mardi 24 octobre 2017

La grande illusion

Caisse d'Epargne, Place Masséna, Nice



David ANCELIN Sea of heartbreak (detail) 2017 wallpaper Dimensions variables Courtesy de l’artiste © David Ancelin

Nous sommes encombrés de fausses évidences, de constats trop rapides et de clichés. Ce titre « La grande illusion » en est d'ailleurs un, tellement ces mots issus du cinéma se sont imprimés dans notre mémoire. Un cliché que les commissaires organisatrices, Rébecca François et Lélia Decourt, démontent en donnant à voir le lieu en fonction de l'illusionnisme. Dans le cadre de la salle d'attente de la Caisse d'Epargne, elles invitent le visiteur, à travers une errance jubilatoire, à repenser l'espace, à en saisir les normes, à déjouer son cadre illusoire. Un espace fonctionnel ne se réduit pas à ce qu'on peut en attendre, il demeure un lieu de curiosité et de rêverie auquel l'intelligence n'est pas étrangère.
Dans « Le rire », Bergson écrivait cette phrase qui devrait constamment guider notre pensée : « Nous ne voyons pas les choses mêmes. Nous voyons seulement les étiquettes qu'on a collées sur elles. » Se réapproprier le réel après avoir arraché le papier peint de nos vies et déchiré le décor, telle devrait être la mission de l'art et de la culture.

Poésie et humour sont les meilleurs outils pour ce joyeux nettoyage ! Sept artistes se disputent le plaisir d'apporter chacun leur touche à cette œuvre de  « déssillement » du regard. Les propositions se toisent, se croisent, s'annulent mutuellement comme si chacune s'amusait à enfreindre la règle d'unité qui serait justement celle de l'illusion alliée au bon goût. Pascal Pinaud renverse les codes ; il remplace le fond uniforme sur lesquelles, par convention, on accroche des tableaux par un mur peint selon le logo de la Caisse d'Epargne. Celui-ci est alors recouvert de tableaux de même format mais tous d'un style et d'une facture si différents qu'un effet de brouillage se produit : En dépit de la qualité esthétique de chaque œuvre, le spectateur entre en collision avec elles et est incité à se demander si l'artiste est une seule personne, si le décor est homogène, s'il n'y aurait pas quelque ruse perverse quelque part...
De la même manière, Jean-Philippe Roubaud exécute avec brio quelques natures mortes dans l'esprit du XVII èm siècle hollandais mais à partir du dessin. Sa rigueur tout en contretemps avec la modernité du lieu nous incite à penser le décor avec peut-être ce clin d’œil ironique aux « vanités »... Xavier Theunis expose une vaste photographie de parpaings recouvrant la peinture murale, inverse ainsi les perspectives et nous donne à voir ce qui est recouvert.
Toutes les œuvres interprètent leur sens et leur déconstruction dans cette joyeuse cacophonie qui incite le spectateur à l'éveil, à la curiosité, au mouvement. Même si l'on y savoure pourtant le plaisir d'attendre.

Michel Gathier


Œuvres de Pascal Pinaud, Ludovic Lignon, Xavier Theunis, Jean-Philippe Roubaud, David Ancelin, Nicolas Desplats, Julie Kieffer.

Du 21 octobre 2017 au 12 janvier 2018

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