lundi 16 juillet 2018

Tom Wesselmann, "La promesse du bonheur"


NMNM, Villa Paloma, Monaco, du 29 juin au 6 janvier 2019




Plutôt que de prétendre à une présentation exhaustive de l’œuvre de Tom Wesselmann le commissaire de l'exposition a délibérément choisi un angle d'attaque pour répondre à la polémique suscitée par certains aspects du travail du peintre. Nous voici donc plongés dans les années 60 à New York lors de l'émergence du Pop art dont Wesselmann fut l'un des principaux protagonistes. Refus de l’expressionnisme abstrait et regard critique sur la société de consommation avec la perte du réel et la chosification du corps qu'elle entraîne, tels seront les marqueurs de ce mouvement qui marquera profondément l'art de notre temps.
Mais Tom Wesselmann s'est attaqué radicalement à l'image. Celle-ci reste froide, clinique. Si elle se charge du désir matériel ou sexuel figé dans les signes de la publicité ou du cinéma, elle se dissout dans les effets de massification qu'elle implique. L'individu s'incarne dans des stéréotypes, la réalité du désir se fait piéger par la codification même du fantasme. En effet, les personnages ne sont plus que le reflet de l'image que la société leur renvoie. Dépouillés de toute psychologie, les yeux absents, ils sont exilés en eux-même et dans le monde. Tout est découpé, les choses et les êtres ne sont plus que des signes vides, des icônes silencieuses, des mains, des seins, des jambes, des sexes réduits à un idéal inaccessible qui nous condamne à la position du voyeur.
Aussi a-t-on pu reprocher à l'artiste une chosification de la femme à une époque ou celle-ci commençait à théoriser sa libération. L'exposition tend alors à corriger cette idée en montrant combien ce jeu de tensions et de silences prend en charge les deux sexes. Et que ceux-ci sont condamnés à tenir un rôle de figuration dans une vie dont le scénario et la scénographie leur échappe. L'érotisme apparent se dissout alors dans la platitude du quotidien et le réel se confond avec l'univers de la publicité et de l'imagerie de masse. L'artiste énonce et dénonce dans un même geste cette captation du vivant par ce regard artificiel qui est devenu le nôtre. Mais le constat n'est pas désespéré, l'idée du bonheur rode encore sur ce monde...
 L'exposition se pare de l'allusion de Stendhal à cette relation à la beauté qui serait « la promesse du bonheur » . Tel en est le titre et la beauté survit en effet à ces nus malgré la glaciation des désirs. Tom Wesselmann, sait peindre, dessiner, travailler le plexiglas, jouer de tous les assemblages pour des points de vue vertigineux. Ce réel perdu qu'il dépeint avec brio porte aussi l'espoir d'une réconciliation de l'homme avec son imaginaire. C'est en cela qu'il faut en effet parler de bonheur. Pour la beauté qui subsiste et parce qu'à l' instar de Camus, « il faut imaginer Sisyphe heureux ».

La Strada N° 297

mercredi 11 juillet 2018

Alain Clément, 2012-2018




Cette puissance qui nous saisit face à l’œuvre d'Alain Clément est celle de la peinture telle quelle, dans sa seule mise à nue par la violence des formes et des couleurs qu’elle contient, à sa source, avant même d'investir l’hypothèse une œuvre. Mais une violence sereine comme habitée des seules pulsations du monde, de ses modulations, de ses éruptions incontrôlables comme de l' harmonie qui pourtant le façonne aussi. Voici donc une peinture sincère, qui s'offre alors dans son geste primitif, dans celui de la seule brosse qui décrit le mouvement du bras, se prolonge dans le ciel des couleurs et pourtant se fige ou se contracte au cœur de la toile comme si l'artiste saisissait alors  un instant d’éternité.
Cette force s'exprime et se comprime dans ses limites internes comme dans   celles du cadre qui l'enserre. Plus précisément, cette peinture, si mesurée, parle de la démesure dont elle procède et renvoie l'image de sa seule tension. C'est pour cela qu'elle déborde toujours vers autre chose que ce qu'elle suggère, qu'elle désigne les obstacles auxquels elle se heurte dans la représentation de l''imaginaire ou du réel. Son abstraction parle alors de la figure, du corps, de ses découpes, de ses torsions et l'on perçoit la hantise de la peinture de Matisse.
Alain Clément ne cesse de peindre sur l'histoire de la peinture ; il connaît toutes les stations de ce périple qu'il entreprend avec rigueur et humilité quand tout aboutit à un signe définitif , à ses ondulations, à sa cristallisation dans l’œuvre d'un artiste. Alain Clément ne peint pas d'image, il célèbre un hommage à l' histoire de l'art.
Et d'ailleurs est-il seulement peintre? Sa peinture se matérialise alors dans la découpe froide du métal, elle devient sculpture, elle lacère avec grâce l'espace qui l’accueille et lui livre ses courbes, l'authenticité de ses couleurs primaires comme pour une offrande à ceux dont il est l'héritier.
Alain Clément n'est pas le peintre des ruptures mais plutôt celui d'une éclosion lente, d'une méditation sur ce qui fut et sur ces formes minimales qui en résultent : une rythmique, une incandescence – l'écho toujours bruissant d'une origine. Regardez cette œuvre. Elle est féroce. Elle laisse sur les côtés tous ces décombres de formes ou de pensée qui ne sont rien. Impitoyablement, elle éclaire ce vide.

La Strada N° 298

Centre d'Art Contemporain, Châteauvert (Var)
Du 8 juillet au 25 novembre 2018






mercredi 4 juillet 2018

Picasso et les contemporains, éloge de la fabrique


Musée de Vence, du 23 juin au 28 octobre 2018




Aura-t-on jamais élucidé les mystères d'une œuvre qui défia son époque tant elle ne cessa de se déporter vers d'autres territoires dès lors qu'elle frisait la perfection et que ce qu'elle proclamait devait inéluctablement se développer dans cet ailleurs que Picasso, sans relâche, arpenta ? Le maître espagnol ne s'interdisait rien : le monde des apparences lui appartenait et nul autre que lui ne parvenait ainsi à en lui arracher la peau, à l'éviscérer pour en restituer les formes et les couleurs. Celles d'un monde qui crie sa vérité en même temps qu'il  résonne encore en nous quand nous sommes confrontés à lui.

Ce sont ces résonances-là que d'autres artistes désormais amplifient en les laissant percevoir dans leurs propres œuvres. Il ne s'agit pourtant pas pour eux de citer ou de copier Picasso mais plutôt de se mesurer à cette volonté d'absorber le monde par le recours à tous les matériaux, à tous les procédés, en se jouant de tous les styles et savoir faire. Car Picasso était aussi un artisan, un bricoleur, il savait  que chaque chose porte sa part de dignité.

                                 Voici donc 13 artistes, toutes générations confondues, qui réfléchissent une facette de l’œuvre protéiforme de Picasso. Le tempérament de chacun nous permet d'adapter notre regard vers telle ou telle orientation du peintre. Ses œuvres semblent alors revivre, autrement, grâce à l'inventivité de chaque artiste. Vincent Corpet s'autorise une autopsie neutre de la peinture en s'attribuant des citations d'images qu'il nous propose d'interpréter avec la distance critique propre à chacun. Gérard Serée saisit la matière de Picasso dans toute son intensité, du feu de la violence colorée jusqu'à la cendre. Peinture et sculpture ici se répondent. Louis Cane se saisit de l'espace sur un mode ludique avec l'impertinence de celui qui peut tout faire. Fabrice Hyber s'affronte à ce corps post-organique dont l’œuvre est la mémoire. Corps impur, totalisant, mouvant, en prise avec les éléments mais toujours hanté par la figure de  ses réminiscences.

Picasso nous permet ainsi  une meilleure compréhension de l' héritage légué à certains artistes contemporains qui, loin de copier le maître, désiraient en libérer la parole pour peut-être mieux s'en affranchir. Le choix est toujours d'une parfaite intelligence et alors que le regard se promène d'une pièce à l'autre, quelque chose de mystérieux se produit comme si le souffle prodigieux de Picasso réanimait ici les braises d'un feu qui se serait emparé de tous les artistes participant à cet « éloge de la fabrique ».

Artistes présentés : Antoni Clavé, Louis Cane, Anne Deguelle, Pierre Tilman, Max Charvolen, Gérard Serée, Joël Desbouiges, Gérald Thupinier, Paul Billen, Miguel Barcelo, Thierry Cauwet, Vincent Corpet, Fabrice Hyber et Pablo Picasso