dimanche 18 mars 2018

Joseph Dadoune, "Des racines"



Galerie Eva Vautier, Nice

La vie est ainsi faite de ces éclats d'ombre et de lumière mais aussi des éclaboussures de mots qui s'y accordent le temps d'un poème ou d'une œuvre plastique. Joseph Dadoune filtre ces instants-là à leur source - embryons de phrases, racines de formes et de couleurs qui s'agrippent à d'anciennes tragédies pour raconter le temps présent en lettres de nuit, de sang et de lumières. Il y fallait aussi l'écho de la poésie juive et, plus précisément, le rappel d'une pensée hybride, celle d' Hannah Arendt, pour dire ces racines qui révèlent le passé à l'aune des drames et des espérances d'aujourd'hui.
Les mots sont en allemand, langue que l'artiste ne parle pas. Déjà une distance s'établit ainsi au cœur d'une proximité poétique avec la philosophe qui sut étirer la pensée aux limites du paradoxe, la rendre saillante et, pour beaucoup, insupportable. De fait, ce qui reste impardonnable sera toujours cette déchirure nietzschéenne que la poésie insuffle à la pensée et aux formes qu'elle invoque. Pensée scandaleuse parce que se logeant dans l'absolu de la liberté avec pour corollaire, la totale responsabilité de chacun.
Un grand pastel à l'huile traité avec du goudron énonce le début d'un poème en allemand d'une poétesse juive, Else Lasker-Schüller, qu'on peut traduire ainsi : "J'ai peur de la terre noire. Comment puis-je m'en aller ?"  Cette question résonne comme la fragilité de l'angoisse face à l'orgueil d'un Bismark qui plastronnait « Wir Deutche fûrchten Gott, aber sonst nichts in der Welt » (Nous allemands craignons Dieu, mais rien d'autre au monde).
L’œuvre de Joseph Dadoune est alors cette porte qui nous permet d'accéder à cet autre territoire où l'obscurité totale se dispute à l'éclosion de la lumière. Les pièces présentées jouent de ces conflits, de ces enchevêtrement de fragments de poèmes et d'éclosions de formes dans l'apparence de fleurs. Leurs couleurs chaudes et intenses sont comme la promesse d'une espérance mais elles se heurtent à la proximité de la nuit. Toute l'exposition repose sur cette tension entre des réalités inconciliables. Elle se pare de tous les procédés comme de tous les matériaux. Elle parle la vie dans sa force glorieuse comme de ses zones d'ombre qui menacent sans cesse de nous engloutir... Mais on y entend encore les mots d'Arendt ou de Walter Benjamin et il y a là toute cette mélancolie du bonheur. Elle s'exprime dans la beauté du monde que l'art nous permet de révéler.

Du 13 mars au 28 avril 2018





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