins esthétisant que la peinture, il se veut plus souvent didactique, précis. Il n'est rétif ni aux techniques ni aux sciences. Il échappe aisément aux règles et aux canons de l'art. Le dessin propose cette utopie d'un horizon comme aboutissement. Une même étymologie embrasse ces trois mots: dessin, dessein et le verbe " désigner".

Eglé Vismanté joue avec brio de ce territoire-là, incertain, quand  une narration littéraire, souvent discrètement référencée, se dispute à une désignation  scientifique poussée vers l'absurde. Imaginons les inventions rêvées et dessinées par Vinci mais revisitées par Picabia qui aurait lu Cervantès. Ou une chimère de Jules Vernes dessinée par l'un de ses personnages. Au moins l'artiste assume-t-elle le risque de poursuivre ce processus imaginaire, de l’accompagner dans sa cohérence ultime, l'effacement. Cette disparition programmée de l’œuvre correspond dans le temps à l'inscription d'une utopie. Elle est un acte performatif toujours en mouvement. Et une expérience de l'imaginaire.



Godot's paper

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vendredi 20 octobre 2017

Jean- Michel Fauquet

Musée de la photographie Charles Nègre, Nice




"La vitesse, c'est la vieillesse du monde... emportés par sa violence, nous n'allons nulle part, nous nous contentons de partir et de nous départir du vif au profit du vide de la rapidité. Après avoir longtemps signifié la suppression des distances, la négation de l'espace, la vitesse équivaut soudain à l'anéantissement du Temps : c'est l'état d'urgence. »
Paul Virilio, « Vitesse et politique »

La photographie s' inscrit dans le contexte précis de la révolution industrielle et l' accélération du temps qu’elle suscita . Prenant en charge la corrélation de la vitesse et de la lumière, elle impose dans notre système représentatif une révolution majeure qui se poursuivra avec le cinéma. Penser la photographie implique une conception nouvelle de l'image et de sa relation au temps. Après la durée longue d'un artisanat entièrement manuel, de la préhistoire jusqu' à la fin du 18e siècle, le 19e siècle inaugure ainsi le règne de la machine, de l'appareil photographique, de l'instantané, et redéfinit les relations de l'image et du réel. Celles aussi de l'idée, du corps et de leur représentation.

                           Jean-Michel Fauquet est photographe. Pourtant il travaille la photographie sur ce temps ancien dominé par le dessin, la sculpture et la peinture. Autant dire qu'à l' « instant décisif », à cette fixation du temps, à la captation soudaine d'un espace, il répondra par un hors temps et un hors champ. Se définissant photographe d'atelier, il se plaît à rappeler l'anagramme existant entre les mot « atelier » et « réalité ». Car s'il s'agit bien toujours de réalité en photographie, celle-ci échappe peut-être à son corset de visibilité. La réalité ne saurait se réduire à un découpage instantané du réel; elle se fond avec le ressac des temps anciens, des mythes, des angoisses et de tout un champ culturel que l'artiste prend en charge.

                          Photographe de l'intemporalité, Jean-Michel Fauquet travaille la photographie à partir de la peinture. L'image est est à la fois rayée et floutée par les coups de brosse de l'huile sur le papier. Parfois le trait, la tache ou l'estompage du dessin s'impose contre la brutalité d'une image trop soudaine. C'est une autre violence, plus sourde, plus intime qui remonte alors à la surface lorsque le photographe réalise des sculptures en carton à l'apparence ferreuse qui sont autant de constructions étouffantes, malsaines, quand elles investissent la photographie pour la vider de toute actualité, de toute possibilité de dire le présent.
                             Peut-être faudrait-il ici parler de « gravure photographique ». En parler avec gravité, dans le seul temps de l'inquiétude et de la méditation. On pense aux eaux-fortes de Goya pour ses « caprichos », à celles de Jacques Callot, à toutes ces images d'une souffrance qui érode toute rationalité, toute possibilité d'une représentation objective. Ce ne sont que gangues, garrots, cordages esquissés, allusions à des prothèses infernales, à des membres végétaux, à un cauchemar qui se fraye son chemin vers une aube peut-être paradisiaque quand soudain la nature surgit d'une brume argentée et l'on pense à Théodore Rousseau, à Corot... Jean-Michel Fauquet maîtrise parfaitement la mise en scène. Les photographies s'agencent parfois comme dans un retable; parfois, elle se mesurent à des volumes. Toujours elles ne cessent de dire ce qu'est la photographie dans sa relation à l'art, au mystère et aux limites sombres ou lumineuses du sacré.

                             Jean-Michel Fauquet résume parfaitement cette œuvre quand, après l'avoir présentée, il déclare : « Être à l'avant-poste du désespoir pour être aux premières lignes du bonheur ».

Michel Gathier

Du 20 octobre 2017 au 21 janvier 2018