mercredi 25 octobre 2017

"Inventeurs d'aventures", Villa Arson

                            Villa Arson, Nice    

                           
Morgan Patimo, "It's for the kids" dessin aux feutres réalisé in situ

                                 « Inventeurs d'aventures » : De ce double vocable surgit l'un de ces pléonasmes que les artistes affectionnent, non seulement parce qu'il engage une même étymologie dans le sens de « venir » et celle d'un destin à mettre en œuvre, mais surtout pour cette intuition qu'un pléonasme demeure une mise en miroir de deux mots et, qu'entre ceux-là, se joue toute une gamme d'attirances et de contradictions comme ferment d'un geste artistique.
                             Mais un geste n'est pas l’œuvre en soi ; il en préfigure l'accomplissement. Physique ou mental, là encore faudrait-il recourir à son sens médiéval d'une « chose faite » pour lui ajouter cette matérialité nouvelle que l'artiste propose. Même balbutiante, même irréductible à la « chose » ou fractionnée dans un environnement d'objets, même se mesurant à l'immatériel et à la multiplicité des supports, l’œuvre d'art énonce ce projet avant même de prendre corps.

                           C’est peut-être là que réside la véritable réussite de cette exposition. Dans l'ensemble des 22 propositions qu'essaime l'architecture labyrinthique de la Villa Arson, des trames de récit se nouent, se jaugent et parviennent à dessiner le paysage de que serait une aventure artistique aujourd'hui. D'anecdote en anecdote ou de la superposition d'un lieu à un autre, un paysage se compose. Un paysage est un espace ouvert qui a pour fiction un horizon. Celui-ci est une ligne de flottaison pour le sens ; il vacille, cherche son équilibre et, de ce mouvement inégal, il conduit cette démarche en dehors des clous, au-delà des normes, pour le territoire de l'artiste ou de l'aventurier. L'horizon, seul le fou voudra l'atteindre mais seul l'artiste peut prétendre le figurer.



                           Or parmi toutes ces propositions, ce qui frappe c'est que, contre toute présence du corps ou  d'une quelconque subjectivité,  cet extérieur paysager  domine. Parfois un espace qui fait référence à une iconographie classique mais détournée par le champ social ou politique. Parfois, à l'instar des mythes anciens, l'espace est terra incognita, champ d'expérience, terre de possibles.  La résonance d'une video se heurte à des souvenirs picturaux ; ailleurs, la sculpture est contaminée par le vivant, absorbée par le biologique. Car c'est bien la vie, dans son intensité extrême, ses soubresauts peut-être, qui s'agite ici, se réactive et formule ses multiples espérances. Sans doute faudrait-ici rendre compte de chaque parcours, mais ce serait encore une autre histoire, une longue saga pour laquelle il faudrait recomposer les fils. Contentons-nous donc d' « entrevoir », c'est à dire de penser, d'imaginer – dans notre propre aventure – ce que serait cet espace et ce temps à défricher pour de nouvelles mythologies.

Michel Gathier

Avec Chloé Angiolini & Elodie Castaldo (La Balnéaire) ; Vincent Ceraudo ; Antoine Donzeaud ; Yohan Dumas ; Camille Franch Guerra & Evan Bourgeau ; Xiaoxin Gui ; François-Xavier Guiberteau ; Amandine Guruceaga ; Aurélien Lemonnier ; Martin Lewden ; Rafaela Lopez, Baptiste Masson & David Perreard ; Robin Lopvet ; Marie Ouazzani & Nicolas Carrier ; Jordan Pallagès ; Morgan Patimo ; Georgia René-Worms ;  Thomas Royez ; Elvia Teotski ; Anna Tomaszewski ; Rebecca Topakian ; Samuel Trenquier ; Gaëtan Trovato & Robin Touchard
Commissariat : Gaël Charbau assisté d’Aurélie Faure

Exposition du 15 octobre 2017 au 7 janvier 2018

Gaëtan Trovato § Robin Troucard, TRINAKRIA, installation video et fragments d'images projetées


Elvia  Teotski, "Un monde en construction", installation non statique, culture de champignons.


mardi 24 octobre 2017

La grande illusion

Caisse d'Epargne, Place Masséna, Nice



David ANCELIN Sea of heartbreak (detail) 2017 wallpaper Dimensions variables Courtesy de l’artiste © David Ancelin

Nous sommes encombrés de fausses évidences, de constats trop rapides et de clichés. Ce titre « La grande illusion » en est d'ailleurs un, tellement ces mots issus du cinéma se sont imprimés dans notre mémoire. Un cliché que les commissaires organisatrices, Rébecca François et Lélia Decourt, démontent en donnant à voir le lieu en fonction de l'illusionnisme. Dans le cadre de la salle d'attente de la Caisse d'Epargne, elles invitent le visiteur, à travers une errance jubilatoire, à repenser l'espace, à en saisir les normes, à déjouer son cadre illusoire. Un espace fonctionnel ne se réduit pas à ce qu'on peut en attendre, il demeure un lieu de curiosité et de rêverie auquel l'intelligence n'est pas étrangère.
Dans « Le rire », Bergson écrivait cette phrase qui devrait constamment guider notre pensée : « Nous ne voyons pas les choses mêmes. Nous voyons seulement les étiquettes qu'on a collées sur elles. » Se réapproprier le réel après avoir arraché le papier peint de nos vies et déchiré le décor, telle devrait être la mission de l'art et de la culture.

Poésie et humour sont les meilleurs outils pour ce joyeux nettoyage ! Sept artistes se disputent le plaisir d'apporter chacun leur touche à cette œuvre de  « déssillement » du regard. Les propositions se toisent, se croisent, s'annulent mutuellement comme si chacune s'amusait à enfreindre la règle d'unité qui serait justement celle de l'illusion alliée au bon goût. Pascal Pinaud renverse les codes ; il remplace le fond uniforme sur lesquelles, par convention, on accroche des tableaux par un mur peint selon le logo de la Caisse d'Epargne. Celui-ci est alors recouvert de tableaux de même format mais tous d'un style et d'une facture si différents qu'un effet de brouillage se produit : En dépit de la qualité esthétique de chaque œuvre, le spectateur entre en collision avec elles et est incité à se demander si l'artiste est une seule personne, si le décor est homogène, s'il n'y aurait pas quelque ruse perverse quelque part...
De la même manière, Jean-Philippe Roubaud exécute avec brio quelques natures mortes dans l'esprit du XVII èm siècle hollandais mais à partir du dessin. Sa rigueur tout en contretemps avec la modernité du lieu nous incite à penser le décor avec peut-être ce clin d’œil ironique aux « vanités »... Xavier Theunis expose une vaste photographie de parpaings recouvrant la peinture murale, inverse ainsi les perspectives et nous donne à voir ce qui est recouvert.
Toutes les œuvres interprètent leur sens et leur déconstruction dans cette joyeuse cacophonie qui incite le spectateur à l'éveil, à la curiosité, au mouvement. Même si l'on y savoure pourtant le plaisir d'attendre.

Michel Gathier


Œuvres de Pascal Pinaud, Ludovic Lignon, Xavier Theunis, Jean-Philippe Roubaud, David Ancelin, Nicolas Desplats, Julie Kieffer.

Du 21 octobre 2017 au 12 janvier 2018

samedi 21 octobre 2017

Eglé Vismanté, lauréate de la bourse de la Francis Bacon MB Art Foundation

Villa Arson, Nice




Identifier une œuvre se résume le plus souvent à en saisir les contours, à la cerner dans l'illusion du  projet abouti de l'artiste et à en négliger les doutes et cette substance dont le spectateur s'empare et qui, souvent, échappe, ne serait-ce que dans la marge, à ce que son auteur désirait qu'elle fût. La seule phénoménologie de l'art  massivement  acceptable est celle qui est entièrement centrée sur l'artiste démiurge quand c'est l’œuvre, et seulement celle-ci, qu'il s'agit d'appréhender. L’œuvre d'art n'est jamais un objet fini mais plutôt le résultat d'un instant arbitrairement interrompu. Fragile, elle témoigne d'un cheminement, des hésitations qui ont jalonné sa réalisation. Elle n'est qu'une étape et un état provisoire de l'acte créatif.
Si en amont l’œuvre s'élabore sur ce parcours indécis, on comprend qu'en aval, une fois qu'elle se met en suspens pour son temps d'exposition, elle anticipe son effacement programmé. Le dessin pourrait  être le lieu privilégié de ce processus avec ses effets de recouvrement et de gommage, ses jeux de lignes et de masses, ses constructions en noir et blanc. Moins esthétisant que la peinture, il se veut plus souvent didactique, précis. Il n'est rétif ni aux techniques ni aux sciences. Il échappe aisément aux règles et aux canons de l'art. Le dessin propose cette utopie d'un horizon comme aboutissement. Une même étymologie embrasse ces trois mots: dessin, dessein et le verbe " désigner".

Eglé Vismanté joue avec brio de ce territoire-là, incertain, quand  une narration littéraire, souvent discrètement référencée, se dispute à une désignation  scientifique poussée vers l'absurde. Imaginons les inventions rêvées et dessinées par Vinci mais revisitées par Picabia qui aurait lu Cervantès. Ou une chimère de Jules Vernes dessinée par l'un de ses personnages. Au moins l'artiste assume-t-elle le risque de poursuivre ce processus imaginaire, de l’accompagner dans sa cohérence ultime, l'effacement. Cette disparition programmée de l’œuvre correspond dans le temps à l'inscription d'une utopie. Elle est un acte performatif toujours en mouvement. Et une expérience de l'imaginaire.



Godot's paper

rhttp://www.mbartfoundation.com/news/item/467





vendredi 20 octobre 2017

Jean- Michel Fauquet

Musée de la photographie Charles Nègre, Nice




"La vitesse, c'est la vieillesse du monde... emportés par sa violence, nous n'allons nulle part, nous nous contentons de partir et de nous départir du vif au profit du vide de la rapidité. Après avoir longtemps signifié la suppression des distances, la négation de l'espace, la vitesse équivaut soudain à l'anéantissement du Temps : c'est l'état d'urgence. »
Paul Virilio, « Vitesse et politique »

La photographie s' inscrit dans le contexte précis de la révolution industrielle et l' accélération du temps qu’elle suscita . Prenant en charge la corrélation de la vitesse et de la lumière, elle impose dans notre système représentatif une révolution majeure qui se poursuivra avec le cinéma. Penser la photographie implique une conception nouvelle de l'image et de sa relation au temps. Après la durée longue d'un artisanat entièrement manuel, de la préhistoire jusqu' à la fin du 18e siècle, le 19e siècle inaugure ainsi le règne de la machine, de l'appareil photographique, de l'instantané, et redéfinit les relations de l'image et du réel. Celles aussi de l'idée, du corps et de leur représentation.

                           Jean-Michel Fauquet est photographe. Pourtant il travaille la photographie sur ce temps ancien dominé par le dessin, la sculpture et la peinture. Autant dire qu'à l' « instant décisif », à cette fixation du temps, à la captation soudaine d'un espace, il répondra par un hors temps et un hors champ. Se définissant photographe d'atelier, il se plaît à rappeler l'anagramme existant entre les mot « atelier » et « réalité ». Car s'il s'agit bien toujours de réalité en photographie, celle-ci échappe peut-être à son corset de visibilité. La réalité ne saurait se réduire à un découpage instantané du réel; elle se fond avec le ressac des temps anciens, des mythes, des angoisses et de tout un champ culturel que l'artiste prend en charge.

                          Photographe de l'intemporalité, Jean-Michel Fauquet travaille la photographie à partir de la peinture. L'image est est à la fois rayée et floutée par les coups de brosse de l'huile sur le papier. Parfois le trait, la tache ou l'estompage du dessin s'impose contre la brutalité d'une image trop soudaine. C'est une autre violence, plus sourde, plus intime qui remonte alors à la surface lorsque le photographe réalise des sculptures en carton à l'apparence ferreuse qui sont autant de constructions étouffantes, malsaines, quand elles investissent la photographie pour la vider de toute actualité, de toute possibilité de dire le présent.
                             Peut-être faudrait-il ici parler de « gravure photographique ». En parler avec gravité, dans le seul temps de l'inquiétude et de la méditation. On pense aux eaux-fortes de Goya pour ses « caprichos », à celles de Jacques Callot, à toutes ces images d'une souffrance qui érode toute rationalité, toute possibilité d'une représentation objective. Ce ne sont que gangues, garrots, cordages esquissés, allusions à des prothèses infernales, à des membres végétaux, à un cauchemar qui se fraye son chemin vers une aube peut-être paradisiaque quand soudain la nature surgit d'une brume argentée et l'on pense à Théodore Rousseau, à Corot... Jean-Michel Fauquet maîtrise parfaitement la mise en scène. Les photographies s'agencent parfois comme dans un retable; parfois, elle se mesurent à des volumes. Toujours elles ne cessent de dire ce qu'est la photographie dans sa relation à l'art, au mystère et aux limites sombres ou lumineuses du sacré.

                             Jean-Michel Fauquet résume parfaitement cette œuvre quand, après l'avoir présentée, il déclare : « Être à l'avant-poste du désespoir pour être aux premières lignes du bonheur ».

Michel Gathier

Du 20 octobre 2017 au 21 janvier 2018



lundi 16 octobre 2017

Nicolas Daubanes

                Galerie Eva Vautier, Nice

           



                              Dans l’art contemporain, il est établi que le matériau choisi par l’artiste imprègne le sens que l’œuvre diffuse. Aussi est-il, au sens strict, un signifiant qui l’irrigue et la construit  La matérialité de l’œuvre, exempte de toute neutralité, est donc en elle-même le signe d' un engagement de l’artiste. Elle renferme ce noyau d’énergie et de vérité en amont de toute représentation.

                           Or lorsque Nicolas Daubanes  évoque l’univers carcéral, il l’énonce, par exemple,  à partir de carrelages prélevés dans une prison. Mais arrachés du sol, puis exposés contre  le mur de la galerie, ils agissent par leur puissante frontalité comme un immense tableau réduit à sa seule intensité esthétique. La signification de l’œuvre n’apparaît ici que par la connotation de la matière qui contredit la forme. Un conflit s’installe entre l’apparence et la signification,  et l’artiste ne cesse de jouer sur ces confrontations de sens sur le registre du quotidien, de la fragilité, de l’effacement.  Des matériaux instables, dangereux, anodins, très éloignés du champ traditionnel de l’art,  portent cette voix.
                         Mais cette matière peut être aussi empruntée à un domaine plus symbolique quand l’artiste créée des dessins à partir de poudre de fer aimantée. L’idée de l’évasion avec les barreaux limés d’une cellule devient le préalable à la fabrication de l’œuvre construite à partir de ces résidus. Il y a derrière celle-ci une histoire abandonnée à l’imagination de celui-qui la regarde.

                   L’imagination est aussi une histoire de la liberté, toujours menacée, revendiquée, évanescente. Elle implique par détour l’expérience mentale et physique du narrateur qui s’en saisit de l’intérieur avec ses objets, ses frustrations et ses désirs. Elle ne s’incruste pas dans l’anecdotique. Cette histoire-là, quand elle parle de l’univers carcéral, elle désigne aussi la condition de tous les hommes.

Michel Gathier

Du 14 octobre au 2 décembre 2017


dimanche 15 octobre 2017

Jérémie Setton, "OPEN SPACES, Bifaces et dessins récents"

Galerie Sintitulo, Mougins

                                                  


                             Penser la peinture se confond  dans une praxis quand l’artiste  construit, dans son travail, les mécanismes qui en dévoilent les subterfuges.  Penser se transforme alors en acte et se matérialise dans une œuvre qui désigne la peinture dans sa fonction illusionniste. Car s’il se refuse à la toile et au support, Jérémie Setton se revendique pourtant peintre.

                           Avec beaucoup d’habileté et une lucidité certaine sur ce qu’implique l’art de peindre, il détourne la critique traditionnelle de la peinture qui s’opéra dans les années 6O, notamment avec les artistes de support- surface: Tandis que ces derniers déconstruisaient les éléments formels, toile et châssis, Setton contourne la mise en accusation que cette critique supposait. Il va réinterpréter la peinture mais en fonction de la lumière qui en est la condition. Il  démontre comment celle-ci modifie le sujet représenté  avant toute forme d’énonciation ou de récit. Ainsi la peinture, selon cette approche, n’est-elle plus que la représentation illusionniste d’un dispositif que l’artiste met en place et qui devient  la réalité de l'oeuvre.
                           Pour cela il construit des caissons renfermant un volume, un biface légèrement coloré encadré d’un subtil éclairage qui, selon la lumière extérieure et la distance du spectateur, transformeront le volume en surface plane.  L’objet et son ombre portée se fondent dans un objet pictural idéal dans sa planéité alors que, matériellement, il n’existe pourtant pas dans le modèle de sa réalité originelle. A La déconstruction, Jérémie Setton répond par cette reconstruction de l’idée de la peinture à partir de ce qu’elle n’est pas. Le volume créé par la perspective est désormais le principe constitutif de la peinture et le plan en est la finalité.

                       Au-delà de cette recherche théorique, l’œuvre séduit par sa pureté formelle empreinte de  sérénité. La couleur s’accorde au gris et aux ombres. Elle se déploie dans une gamme délicate, s’empare de toute sa matérialité par la subtilité de son environnement lumineux. Ces dispositifs sous formes de caissons dialoguent aussi  avec des « dessins » qui démontent le système de l’image dans l’incertitude de la peinture ou de la photographie.

                        Est-ce le réel qui se dépose sur l’image ou l’image construit-elle sa propre réalité, c’est à dire se destine-t-elle à une fiction ? Jérémie Setton peint ce trouble sur du papier avec une encre de Chine très diluée. Un patient travail de recouvrement procure cet aspect flou et sépia d’une photo ancienne qui sortirait à peine de son bain de révélateur. Là encore  l’artiste travaille sur l’illusion que l’image produit sans qu’il ait eu recours à quelque artifice. Présence et absence sont  bien au cœur de toute création, pour l’image comme pour celui qui, acteur ou spectateur, s’en empare. En quoi l’image apparaît-elle ou disparaît-elle ? A moins qu’elle ne soit qu’une utopie, un  territoire pensé ou rêvé que l’artiste met en forme mais qui s’efface aussitôt qu’il s’attelle à un nouveau défi. 

Michel Gathier




samedi 14 octobre 2017

Alexandra Guillot, "Contes de l'homme meublé"

Galerie le 22, Nice



La clé des songes n'ouvre les portes d'aucun paradis. Ou même d'ailleurs de l’incandescence d'un enfer. Seulement peut-être celles d'un territoire interstitiel labouré par une mémoire, des rites et des mythologies ; là où ne s'échouent que les objets qui les signent, épaves du temps, figures de l'angoisse. Tel serait ce récit d'Alexandra Guillot dans ses « Contes de l'homme meublé » où un simulacre d'autobiographie se heurte à l'universalité du mythe condensé dans le travail du rêve. Freud écrivait :  « Les mots dans le rêve sont traités comme des choses, ils sont sujets aux mêmes compositions que les représentations d’objets ».

La relation au surréalisme s'impose. On y retrouvera l'humour noir, l'écho du fétichisme dans l'objet qui se fixe comme signe régulateur d'une syntaxe onirique. Et surtout par la connotation de ces objets agissant comme autant de traces d'un lexique qui s'énonce dans le kitch. Plus qu'un style, il témoigne ici, dérisoirement, d'un trop plein, d'un débordement de sens que seul le rêve pourrait expurger et que l'artiste exhibe comme une collection de reliques sombres et inquiétantes . Mobiliers et bibelots sont tapis dans la brume d'une obscurité douce. Un espace intercalaire s'ouvre entre sommeil et rêve éveillé. Les objets inanimés retrouvent leur âme dans l'antichambre de la mort alors que ce faux « théâtre de la cruauté » ne serait que l'étalage d'une drôlerie.

Car l'humour établit une distance et contrecarre toute immersion sensorielle. Le théâtre se réduit ainsi à une série de clichés à partir  de vaisseaux fantômes, de cierges et de tout un appareillage relatif aux rites funéraires. Si certains y voient une méditation sur les seuils, le rêve et la réalité, la vie et la mort, peut-être préférerons-nous y percevoir la grimace rieuse de nos angoisses. Les films d'horreur ne sont-ils pas faits pour les grands enfants ?

Michel Gathier

Exposition du 14 octobre au 25 novembre 2017

vendredi 13 octobre 2017

Anthony McCall, Leaving (With Two-Minutes Silence)

Galerie carrée, Villa Arson, Nice



Et si l’œuvre s'évidait de toute ossature concrète pour se réduire à un pur espace de lumière et de son ? C'est à cette expérience que nous convie Anthony McCall quand il immerge le spectateur, devenu l'acteur de ses propres sensations, dans une architecture immatérielle : son corps franchit les lignes d'une lumière blanche au sein d' un environnement obscur et, là, dans un dispositif formel conçue à partir de dualités, la perception se déstabilise et perturbe toute tentation de récit. Nous voici projetés dans un univers flottant, sans d'autres repères que ce double dispositif lumineux et sonore.

Deux formes sont projetées dans l'espace. L'une décrit un cône elliptique qui décline vers le vide tandis que l'autre, au contraire, part du vide pour élaborer une forme identique. De la même manière, en s'emparant du seul contexte urbain, l'environnement sonore, presque indistinct, joue sur les oppositions entre les sonorités d'un fleuve et du trafic automobile. Le son croise la lumière, la révèle; et le halo blanc que le seul flou d'une vapeur limite, s'empare de cette musique mystérieuse.
Une spiritualité diffuse émane de cet environnement à la fois minimal et complexe. Nous déambulons précautionneusement dans cet univers indécis où l'espace fictif est assujetti à un temps tout aussi arbitraire de 32 minutes après lequel un autre cycle renverse les formes qui nous étaient proposées dans un jeu continuel d'apparition et de disparition.

Venant de l'avant-garde britannique du cinéma, Anthony McCall saisit la lumière et le son comme matériaux de son œuvre. Les dessins préparatoires exposés en marge de cette installation en soulignent l'extrême rigueur. Il y aurait quelque chose d’envoûtant dans cette immersion si nous n'étions pas en même temps confrontés aux frontières de notre réalité. C'est en cela qu'elle s'incruste si puissamment en nous. Une expérience rare et subtile. A ne pas manquer !

Michel Gathier, La Strada N° 282

Du 15 octobre 2017 au 7 janvier 2018
Exposition dans le cadre du Festival Movimenta





vendredi 6 octobre 2017

Philippe Ramette, Exposition monographique

Espace à Vendre, Nice




L'art de Philippe Ramette se fond dans un récit dont l'homme serait à la fois l'initiateur et l'acteur. Un récit d 'apparence autobiographique s'il fallait ici s'abandonner aux faux semblants alors que l'artiste, au contraire, en désigne les trucages et révèle l'envers d'une mise en scène dont le décor serait le monde physique avec ses objets, des villes ou des océans.
 L'homme de Ramette est universel en ce sens qu'il est soumis aux lois de la gravité, à l'illusion de la perspective, à l'attraction de la pesanteur mais le geste de l'artiste -ce qu'il convient désormais de nommer « performance » - sera celui d'une expérience de la déconstruction de ces lois. Changements d'échelle, architecture du déséquilibre, autant de manières pour Philippe Ramette d'introduire des coupes dans notre façon d'envisager notre rapport au monde.

Les photographies illustrent cette impossible ou douloureuse relation de l'homme à son environnement. La posture raide et figée du personnage dans son précaire équilibre exclut toute psychologie et désigne de fait  un récit sans narration. Ce qui serait le moindre paradoxe pour une œuvre construite sur la notion même de paradoxe et  de  défi au sens comme à la  logique. Mais ici  tout est faussé et l'artiste démont(r)e les illusions, les procédures vaines et lui-même se donne à voir comme un signe corseté dans le costume sombre et stricte de l'anonymat. Egalement dans les dessins ou les sculptures en résine, l'homme se réduit à une enveloppe vide, à un spectre.

Il y a ici cette forme d'humour métaphysique qu'on peut retrouver dans les mises en scène de Magritte, dans la récurrence d' hommes réduits à des signes anonymes, étrangers au monde, dans les peintures de Jean Hélion ou d' Antonio Segui. Pourtant Philippe Ramette – autre paradoxe – reste l'artiste de la gravité même quand il en déconstruit fictivement les lois. Tout est factice, tout est réversible.
Cet humour froid, distancié, clinique, joue avec l'humour noir en le désignant comme simple référence sans jamais nous installer dans un univers sombre ou hostile. L'objectivité -peut-être faudrait-il dire, « l’objectivation du monde » - reste de rigueur. Sur un socle de bois pur, une porte s'ouvre sur le vide avec une plaque  « sortie des artistes » et l'on pense à un échafaud. Ailleurs des objets se réduisent à des prothèses et l'on ne sait qui de l'homme ou de la chose est le plus risible en cette inquiétante  histoire. Prothèses, synthèses, foutaises, tout est grinçant et nous donne à voir autrement le monde.
Pour cela, il lui faut s'en détacher, l'expérimenter par des rites quasi obsessionnels et maniaques, en représenter l'aridité radicale pour en extraire, au mieux, une beauté nouvelle. A moins que le trouble, la suspension du sens littéralement figurée ici en soit le creuset pour la promesse d'une autre perception du monde.

Du 6 octobre au 26 novembre 2017




jeudi 5 octobre 2017

Le palais Lascaris revisité

                         

BEN, Benjamin Vautier dit, ( Naples, 1935)
C’était du temps où l’on ne demandait pas son avis au peuple, 2010
Acrylique et collage sur toile
54 x 65 cm
Collection de l’artiste
©Adagp, Paris, 2017


                        Que perçoit aujourd'hui l'artiste lorsqu' il se confronte au decorum d'un vieux palais niçois et comment son regard peut-il réactualiser le lieu et les œuvres qu'il renferme  ? C'est ce défi que relèvent 18 artistes majeurs qui, tous, proposent une relecture des objets qui y sont déposés  mais dont la poussière du temps aurait peut-être désormais occulté la beauté et le sens. Et voici que ,maintenant, ceux-ci s'animent et reprennent chair après que l'artiste, dans une attitude très contemporaine, les a caressés, provoqués, sondés pour finalement en extraire cette substance intemporelle inhérente aux grandes œuvres.

                          Cette « revisitation » du Palais Lascaris a le mérite de toujours se réaliser à partir d'une approche très personnelle si bien que les propositions se croisent, s'opposent, s'interrogent mutuellement sans jamais se répéter. L'un joue avec les mots, l'autre avec la matière. Plus loin on décompose un élément de statuaire ou bien l'on reconstruit des figures picturales et là on exhume des fantômes... L'humour répond à l’onirisme des uns tandis que l’intellectualisme déjoue la rigueur plastique des autres.

                          Et l'on se dit qu'il devrait toujours en être ainsi. Dans les contes, les rêves ou la réalité,  les anciennes beautés endormies attendent toujours le prince qui leur redonnera vie et alors on saura  découvrir une beauté que, parfois, on avait oubliée ou qu'on ne savait plus voir...


Œuvres de : Arman, Ben, Denis Castellas, Caroline Challan Belval, Jean Dupuy, Philippe Favier, Claude Gilli, Olivier Gredzinski, Philippe Gronon, Thierry Lagalla, Didier Larroque, Natacha Lesueur, Bruno Pelassy, Rober Racine, Jean-Philippe Roubaud, Corina Rüegg, Cédric Tanguy, Cédric Teisseire

Palais Lascaris, du 29 septembre 2017 au 1er avril 2018







Natacha LESUEUR (Cannes, 1971)
Sans titre, 1998
Photographie contrecollée sur aluminium et recouverte d'un film plastique ultra brillant,
90 x 140 cm
Collection Frac PACA, Marseille, Inv. : 99.397
©Adagp, Paris, 2017