samedi 20 mai 2017

Eve Pietruschi, "Panoptique III"

Villa Henry, Nice



« Le ciel étoilé est le plus lent des mobiles naturels. »
L'Air et les Songes — Essai sur l'imagination du mouvement (1943),
Gaston Bachelard



La Villa Henry accueille le lancement de l’édition Panoptique III, 2017 d’Eve Pietruschi. A cette occasion, Isabelle Pellegrini propose une mise en regard, un dialogue spatial et intime avec l’édition de l’artiste, les œuvres présentées dans Panoptique III se déployant aux murs et au sol dans l’espace d’exposition.

Délicates réappropriations de territoires, subtils fragments de mémoires, Eve Pietruschi crée un univers où la confrontation au réel se nourrit de perceptions infimes, d’interstices sublimés et de silences.

L’exposition ouvre une porte vers le paysage mental de l’artiste et nous propose d’arpenter les pages de son Panoptique III, d’emprunter un chemin réflexif, presque philosophique, à travers ses œuvres.

Le salon de la Villa Henry devient ainsi le lieu de l’incarnation d’un fantasme, celui de traverser la page pour rejoindre l’artiste dans son voyage.
Par le truchement du changement d’échelle, la poétique de l’espace qu’Eve Pietruschi nous invite à parcourir dans cette édition, s’incarne dans cet espace devenu doublement intérieur.

ip - Circa, mai 2017





Panoptique est un livret de 28 pages, à l’image d’un carnet. Le projet a commencé en 2013, il parait tous les deux ans et comprend photographies d’œuvres, notes de l’artiste, texte d’auteur(e), références, maquettes et vues 3D.

Panoptique III, 2017, d’Eve Pietruschi a été réalisé avec la collaboration de
Marie Cantos, écrivain, critique d'art et commissaire d'exposition, pour le texte

et Julien Eveille, architecte, pour le graphisme et les mises en espace.

vendredi 14 avril 2017

Caroline Bouissou, "Plein soleil"

 


-Galerie le 22, Nice
                            -Roseraie du jardin du Monastère de Cimiez, Nice


 Une mémoire se forge au fur et à mesure que des sensations s’imprègnent en nous ou s'imposent dans un espace donné. Mais la mémoire est ondulatoire, fuyante et ne se résout à aucun cadre. De l'ordre du temps, elle se défie autant de l'espace qu'elle érode linéarité et pourtours, qu'elle malmène toute idée de forme même si elle ne cesse de balbutier des images. Infidèle de nature ou, pour citer le titre d'un poème de Jules Supervielle , « Oublieuse mémoire », elle s'ouvre à toutes les fables, elle est créatrice de mythes.
Difficile pour un plasticien de s'emparer de l'idée de mémoire sauf à la réduire à une exploration du passé. Caroline Bouissou joue sur un tout autre registre. La mémoire est un processus de connaissance et de reconnaissance qui défigure en même temps qu'il propose une hypothèse de figuration nouvelle. Comme écho déformé d'une réalité, elle est une fiction qui s'énonce dans un récit déconstruit. Aussi faut-il à l'artiste, multiplier mediums et supports, mêler humour et rêverie, science et poésie pour installer ce qui serait un lieu expérimental où se déclineraient les diverses potentialités de cette mémoire.
Qui ne connaît la Joconde ? Tout le monde possède la mémoire de cette peinture, pourtant chacun la restituera autrement. Caroline Bouissou demande à des gens de la dessiner de mémoire et chacun propose une image unique et déformée qui en dit davantage sur le regardeur que sur Mona Lisa. Ailleurs elle reprend cette même icône sur des dessins numériques réalisés à partir du mouvement de l'observation de l’œil de plusieurs regardeurs qui se confrontent à la réalité de l'image. Ainsi sommes-nous interrogés sur la réalité de l'image, son origine, sa fiabilité, son apparition et sa disparition. Et l'artiste ne peut être seule dans ce champ d'expérimentation.
L'exposition de la Galerie 22 s'intitule « Plein soleil ». Titre paradoxal quand on sait combien le soleil éclaire autant qu'il aveugle. Et cette Joconde ne serait-elle pas l'ombre de Jocaste quand Antigone guide Oedipe dans sa nuit ? Dans le poème de Supervielle précité se trouve ce vers :  « Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire . »  Il résonne d'autant plus ici que l'idée d'un soleil se découpe sur du grès en éléments mythologiques semblables à des runes ou à d'autres symboles renvoyant à ceux d'une civilisations hypothétique. Les pierres gravées de signes, qu'on suppose solaires, simulent une mémoire aux prises d'une expédition archéologique et les caisses qui les enferment ou leur servent de socle, sont comme les accessoires d'un film d'Indiana Jones. De l'humour, de la fantaisie et de l'image sur l'image...
Ailleurs, dans la roseraie du jardin du Monastère de Cimiez, Caroline Bouissou s'empare de nouveau de signes qui évoquent des rosaces et parfois des éléments de moucharabieh. "Observatoire", cette sculpture cinétique blanche modèle le lieu, joue sur les gammes de la transparence, crée des variations de lumières. Mais pour un monastère, on peut-y voir aussi l'image d'un claustra, d'une fenêtre alvéolée qui délimite l'intériorité et un extérieur quand cette frontière serait aussi un lieu de passage pour la lumière et l'illumination d'un jardin.

M.G









mardi 11 avril 2017

Agnès Vitani, "L'état des choses".

Galerie Eva Vautier, Nice




En quelques pages admirables, Georges Didi-Huberman évoque le regard comme l'expérimentation d' une errance, d' un va et vient qui saisit aussi bien l'espace que le temps : « Le regard va et vient. Ce qu'il attrape ici (ou maintenant), il le perd là-bas (ou juste avant, ou juste après). Pas de regard sans cette dialectique, pas de regard sans cette ce mouvement perpétuel, sans ce jeu incessant du qui-perd-gagne.(...) Toute nouvelle inflexion du regard me fait perdre de vue – et vouer à la mémoire, qui elle-même ne garde rien en l'état – l'inflexion précédente. » (in Blancs soucis)

Or la peinture est précisément ce lieu où le regard se construit en même temps qu'il s’interroge quand il se dépose en couleur dans  la toile sur le châssis. Or, cette peinture, il faut aussi l'expérimenter et la représenter dans sa face cachée, dans sa mémoire, son histoire, par les enjeux qui président à sa matérialisation . Il faut la traduire par son envers, il faut en retourner la peau. C'est alors un retour  à la source, à  l'atelier, là où l'expérience se conjugue à l'alchimie des matières et où un espace réel se mesure à l'aune d'un espace imaginaire. Ainsi Agnès Vitani ne cesse-t-elle de donner voix à cette peinture là, saisie dans sa seule extériorité, dans l'expérience du regard qui s'énonce  en se matérialisant.
Non pas que la peinture se réduirait à des formes ou à quelque système que se soit. Mais, saisie en son amont, celle-ci parle d'une histoire qu'elle ne cesse de se raconter à elle-même. Et de cet écart entre l'expérience et la fiction , la peinture peut se formuler autrement que par ses codes traditionnels
. C'est ce tour de passe-passe que réalise Agnès Vitani. Plutôt que de montrer de la « peinture de paysage », elle en énonce les signes, la circulation du regard qu'elle suppose, son support comme ses effacements. Elle en ausculte la mémoire et en exhibe les rebuts ou les excroissances. Tour à tour, le végétal et le biologique s’emparent de l'espace d'exposition en même temps que la couleur se fige sur l'objet qui fut à l'origine de l'expérience du regard, ne füt-ce que dans le traitement imposé à un bâton de ski ou à une chaussure. Car l'artiste exhibe ici un espace mouvant à l'instar d'une promenade dont elle décompose, en couleurs, jusqu'à l'extinction du blanc, le récit. On y verra donc un « nuancier de voyage », une couverture de survie empreinte des taches de l'atelier, et de la matière colorée, calcinée, refroidie, des échos météorologiques, des grilles de frigo et l'effet matériel d'une chaleur intense sur des plastiques, des feutres tordus ou broyés autour de fils de fer, des pigments ou du papier mâché.Les objets de la peinture sont présents, physiquement et n'ont plus besoin d'être peints.
La peinture est ici, littéralement, « exprimée ». Elle peut s'affranchir de ses formes, s'émanciper de toute figure. Elle est une expérience de vie à l'image même de la vie. Elle permet toutes les métamorphoses et ce sont celles-ci qu' Agnès Vitani nous donne à voir.
M.G









jeudi 6 avril 2017

Gérald Panighi, "La vie est une fausse barbe qui se décolle de temps en temps"

Maison abandonnée (Villa Cameline), Nice




Il existe des œuvres que l'on considère différemment parce qu'elles suscitent un autre regard, qu’elles nous contraignent à réévaluer notre compréhension d'un monde asphyxié sous le poids des mythes, des masques, des attentes folles et des friches affectives. Gérald Panighi dessine en creux ce monde-là ; il en extirpe des loques de silence qui se veulent des mots, des lambeaux de phrases ou des espoirs morts jetés dans la vie comme des bouteilles à la mer sans espoir de retour.
Il y a la discrétion du texte, la modestie triste de l'image et ce fond un peu sale comme l'écran lointain d'un passé un peu rance dont la rancœur viendrait se déverser sur les rives du présent. Un fond d'une teinte sépia parsemée de taches, du papier arraché aux traces fragiles d'une histoire qui remonte par brides et dont les vagues s'éteignent. Ça traque une tendresse perdue, ça rit, ça grince, ça grimace et ça joue l'indifférence du silence.

Voici donc bien des rêves avortés à travers les poncifs des romans photos d'une autre époque ou ces images mythiques de héros de bande dessinée, tristes idoles d'une réalité déchue. Ce qui se joue ici c'est l'image d'une vie impossible et, son corollaire, l'impossibilité de l'image.
Gérald Panighi crée ce récit claudiquant dans le décalage du texte et de l'image, dans ce dialogue forcément mensonger. Il y a du Godard chez lui mais avec cette volonté de décrire les dialogues impossibles, l'intériorité des solitudes.
Des découpes de fiction se heurtent, épinglées au mur ou encadrées sous verre : On y voit une entomologie des sentiments dans le vaste  désert des images qui nous assaillent et des mots qui hurlent. Paradoxalement, c'est le silence qui résonne ici et cogne en nous pour nous rappeler les épaves oubliées de nos propres existences, nos feuilles mortes qu'on sème sans les voir, nos rêves trahis d'une autre vie dont il convient de ne ne plus même rêver le rêve.

Du 1 au 19 avril 2017



mercredi 22 mars 2017

Entre-Deux "L'illumination de la terre par le soleil"

©Emmanuel Regent, Raissa, 2007

Artistes exposés:

Marion Catusse
Natacha Lesueur
Manuel
Florent Mattei
Jérémie Paul
Emmanuel Regent
Mathieu Schmitt
Julie Sonhalder

Présentation du communiqué de presse:

ENTRE I DEUX se définit comme un programme d’expositions et d’événements mené entre deux commissaires d’expositions.
Rebecca Francois : historienne de l'art, diplômée d'une Maîtrise d’histoire de l’art sur « La scène artistique niçoise de 1990 à 2006 ». Commissaire d’exposition au MAMAC de Nice et critique d’art, elle collabore à de nombreux ouvrages et mène avec Eve Pietruschi le projet des autostoppeuses depuis 2014.
&
Lélia Decourt : historienne de l'art, diplômée d'un Master Arts, Lettres, Langues et Civilisations, spécialité Asie et Océanie. Depuis 2010, responsable du service de la médiation culturelle au MAMAC de Nice. Elle est également enseignante vacataire à l'université Nice Sophia-Antipolis, en art moderne.
Le projet s’attache à des espaces non dévolus à la présentation d’œuvres d’art en vue de créer des interstices dans le quotidien avec la complicité des artistes de différentes générations, reconnus ou émergents, travaillant dans la région de Nice, Paris et Marseille.
ENTRE I DEUX s’infiltre dans la salle d’attente de l’agence Caisse d’Épargne Masséna pour susciter l’inattendu, la curiosité et l’échange.


Détournant le classique « chaises en enfilade, affiches décoratives et magazines people », ENTRE I DEUX propose une salle d’attente quelque peu particulière invitant à s’émerveiller devant le fait que la terre est illuminée par le soleil comme devant une œuvre d’art.
À y regarder de plus près, L’ILLUMINATION DE LA TERRE PAR LE SOLEIL décrit des trajectoires inattendues. Une rafle de raisins recouverte d’or prend l’apparence d’un beau bijou ou d’une précieuse vanité. Des plantes vertes génèrent des ambiances lumineuses ou des courts poèmes (haïkus) défilant sur des rouleaux de caisse automatique, grâce à des capteurs électroniques. Une peinture sur soie s’agrippe à une branche d’arbre tel un appel au large (de la peinture et du monde). Des minéraux, coquillages et ossements composent un cabinet de curiosités miniature perturbant les classifications naturalistes par des rehauts aux allures de cellules souches humaines.
Dès lors, ce décor instille un sentiment d’étrangeté. Des portraits photographiques aux mises en scène dissonantes font éloge du maquillage et du travestissement. Un magazine sur le bijou et l’ornement de parade révèle un art hybride, pop et surréaliste connecté à l’artisanat, à la science et à la mode. Des feuilles de palmes en terre cuite disposées au sol sur de la pouzzolane ou des assises de rondins de bois ornées de motifs décoratifs en trompe-l’œil fonctionnent comme des simulacres de nature conviant à faire une pause.
Le grésillement des hachures à l’encre noire de dessins de paysages poétiques émergeant de la feuille blanche du papier invite également à la divagation. Cependant, derrière le romantisme des ruines le ravage des guerres contemporaines se profile et la beauté des paysages renvoie à l’appel lancé par le néant. Ici, les images semblent toujours réversibles. Devant un décor bucolique et anachronique, des portraits en pied d’hommes et de femmes d’aujourd’hui recouverts de poussière manifestent l’intemporelle tragédie des expatriés et l’inadaptation de l’homme à vivre dans le monde tel qu’il lui est donné au monde d’hier et d’aujourd’hui.

                                   ©Mathieu Schmitt, Cadavres Exquis, 2014


Caisse d'Epargne, Place Masséna, Nice
Exposition du 1 avril au 2 juillet 2017






lundi 20 mars 2017

A.R. Penck, Fondation Maeght


En dépit de son apparence primitive et brute, l’œuvre de A.R Penck témoigne d'une grande complexité et permet de multiples lectures. Pourtant, qu'il s'agisse de peintures ou de sculptures, cette œuvre révèle d'abord la puissance d'une personnalité et d' un style qui agissent frontalement pour s'emparer de notre regard. Des lignes, des signes, un rythme, tout cela compose un langage originel comme si Penck énonçait ici, qu'avant toute grammaire, il y avait cette dramaturgie épique où se jouait une préhistoire d'éléments pariétaux, les ombres animales, les gestes doux de la cueillette ou ceux plus tendus, de la guerre. L'artiste est alors un poète quand nous percevons l'écho sourd d'une incantation primitive, quand les mots se cherchent encore et que les formes commencent à éclore au sortir de la nuit. Des ossements des êtres surgissent des fantômes de lettres et un récit en gestation se dévoile alors au cœur de la toile.

L'exposition que la Fondation Maeght consacre à l'artiste révèle la profonde humanité de ce travail qui associe tout à la fois les rudiments d'un langage et son irruption dans notre quotidien. Le graffiti est l'écho d'un trait plus ancien et Lascaux devient ici le miroir lointain des banlieues et des cités. Il y a de la déchirure, de la violence, des corps réduits à des ombres, des croix, des cercles, des triangles. Des mots jetés sur la toile, mais aussi des serpents ou des flèches, le calme et la démesure. Dans les salles de la Fondation résonne la trace de cette danse sauvage qui met en scène ce face à face de l'artiste avec les balbutiements d'un monde qu'il saisit à la gorge pour le représenter.

Il y a bien sûr ici toutes les résurgences d'une vie quand Penck dut fuir l'Allemagne de l'Est et le communisme, quand il dut renaître de l'autre côté du rideau de fer pour une autre culture et d'autres langages. Cette ouverture au monde, à partir des éléments les plus simples et les plus universels, se réalise sans répétition, dans la plus grande variété des techniques. Ce langage d'apparence si pauvre permet d'exprimer toute l'intensité du monde ; il est un éclair qui traverse l'espace et irradie le temps ; il est le geste d'un démiurge ou d'un chaman qui psalmodie les formes et les couleurs pour les rites d'une cérémonie grave et grandiose à laquelle nous sommes conviés.
M.G

Saint-Paul, du 18 mars au 18 juin 2017








mercredi 15 mars 2017

Vivien Roubaud, "Pollen de peuplier, soufflerie, 100 mètres cube d'air, 220 volts."

Galerie des Ponchettes, Nice




Il faut parfois se mettre en retrait du monde, éprouver cette grâce d'être saisi par la révélation de l'inutilité des choses, cette distance qui conduit à une forme d' « extase  matérielle » ,telle que la définissait Le Clézio dans son livre éponyme :  «La beauté de la vie, l'énergie de la vie ne sont pas de l'esprit, mais de la matière». Pourtant de cette expérience sensible, nous en ressortons spirituellement purifiés et Le Clézio ajoute : « Il y a un indicible bonheur à savoir tout ce qui en l'homme est exact.»
Cette exactitude, il arrive néanmoins qu'elle se fracasse et se redéfinit, comme toute certitude, par les rets de l'imaginaire et dans une poétique de la reconstruction. C’est là que l'artiste intervient et, plus précisément Vivien Roubaud, lorsqu'il élabore un processus de création cohérent, fonctionnel mais dépourvu de toute pensée utilitariste. Il ne s'embarasse pas de longues digressions écologiques, aussi moralisantes que vaines , mais il tranche dans le vif et met en place un dispositif de bricolage onirique qui singe les technologies productivistes.
Vivien Roubaud s'empare d'un lieu, ici la Galerie des Ponchettes, pour élaborer un théâtre déshumanisé où d'autres règles président à l'idée de création et à l'action de construire. La poésie par exemple, par la présence d'un espace sensoriel dans lequel nous sommes immergés et qui nous relègue, loin, dans la brume dorée de l'enfance quand l'artiste invente, à partir de matériaux industriels récupérés, un dispositif pour déployer des nuées de filaments de barbe à papa. Le discours du rêve, le détournement des fonctions de l'objet par  l'ironie, suffisent à produire ce qui serait une forme contemporaine de « vanité ». L'artiste s'amuse à déjouer toutes les règles et joue du contingent et de l'accidentel ; il convoque le hasard et découvre de nouvelles lois toutes aussi inutiles qu'incertaines.

Cet univers hybride et fuyant habite viscéralement le lieu qui l'accueille ; il nous place, avec humour et de façon distanciée, dans un environnement qui  nous transporte loin de toutes ces strates de la consommation qui se surajoutent au point de nous étouffer. Ici, place à l'enfance, au jeu, à l'expérimentation et à la découverte. Ici, place à l'émerveillement et  l'artiste est roi.
M.G

Du 11 février au 28 mai 2017

mardi 7 mars 2017

Franta, "Le temps d'une oeuvre"

Musée de Vence





Au début était le corps. Cette densité de chair et de pensée à la racine de toute souffrance mais aussi le socle même de la vie. Ce corps là, dans l’œuvre de Franta, il ne cesse de traverser l'idée même de toute figuration ; il la défigure comme si son masque en était arraché pour en exhiber toute la vérité nue, une beauté inquiète et sans fard de laquelle surgirait la lumière.

Mais ici le corps se dissout et se diffuse dans l'espace, il se fissure, déborde de son enveloppe pour devenir la métaphore du monde qui se matérialise sur une toile ou dans la gangue d'une sculpture. Un espace tellurique chargé de feu jaillit de ses entrailles et, qu'il s'agisse d'un paysage, c'est encore du sang qui coule de cet espace blessé comme celui de l'Afrique que le peintre arpenta dans le souvenir de son propre exil lorsqu’il dut quitter sa Tchécoslovaquie natale. Cette Afrique, ce continent noir et lumineux, celui de l’exode, était aussi un paradis perdu.


Cette béance d'une blessure originelle est à la source de l’œuvre, elle est ce cri éteint que seuls peuvent restituer le jet de la couleur, l’exactitude véloce d'un trait. Tout se dit ici, avec violence, fulgurance, mais cette blessure là, elle est vie et amour ; elle est la cible de l'artiste en même temps que celle-ci en énonce la cause. La peinture de Franta est ce lieu d'une confrontation qui n'épargne ni les êtres, ni la douceur, ni la tendresse. Avec une intense humanité, cette violence du monde, l'artiste s'en saisit pour la remodeler dans une ferveur inquiète mais chargée d'une confiance pleine d'humilité. Le geste est ample et généreux, sûr et maîtrisé, car son art ne connaît ni l'hésitation ni le doute. Franta ne vacille pas ; de toute sa puissance, il défriche et laboure l'espace, il le sème de courbes, d'ocres lumineuses et de matières sombres pour donner vie à cette magie que seule l'art sait encore offrir au monde.
M.G

Musée de Vence jusqu'au 21 mai 2017











                                                                                                              








dimanche 5 février 2017

Henri Olivier, "Parcours de l'ombre"

Musée National Marc Chagall, Nice




Troubler nos sens pour nous ouvrir à une autre perception du monde, déplacer notre conception de l'espace pour la promesse d'une pensée débarrassée des normes, vierge de toute convention esthétique, voici le défi que propose tout artiste véritable. Ce défi là, Henri Olivier le relève superbement tant il parvient à rendre compte de façon sensuelle et réfléchie, des notions de volume et d'espace associés à un lieu et à son environnement.
L’artiste déploie ici son installation dans une gamme de matériaux sobres - bois, plomb, néon - non pour exploiter un espace, le contraindre, mais, au contraire, pour célébrer les transparences et l'horizontalité du Musée Chagall qui l'accueille.
 Le noir, l'ombre et l'absolue pureté d'une ligne d'horizon qui se déploierait de l'extérieur vers l'intérieur du Musée, font écho à l'extase chromatique et à l'exubérance des formes dans la peinture de Chagall. Deux approches opposées mais sans fausse note, pour une musicalité toute en clair obscur, grave et somptueuse. C'est bien un « parcours de l'ombre » qui se joue ici, porté par ce fil d'horizon aussi ténu qu'un fil d'Ariane, traversé par les flaques d'ombre des oliviers du dehors qui se déversent vers l'intérieur et étincellent au sol. Des jeux de miroir inversent nos relations entre l’architecture du Musée et le parc qui l’entoure ; ailleurs, la verticalité s'engouffre dans une horizontalité sereine où se déploient toutes les gammes de la nature environnante.
Ici Henri Olivier n'impose rien ; il se contente de magnifier, de déposer ça et là les signes qui murmureraient ces traces subtiles que nous n'aurions pas perçues sans ce double dialogue avec un lieu et un autre artiste . Mais sans lesquelles nous serions encore toujours un peu aveugles au monde s'il ne nous avait initiés à ce « parcours de l'ombre ».
Au bout de ce périple silencieux, d'une sobriété extrême, c'est bien une forme de lumière qui surgit. Une lumière sombre mais d'une belle inquiétude,  comme l'autre versant de l'apothéose spirituelle de Chagall.
M.G





dimanche 15 janvier 2017

Gilles Miquelis, "Vivre à en crever"

Galerie Eva Vautier, Nice




                     L’ambigüité du malaise à l’intérieur de l’image du bonheur aura donc révélé, en peinture plus qu’ailleurs, la présence invisible de ces failles ou de ces fulgurances qui se trament dans une matière que le peintre caresse et malmène,  tout à la fois pour la contraindre à en exprimer l’ineffable et pour extirper ces petits bouts de vie découpés sur une toile, factices et pourtant si vrais dans ce qu’ils disent du réel.

                Tels sont bien les pouvoirs de l’imaginaire quand un petit rien suffit à créer le trouble, quand la futilité d’un détail fait exploser le cadre, quand l’artiste fait vaciller la peinture et l’entraîne sur des rivages inédits.
                    Car la spécificité de la peinture s’exprime ici, souverainement, par la seule présence d’un signe en guise de signature qui renverrait au début de cette histoire de l’art moderne,  au XIXe siècle , à l’instant où l’artiste bouscule les contenus corsetés par les mythes pour imposer cette liberté tragique de la subjectivité. Ce signe est viral; il est ce corps étranger, insoumis au cadre narratif; il le traverse, le menace en même temps qu’il l’exulte. Ici il prend la forme d’une simple cigarette, de ce qui part en fumée - figure de la liberté ou de l’évanescence, de la vie comme de la mort.
                 En ces temps d’hygiénisme triomphant et de soumission à la biopolitique, le dernier tabou signe aussi l’illusion de toutes ces transgressions que l’on déplace plus qu’on ne  dépasse quand la découpe d’un tableau suffit à en exhiber la triste vacuité.

                 Pourtant l’image du bonheur se loge au fond du cadre mais ,déjà, elle semble  contaminée par des lueurs nocturnes. L’étrangeté des formats ou leur démesure, les larges coups de brosse chargés de vitesse sont comme niés par la pesanteur immuable du portrait ou de la scène de genre. La gravité se dispute à l’ironie, les conventions de la peinture reviennent tels des fantômes où l’on reconnaîtrait Vélazquez revisité par Manet, lui-même traduit par la bad painting américaine ou les néo-expressionnistes allemand de la fin du XXe siècle. L'image du bonheur n'est que le négatif de son double et toute image est fausse; c'est aussi cette duplicité que raconte l'artiste.

                La peinture reste ce champ de bataille que l’artiste traverse, tel Fabrice dans « La chartreuse de Parme », facétieux, grave et décalé, pour en extraire les étincelles de vie dans la quête du bonheur. Il y faut beaucoup d’ironie et donc de retrait: Cette peinture-là en dit plus sur notre monde que bien des discours. Elle a un nom: Gilles Miquelis.
     M.G