mercredi 23 août 2017

Anne Gérard, L'été contemporain dracénois.

                    Pôle culturel Chabran, Draguignan




                           Dans le cadre de l’Été contemporain de Draguignan, Anne Gérard expose ses dessins colorés sur papier. Mais déjà ces derniers mots se révèlent-ils maladroits quand il faudrait plutôt dire « colorisés » comme pour un ancien film en noir et blanc,. Et "peinture" plutôt que dessin. Et s'interroger sur la validité du support:  mais l'artiste joue de ces incertitudes comme si, de ce trouble, une forme de récit advenait.

                             Or, dans ce récit incertain, deux séries se télescopent tant leurs références divergent. D'une part, des cadrages austères d'intérieurs bourgeois qui feraient penser à Vuillard et, de l'autre, un ensemble de grand formats autour du thème de la bouée. Mais à y regarder de plus près, les deux récits se contaminent mutuellement ; l'un corrige l'autre à moins qu'il ne suscite l'idée d'un autre espace, mental celui-là, appartenant aussi bien  à celui qui contemple, qui imagine, qui oscille d'un rivage à l'autre entre deux eaux pour une autre narration construite sur ce décalage entre ce que dit l'image et ce qu'elle suscite. Deux univers opposés donc pour nous convier à ne pas lire l’image telle qu'elle s'énonce mais plutôt à l'interpréter dans son rapport avec ces autres images qui l'interrogent et agissent sur elle par effet d'effacement et de recouvrement.

                             Les dessins d'intérieurs sont serrés, étouffants, vides de toute présence humaine. Les objets ne sont ici que des traces échouées, des tableaux asséchés, vidés de leur sang et de leur fièvre. Le dessin joue toujours la perfection mais on le devine tremblé, poncé, érodé, et les quelques jus de couleur révèlent des zones d'ombre plutôt qu'ils n'illuminent le décor. Anne Gérard dessine ce trouble à la perfection comme elle sait peindre cet au-delà de la peinture de genre quand celle-ci n'agit plus qu'en tant que mémoire et symptôme d'un art disparu et pourtant obsédant. Et dans ce cadre tellement convenu que nous ne savons plus vraiment le voir, d’étranges indices en menacent l' équilibre ; l'encre est mauvaise, la couleur saturée et malade.

                         L'image de la bouée dans un espace plus ouvert, dans son extériorité libératrice, parviendra-t-elle à nous sauver de ce monde-là ? Les œuvres, vastes et fluides, enfin respirent, s'écoulent jusqu'au sol. Le dessin maintient cette perfection dans la saisie du réel mais celui-ci est pourtant contrarié par des points de vue déroutants qui sèment le doute sur l 'identité de l'objet. Tour à tour forme et métaphore, la bouée devient un indice flottant, une indécision qui, là encore, malmène l'image vouée à s'échouer sur des rivages exsangues.



                              Anne Gérard sait disséminer des traces, cacher les indices, contrarier les objets de telle sorte que jamais l'image ne saurait être le miroir du monde. Au contraire, celle-ci est-elle le témoignage de son négatif. Elle est une ombre portée par un rythme qui, ça et là, étincelle ou bien encore, par cette ligne de flottaison, ce flottement du sens qui s'en empare. Il y a ici toute la poésie d'une Odyssée avec ses antres ténébreux, les flux de la mer, les naufrages et tous ces débris du désir qu'il faut imaginer comme des mots que la peinture parviendrait à révéler.

Michel Gathier

Du 29 juillet au 16 septembre 2017




vendredi 18 août 2017

Jean Antoine Hierro, "Always the sun"

Galerie 4-Auction, rue du Congrès, Nice




Par la multiplicité des approches que l'art suppose, il faut renoncer à toute définition de ce mot qui, au cours de l'histoire, n'a cessé de se modifier. Au mieux peut-on observer ces variations par des rapports au sens, à l'esthétique, à l’environnement, à l'autobiographie ou à toute autre concept si, dans sa liberté, l'artiste décide de son choix et parvient, dans son oeuvre, à le revendiquer. Avant de s'imposer dans une histoire de l'art, la création relève de l'arbitraire. La volonté de produire, l'acharnement à réaliser un projet à travers un véritable savoir- faire demeurent une clé essentielle pour la réalisation d'une œuvre.

Le travail de Hierro s'impose d'emblée par cette liberté créatrice qui ne s’embarrasse ni des références picturales, ni des modes, ni des traditions. Ici l'artiste se saisit de tout ce qui est mémoire, rythme, signe et couleur, pour capter le regard par le biais d'une composition symphonique que rien ne rebute : Si le monde est chaos, si les signes se télescopent, si le réel aveugle au point d'être illisible, autant décrire cette force jubilatoire, en ausculter les rythmes et les jeter sur la toile dans une véhémence maîtrisée. C'est dans cet équilibre précaire, qu'entre abstraction et figuration, une forme de récit affleure la peinture. L'homme et le monde, saisis au présent, balbutient, à moins qu'ils ne crient, cette fascination pour l'art, cet inconnu que l'artiste ne cesse d'explorer dans sa liberté souveraine.

Michel Gathier


dimanche 16 juillet 2017

Jean Pierre Schneider, Didier Demozay, " A voix haute"


                            Galerie Sabine Puget, Château Barras, Fox-Amphoux, Var


                           
     Très différentes dans leur projet, les peintures de Demozay et de Schneider traitent de la question de l'espace. Pour le premier il s'agit d'un espace purement pictural lié à la couleur, à sa qualité interne et à la manière dont elle agit en relation avec une autre. Elle se mesure, vigoureusement ou avec hésitation, dans l'ébauche d'un rectangle imparfait mais se refuse à dire autre chose qu'elle-même et de cet espace qu'elle suggère.


Pour Jean-Pierre Schneider, les larges aplats de peinture prennent leur source dans une extériorité qui est celle des mots. Mais ceux-ci semblent saisis dans la gangue de la matière picturale et le peintre les révèle par incision, griffure, jusqu'à ce qu'ils émergent, balafrés et nus,  dans ce signifiant muet d'un langage sur le point de naître.
 D'où le trouble que cette peinture produit. L'espace joue d'une totale sérénité, la lumière diffuse une couleur majestueuse qui se module entre le mat et le brillant, et de larges surfaces lisses ou recouvertes de couches successives. Et soudain des explosions de matière, des balbutiements de signes perturbent cette ordonnance classique dans la pureté de la forme d'une colonne, d'un chapiteau ou d'une voûte.
 Ces citations architecturales relèvent alors d'une forme d'archéologie comme si la peinture était un écho, un révélateur qui énonçait un acte fondateur, avant les mots et les choses. Et que cette énonciation était surtout une annonciation quand elle parlait d'une naissance et d'un mystère, qu'elle était ce dépôt sémantique saisi dans une histoire originelle de matière en gestation pour l'aléatoire des formes et des couleurs dont l'artiste s'empare à l'intersection du hasard et de la nécessité. Et toujours, au-delà de la matière et du langage, l'horizon de la poésie, ce filament brûlant qui étincelle ici.







"Un été à Monaco, De l'impressionnisme à l'art moderne"

                 Moretti Fine Art, 27, avenue de la Costa, Monaco


                                     Edvard Munch "Blond and dark-haired nudes 1902-1903

                           Pour l'ouverture de sa galerie à Monaco, Moretti Fine Art présente un éventail très représentatif de quelques œuvres de l'impressionnisme avec Pissarro, Caillebotte, Boudin, Renoir... Un superbe Picasso exécuté en 1906 réalise une parfaite synthèse de sa période bleue et de sa période rose, un portrait de Matisse confirme sa perfection dans le dessin. Une nature morte de Juan Gris de 1916 illustre le Cubisme synthétique... Tout un ensemble d’œuvres qui font de ce lieu un petit musée qu'il faut visiter.
                           La pièce la plus émouvante reste peut-être ce tableau de Munch comme parfaite illustration de cet expressionnisme allemand dont il fut, quoique norvégien, le principal initiateur.
                           Oeuvres de Monet, Boudin, Sisley, Pissarro, Munch, Cézanne, Renoir, Léger, Braque, Picasso, Van Dongen, Degas, Gris, Matisse, Fontana.

                                                 Monet, Près de Monte Carlo, 1883

                                                   Sisley, Bords de la Seine en hiver, 1879

                                      Léger, Tapis rouge dans le paysage, 1952   
                                                           


vendredi 14 juillet 2017

"La Cité Interdite à Monaco", Grimaldi Forum



A partir de la Grèce et avec l'Agora, l'occident se construisit sur une confrontation orale de laquelle l'idée de démocratie émergea. La révolution française consacra d'ailleurs ce triomphe de l'éloquence. Une histoire bien française qui continue encore... A l'autre bout du monde, la Chine, elle, se construisit sur l'écriture. La calligraphie porte en elle-même le sceau de la nature et, dès lors, un autre paradigme s'établit, non plus sur l'horizontalité des rapports sociaux mais sur la verticalité qu'incarne l'Empereur dans cette filiation entre la terre, l'homme et le ciel. L’écriture lui en est alors consubstantielle et, plutôt qu'un tribun, l'Empereur est celui qui lit et paraphe journellement les rapports que, de toutes parts, une « armée de lettrés » lui fait parvenir. La Chine ne se comprend pas sans cette relation à l'écriture et son lien intrinsèque à la nature. Et il n'est pas anodin que ce sont, en France, des poètes qui l'ont le mieux exprimée - Claudel dans sa « Connaissance de l'est » et Ségalen dans « Stèles ».

Sans doute faudrait-il les relire pour vivre ce beau voyage dans le temps et l'espace chinois que nous propose le Grimaldi Forum de Monaco. Cette exposition est une mise en scène parfaitement structurée de ce que fut cette Chine de la dernière dynastie entre 1644 et 1911. La Cité Interdite revit donc cet été à partir de 250 œuvres issues pour la plupart du Musée du Palais impérial à Pékin et qui n'en étaient jamais sorties. Mais beaucoup proviennent aussi de collections d'Europe ou d'Amérique.
L'exposition s'organise autour de thèmes tels que « S'incliner devant le fils du ciel », « Vénérer le ciel », « Honorer les ancêtres », « Interroger le ciel » qui expriment cette filiation verticale mais aussi, par exemple, « les jardins impériaux » comme microcosme du monde. On y trouvera aussi , entre autres, « le jardin bouddhique » et « le salon de musique »...

L'oeuvre d'art se confond ici à la fonction d'usage de l'objet. On trouvera donc, dans un parcours savamment ordonné, des calligraphies, des peintures sur soie et même à l'huile, des bronzes mais aussi des armures, du mobilier, des porcelaines et des costumes d'apparat. Et l'on y admirera la beauté fulgurante d'une écriture, de cette calligraphie qui est en elle-même  la plus intense des œuvres d'art. 

La Cité interdite à Monaco. Vie de cour des empereurs et impératrices de Chine. Grimaldi Forum, du 14 juillet au 10 septembre 2017.







dimanche 9 juillet 2017

"Voyage immobile"

Caisse d'Epargne, Place Masséna, Nice
Du 8 juillet au 22 septembre 2017


                                                       Eve Pietruschi, Rêverie ou le parfum d'un souvenir


                                Une exposition engage à un parcours qui nous incite au partage avec des œuvres mais, que nous disent celles-ci, quand, paradoxalement, elles s'inscrivent dans le contexte d ' « un voyage immobile » ? Les commissaires, Rébecca François et Lélia Decourt, réunies dans cet « Entre/deux », déclinent des travaux d'artistes très divers qui se confrontent à un espace particulier pour le charger d'un sens qui pourtant , par nature, lui est étranger. D'où cette belle aventure d'une «  invitation au voyage »...

                                Cet espace investi d'une fonction particulière – une salle d'attente – est chargé de ses objets usuels et d' un trajet de circulation éloigné d'un lieu traditionnel d'exposition. Le défi consistait alors à créer ici, au cœur du quotidien et d'une activité réelle,  un récit pour un moment d'attente qui deviendrait un instant d'expérience et d'échappée vers l'imaginaire. Mais il fallait aussi que ce temps fût un vagabondage dans un espace très décloisonné et quelque peu labyrinthique dans lesquelles les œuvres pussent conserver leur autonomie tant dans leur diversité matérielle, esthétique, que par le sens ou le non sens qu'elles proposaient.

                     Ainsi Jean Dupuy et Gérald Panighi se mesurent-ils au mots et manipulent avec humour les ruses du langage pour les détourner vers une réflexion sur ce que l'art peut ajouter à la vie. Ailleurs, une poésie plus matérielle nous entraîne aux confins du sensible avec les roses et ses traces de Quentin Derouet, les installations aériennes et floconneuses d'Isa Barbier, l'imprégnation onirique avec la nature et son effacement chez Eve Pietruschi. Puis des œuvres plus distancées, plus analytiques, avec les photos de Favret/Manez, les dessins de Marine Pagès et d' Ahram Lee, l’installation de Lina Jabbour...


                      Ce temps vide de l'attente se peuple alors d'idées, d'images et d'hypothèses pour un voyage fragmenté en autant de possibilités de vivre et de revivre dans ce monde que nous ne savons pas toujours voir en face, dans sa réalité mais aussi dans son côté invisible et impensable. Son immobilité est celle d'une parenthèse dans laquelle le travail de l'artiste s'inscrit et se poursuit en nous conduisant sur les sentiers de l'imaginaire.

                             Gérald Panighi


                           Isa Barbier

lundi 3 juillet 2017

Daniel Dezeuze // Claude Viallat

Galerie Catherine Issert, Saint-Paul

Du 20 juin au 15 juillet 2017



Quand se désagrège en 1971 le mouvement Supports-Surfaces, certains de ses acteurs redécouvrent l'espace illusionniste de la toile et le recours à l'histoire de la peinture. D'autres persistent pourtant dans cette relation à la pauvreté des matériaux, au décloisonnement de la peinture et à sa relation conflictuelle à l'espace dans laquelle elle s'inscrit.

D'emblée, Dezeuze s'intéresse au châssis, à ses effets de transparence quand Viallat, de son côté, développe son travail sur la forme à partir de son fameux signe récurrent -haricot, osselet, écho aléatoire d'une maille de cordage, on ne le saura pas. Mais ce signe, devenu l'objet même de sa peinture, inscrit un effet de recouvrement qui dévoile la matérialité du support.
Même s'il s'agit là de généralisations trop hâtives pour deux artistes qui n'ont cessé d'explorer des chemins de traverse où ils pourraient se rencontrer, il faut bien admettre que ce face à face s'avérait extrêmement risqué. Or, miracle, plus qu'un dialogue entre les œuvres présentées, une relation harmonieuse s'instaure entre les claies, les treillis, les nasses colorées dans leur légèreté aérienne de l'un et, pour l'autre, l'intensité d'une  couleur franche, épaisse, qui se répand dans la diversité des matériaux.

Dezeuze, c'est l'empreinte de la légèreté et d'une peinture qui semble sourdre du bois comme une sève à peine colorée. Baveuse, imprécise, la couleur investit le support. Elle se répand, fragile, balbutiante, sur le tamis d'une moustiquaire, un grillage, un treillis et devient cette énigme d'une poésie du vivant qui se dépose contre un mur. Il y a là comme un dépôt biologique dans les restes d'un geste primal, l'humilité des objets dans le souvenir des rituels anciens de la cueillette et de la pêche... La nature dans sa pauvreté exulte et l'artiste se saisit magiquement de ce tremblement.
A l'inverse, Viallat impose la force de la couleur, l'insistance de la forme. Mais là encore, le fond demeure investi de son ancienne  valeur d'usage, celle d'un papier peint, de la toile d'un parasol ou de tout autre objet détourné de sa fonction par le signe de la peinture. Celle-ci peut être épaisse ou légère, transparente ou opaque, mate ou brillante, l'artiste sait en exploiter toutes ses potentialités en accord avec ou contre le support choisi.

Entre ces deux artistes circulent des vagues de formes et de couleurs contraires et complémentaires. Les unes se tissent aux autres et répandent cette poésie sereine des gestes éternels de l'artisan quand celui-ci, méticuleusement, minutieusement, dépose du sens dans l'objet qu'il fabrique. Considérons l'art comme ce face à face du réel avec lui-même, comme cet instant fragile entre l'homme et le souffle de la nature qu'il matérialise.






dimanche 2 juillet 2017

Eduardo Arroyo, "Dans le respect des traditions"

Fondation Maeght, Saint Paul de Vence
           Du 1 juillet au 19 novembre 2017




La peinture sera toujours l'histoire d'un regard qui met en scène autant l'artiste lui-même que les sujets ou les personnages qu'il évoque. De ce croisement naît un récit d'autant plus prégnant que l'artiste, ici, se veut aussi écrivain et qu'il revendique sa passion pour Joyce et la littérature américaine.
« J'aurais voulu être bibliothécaire » déclare Eduardo Arroyo, en jetant un regard désabusé sur l'art d'aujourd'hui : « Il y a trop de mauvais artistes qui ne servent strictement à rien ». Bibliothécaire, Arroyo l'est assurément, du moins dans l'idée de cette nouvelle de Borgès « La bibliothèque de Babel », nouvelle que l'écrivain conclut ainsi : «  Le désordre apparent, se répétant, constituerait un ordre. Ma solitude se console à cet élégant espoir. »
Le regard est central dans l'oeuvre d'Arroyo. Ardent ou éteint. Yeux hallucinés ou absents. Soleil abandonné pour l'éclat carcéral d'une simple ampoule . Tout ici est récurrent et se développe selon un principe sériel. Les regards espionnent, tapis dans l'ombre. Souvent, le fond noir structure le tableau : Le visible pèse comme une menace. L'histoire de ce regard, interdit ou volé, qui s'accomplit dans la figure de « Suzanne et les vieillards » ne cesse de hanter la peinture et le peintre. 

Associé au courant de la « figuration narrative » à partir des années 60, l'artiste développe un récit sous une forme littéraire précise qui bouscule toute linéarité. Elle rappelle les techniques du monologue intérieur et , plus précisément, ce qu'on a nommé le « flux de conscience » dans l'écriture, en particulier celle de Joyce ou de Faulkner : Alternance de sauts associatifs et dissociatifs pour décrire le point de vue cognitif d'un personnage. C'est dans la création de cette syntaxe particulière introduite dans la peinture que se développe l'oeuvre d'Arroyo.

Comme chez Joyce, on retrouvera ici les éléments obsessionnels de l'art, de la vie et de la mort, de la religion, et de la relation à une patrie. Arroyo est le peintre de l'Espagne et de l'exil. Ce pays, ce « paradis des mouches »  - lieu de pourrissement- ne cesse de le hanter par son ambivalence. Le peintre le confronte à son histoire et aux modèles étrangers qui ne cessent de l’interpeller. Van Gogh, Rembrandt, Van Eycq, Hodler ou l'influence de Picabia. Il se saisit des ambivalences, des éléments récurrents pour installer une mise en scène particulière où l'homme est toujours menacé dans son existence, exilé par la violence historique.

 Davantage que le cri d'un peintre engagé, il faut voir chez Arroyo, l'expression d'un traumatisme dans une grammaire picturale très personnelle. Mais le peintre ne cesse cependant de se déplacer ; il s'exerce à tous les supports. Écrivain, mais aussi décorateur de théâtre. Parfois sculpteur, il s'empare de la pierre comme, ailleurs, il découpe le caoutchouc. Et toujours cet univers nocturne derrière lequel se tapissent des ombre inquiétantes, des vêtements vides de corps, des humanités désertes...


Arroyo observe ce « grand combat », comme l'écrivait Henri Michaux:

"On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
                             Et on vous regarde.
                             On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret."
                     Observer les corps absents pour esquiver les coups. Comprendre les règles du jeu pour entrer par effraction dans les règles de la peinture. Et plutôt que de penser politiquement le monde, penser celui-ci poétiquement pour dire la politique et ses drames.





dimanche 25 juin 2017

Alberto Giacometti, "l'oeuvre ultime"

          Galerie Port Lympia, Nice, du 23 juin au 15 octobre 2017






Peu de temps avant sa mort en 1966, Alberto Giacometti note dans son carnet : « Je ne comprends plus rien à la vie, à la mort, à rien. » Ce doute qui s'apparente à un vide qu'il lui faut aussitôt combler et qui ne cesse de le hanter, se concrétise  dans son œuvre, l'incite à se remettre toujours en question.

Contempler une œuvre de Giacometti est un exercice plus difficile qu’il n'y paraît. D'abord parce que sa signification semble se donner immédiatement mais, au même moment, elle tend à s'effacer du fait même de cette immédiateté et elle se fond dans une interrogation existentielle à laquelle nous sommes sommés de répondre. De cette opposition fondamentale entre le vide et le plein, la vie et la mort, l'artiste nous en fournit cette réponse matérielle qui nous laisse sans voix. Autant dire que cette œuvre fascine, c'est à dire qu'au sens fort, elle nous charme, elle nous jette un sort. Les sculptures minérales, plâtres et bronzes, littéralement, nous pétrifient et nous renvoient aux mythes les plus archaïques de la Grèce antique.

Celui de la Méduse par exemple. Petite-fille née de l'union de la terre (Gaïa) et de l'océan (Pontos), cette divinité primordiale incarne l'ambivalence tragique du regard : ses yeux ont le pouvoir de pétrifier ceux qui les regardent. En quelque sorte, de les confondre dans le statuaire.   L'oeuvre de Giacometti peut se lire dans ce drame tapi au fond du dessin, de la peinture ou de la sculpture. Drame qui prend toute sa résonance quand cet art est ce combat forcené entre lumière, feu et extinction ; entre le vide et l'effacement. Nous voici au cœur de ce qu'écrivait Nietzsche dans « La naissance de la tragédie » : cette opposition fondamentale entre le principe apollinien lié à à la lumière et au feu et le principe dionysiaque sous les auspices de l'effacement et de l'obscurité.

Cette exposition relate en une cinquantaine d’œuvres ce doute fécond et acharné qui taraude l'artiste dont la plus haute statue surgit à la lumière de la terrasse et quand d'autres œuvres se dispersent jusqu'aux pièces voûtées pour jaillir de la pénombre. Et  on est saisis alors par la signification que ces œuvres nous imposent: L'homme est pétri, malaxé,vidé de toute substance ; il est dépouillé de toute histoire, de toute psychologie. C'est l'homme essentiel, réduit à un nerf, au point ultime de son incandescence. L'homme en prise avec les éléments, le feu du bronze ou l'assèchement du plâtre, ou saisi par le trait incisif du dessin qui balafre la feuille.
Giacometti, parce qu'il puise sa force dans l'origine du monde, ne dévoile aucun secret mais impose dans le visible la puissance du magnétisme. Il raconte notre histoire d'avant l'histoire.






samedi 24 juin 2017

Noël Dolla, "Restructurations spaciales"

Galerie des Ponchettes, Nice, du 24 juin au 22 octobre 2017


Il y a là comme un fil rouge à tirer, un chemin à tracer dans la confusion de l'extérieur et de l'intérieur, d'un espace tendu de tarlatane , de points et de couleurs. Mais aussi du rappel d'un éphémère passé dans une construction spatiale présente mais tout aussi éphémère...

Dévidons donc l'écheveau de ce temps, et pourquoi pas, allons très loin, vers  cet instant où la peinture tend à se fixer dans un sens, dans une rationalité qui nous conduira jusqu'à Matisse. Et puisque Dolla lui-même évoque Giotto, retournons en 1306 quand Giotto achève sa « visitation » dans l'église de l'Arena à Padoue. Devant un vaste pan d'un bleu Klein uniforme, se détachent parmi des personnages isolés, deux femmes enceintes, Marie enceinte de Jésus et sa cousine Elisabeth, enceinte de Jean Baptiste. Quelques siècles plus tard, Noël Dolla investit le ventre de la Galerie des Ponchettes où résonnent encore les souvenirs de quelques grand noms de l'histoire de l'art. Histoire d'enfantement dans la couleur et l'aléatoire de la forme.

Mais nous savons que l'accidentel porte sa part de rationalité et c'est ce que l'artiste ne cesse de scander, en peinture, depuis les années 60. Risquons donc l'hypothèse folle, s'il s'agit de hasard et d'inconscient, qu'en investissant ce lieu clos et sans fenêtre mais agrémenté de voûtes à l'égal d'une chapelle, se joue ici un accident du temps et de l'espace et qu'une forme de « visitation » se joue, scénographiquement, dans la rencontre fortuite de deux éléments à la fois complémentaires et opposés: l'intérieur et l'extérieur.

Noël Dolla a revêtu les cloisons de larges pans colorés mais ceux-ci sont structurés par des bandes de tarlatane qui, à l'égal de pansements, sont censés recouvrir les fissures des parois . Il y a là l'écho d'une plaie, d'une cicatrisation, d'une inquiétude sur une naissance à venir, sur la création qui advient au terme des noces de la couleur et de la forme. Le lieu se structure du fait  de cette tension qui s'exprime aussi par un rapport contradictoire au temps.
En effet cette construction extrêmement intériorisée, présente pour la durée d'une exposition et à vocation éphémère, devient le réceptacle d'une série d'images qui font parfois penser à ce fil narratif qu'on rencontre souvent dans les églises pour un récit édifiant. Mais ici, nulle autre figure que la puissance de la nature que signe l'artiste. C'est ainsi que les bandes de tarlatane, légèrement ourlées de couleur, nous conduisent vers ce qui fut un extérieur, une nature reconstruite, une séries d'actions picturales sur la montagne, l'eau, la plage, la roche, la neige... N'en subsiste que l'image fixe de la mémoire photographique. Ainsi s'égrènent dans un désordre aléatoire ces notes à la fois renaissantes et perdues. Elles ne sont pas disposées comme des peintures qui s'offrent au regard dans une galerie mais elles essaiment leurs représentations mortes dans l' exubérance de l'action du peintre qui ensemence le lieu par la couleur.
Car, pour le peintre, c'est la couleur qui donne naissance au monde.