dimanche 16 juillet 2017

Jean Pierre Schneider, Didier Demozay, " A voix haute"


                            Galerie Sabine Puget, Château Barras, Fox-Amphoux, Var


                           
     Très différentes dans leur projet, les peintures de Demozay et de Schneider traitent de la question de l'espace. Pour le premier il s'agit d'un espace purement pictural lié à la couleur, à sa qualité interne et à la manière dont elle agit en relation avec une autre. Elle se mesure, vigoureusement ou avec hésitation, dans l'ébauche d'un rectangle imparfait mais se refuse à dire autre chose qu'elle-même et de cet espace qu'elle suggère.


Pour Jean-Pierre Schneider, les larges aplats de peinture prennent leur source dans une extériorité qui est celle des mots. Mais ceux-ci semblent saisis dans la gangue de la matière picturale et le peintre les révèle par incision, griffure, jusqu'à ce qu'ils émergent, balafrés et nus,  dans ce signifiant muet d'un langage sur le point de naître.
 D'où le trouble que cette peinture produit. L'espace joue d'une totale sérénité, la lumière diffuse une couleur majestueuse qui se module entre le mat et le brillant, et de larges surfaces lisses ou recouvertes de couches successives. Et soudain des explosions de matière, des balbutiements de signes perturbent cette ordonnance classique dans la pureté de la forme d'une colonne, d'un chapiteau ou d'une voûte.
 Ces citations architecturales relèvent alors d'une forme d'archéologie comme si la peinture était un écho, un révélateur qui énonçait un acte fondateur, avant les mots et les choses. Et que cette énonciation était surtout une annonciation quand elle parlait d'une naissance et d'un mystère, qu'elle était ce dépôt sémantique saisi dans une histoire originelle de matière en gestation pour l'aléatoire des formes et des couleurs dont l'artiste s'empare à l'intersection du hasard et de la nécessité. Et toujours, au-delà de la matière et du langage, l'horizon de la poésie, ce filament brûlant qui étincelle ici.







"Un été à Monaco, De l'impressionnisme à l'art moderne"

                 Moretti Fine Art, 27, avenue de la Costa, Monaco


                                     Edvard Munch "Blond and dark-haired nudes 1902-1903

                           Pour l'ouverture de sa galerie à Monaco, Moretti Fine Art présente un éventail très représentatif de quelques œuvres de l'impressionnisme avec Pissarro, Caillebotte, Boudin, Renoir... Un superbe Picasso exécuté en 1906 réalise une parfaite synthèse de sa période bleue et de sa période rose, un portrait de Matisse confirme sa perfection dans le dessin. Une nature morte de Juan Gris de 1916 illustre le Cubisme synthétique... Tout un ensemble d’œuvres qui font de ce lieu un petit musée qu'il faut visiter.
                           La pièce la plus émouvante reste peut-être ce tableau de Munch comme parfaite illustration de cet expressionnisme allemand dont il fut, quoique norvégien, le principal initiateur.
                           Oeuvres de Monet, Boudin, Sisley, Pissarro, Munch, Cézanne, Renoir, Léger, Braque, Picasso, Van Dongen, Degas, Gris, Matisse, Fontana.

                                                 Monet, Près de Monte Carlo, 1883

                                                   Sisley, Bords de la Seine en hiver, 1879

                                      Léger, Tapis rouge dans le paysage, 1952   
                                                           


vendredi 14 juillet 2017

"La Cité Interdite à Monaco", Grimaldi Forum



A partir de la Grèce et avec l'Agora, l'occident se construisit sur une confrontation orale de laquelle l'idée de démocratie émergea. La révolution française consacra d'ailleurs ce triomphe de l'éloquence. Une histoire bien française qui continue encore... A l'autre bout du monde, la Chine, elle, se construisit sur l'écriture. La calligraphie porte en elle-même le sceau de la nature et, dès lors, un autre paradigme s'établit, non plus sur l'horizontalité des rapports sociaux mais sur la verticalité qu'incarne l'Empereur dans cette filiation entre la terre, l'homme et le ciel. L’écriture lui en est alors consubstantielle et, plutôt qu'un tribun, l'Empereur est celui qui lit et paraphe journellement les rapports que, de toutes parts, une « armée de lettrés » lui fait parvenir. La Chine ne se comprend pas sans cette relation à l'écriture et son lien intrinsèque à la nature. Et il n'est pas anodin que ce sont, en France, des poètes qui l'ont le mieux exprimée - Claudel dans sa « Connaissance de l'est » et Ségalen dans « Stèles ».

Sans doute faudrait-il les relire pour vivre ce beau voyage dans le temps et l'espace chinois que nous propose le Grimaldi Forum de Monaco. Cette exposition est une mise en scène parfaitement structurée de ce que fut cette Chine de la dernière dynastie entre 1644 et 1911. La Cité Interdite revit donc cet été à partir de 250 œuvres issues pour la plupart du Musée du Palais impérial à Pékin et qui n'en étaient jamais sorties. Mais beaucoup proviennent aussi de collections d'Europe ou d'Amérique.
L'exposition s'organise autour de thèmes tels que « S'incliner devant le fils du ciel », « Vénérer le ciel », « Honorer les ancêtres », « Interroger le ciel » qui expriment cette filiation verticale mais aussi, par exemple, « les jardins impériaux » comme microcosme du monde. On y trouvera aussi , entre autres, « le jardin bouddhique » et « le salon de musique »...

L'oeuvre d'art se confond ici à la fonction d'usage de l'objet. On trouvera donc, dans un parcours savamment ordonné, des calligraphies, des peintures sur soie et même à l'huile, des bronzes mais aussi des armures, du mobilier, des porcelaines et des costumes d'apparat. Et l'on y admirera la beauté fulgurante d'une écriture, de cette calligraphie qui est en elle-même  la plus intense des œuvres d'art. 

La Cité interdite à Monaco. Vie de cour des empereurs et impératrices de Chine. Grimaldi Forum, du 14 juillet au 10 septembre 2017.







dimanche 9 juillet 2017

"Voyage immobile"

Caisse d'Epargne, Place Masséna, Nice
Du 8 juillet au 22 septembre 2017


                                                       Eve Pietruschi, Rêverie ou le parfum d'un souvenir


                                Une exposition engage à un parcours qui nous incite au partage avec des œuvres mais, que nous disent celles-ci, quand, paradoxalement, elles s'inscrivent dans le contexte d ' « un voyage immobile » ? Les commissaires, Rébecca François et Lélia Decourt, réunies dans cet « Entre/deux », déclinent des travaux d'artistes très divers qui se confrontent à un espace particulier pour le charger d'un sens qui pourtant , par nature, lui est étranger. D'où cette belle aventure d'une «  invitation au voyage »...

                                Cet espace investi d'une fonction particulière – une salle d'attente – est chargé de ses objets usuels et d' un trajet de circulation éloigné d'un lieu traditionnel d'exposition. Le défi consistait alors à créer ici, au cœur du quotidien et d'une activité réelle,  un récit pour un moment d'attente qui deviendrait un instant d'expérience et d'échappée vers l'imaginaire. Mais il fallait aussi que ce temps fût un vagabondage dans un espace très décloisonné et quelque peu labyrinthique dans lesquelles les œuvres pussent conserver leur autonomie tant dans leur diversité matérielle, esthétique, que par le sens ou le non sens qu'elles proposaient.

                     Ainsi Jean Dupuy et Gérald Panighi se mesurent-ils au mots et manipulent avec humour les ruses du langage pour les détourner vers une réflexion sur ce que l'art peut ajouter à la vie. Ailleurs, une poésie plus matérielle nous entraîne aux confins du sensible avec les roses et ses traces de Quentin Derouet, les installations aériennes et floconneuses d'Isa Barbier, l'imprégnation onirique avec la nature et son effacement chez Eve Pietruschi. Puis des œuvres plus distancées, plus analytiques, avec les photos de Favret/Manez, les dessins de Marine Pagès et d' Ahram Lee, l’installation de Lina Jabbour...


                      Ce temps vide de l'attente se peuple alors d'idées, d'images et d'hypothèses pour un voyage fragmenté en autant de possibilités de vivre et de revivre dans ce monde que nous ne savons pas toujours voir en face, dans sa réalité mais aussi dans son côté invisible et impensable. Son immobilité est celle d'une parenthèse dans laquelle le travail de l'artiste s'inscrit et se poursuit en nous conduisant sur les sentiers de l'imaginaire.

                             Gérald Panighi


                           Isa Barbier

lundi 3 juillet 2017

Daniel Dezeuze // Claude Viallat

Galerie Catherine Issert, Saint-Paul

Du 20 juin au 15 juillet 2017



Quand se désagrège en 1971 le mouvement Supports-Surfaces, certains de ses acteurs redécouvrent l'espace illusionniste de la toile et le recours à l'histoire de la peinture. D'autres persistent pourtant dans cette relation à la pauvreté des matériaux, au décloisonnement de la peinture et à sa relation conflictuelle à l'espace dans laquelle elle s'inscrit.

D'emblée, Dezeuze s'intéresse au châssis, à ses effets de transparence quand Viallat, de son côté, développe son travail sur la forme à partir de son fameux signe récurrent -haricot, osselet, écho aléatoire d'une maille de cordage, on ne le saura pas. Mais ce signe, devenu l'objet même de sa peinture, inscrit un effet de recouvrement qui dévoile la matérialité du support.
Même s'il s'agit là de généralisations trop hâtives pour deux artistes qui n'ont cessé d'explorer des chemins de traverse où ils pourraient se rencontrer, il faut bien admettre que ce face à face s'avérait extrêmement risqué. Or, miracle, plus qu'un dialogue entre les œuvres présentées, une relation harmonieuse s'instaure entre les claies, les treillis, les nasses colorées dans leur légèreté aérienne de l'un et, pour l'autre, l'intensité d'une  couleur franche, épaisse, qui se répand dans la diversité des matériaux.

Dezeuze, c'est l'empreinte de la légèreté et d'une peinture qui semble sourdre du bois comme une sève à peine colorée. Baveuse, imprécise, la couleur investit le support. Elle se répand, fragile, balbutiante, sur le tamis d'une moustiquaire, un grillage, un treillis et devient cette énigme d'une poésie du vivant qui se dépose contre un mur. Il y a là comme un dépôt biologique dans les restes d'un geste primal, l'humilité des objets dans le souvenir des rituels anciens de la cueillette et de la pêche... La nature dans sa pauvreté exulte et l'artiste se saisit magiquement de ce tremblement.
A l'inverse, Viallat impose la force de la couleur, l'insistance de la forme. Mais là encore, le fond demeure investi de son ancienne  valeur d'usage, celle d'un papier peint, de la toile d'un parasol ou de tout autre objet détourné de sa fonction par le signe de la peinture. Celle-ci peut être épaisse ou légère, transparente ou opaque, mate ou brillante, l'artiste sait en exploiter toutes ses potentialités en accord avec ou contre le support choisi.

Entre ces deux artistes circulent des vagues de formes et de couleurs contraires et complémentaires. Les unes se tissent aux autres et répandent cette poésie sereine des gestes éternels de l'artisan quand celui-ci, méticuleusement, minutieusement, dépose du sens dans l'objet qu'il fabrique. Considérons l'art comme ce face à face du réel avec lui-même, comme cet instant fragile entre l'homme et le souffle de la nature qu'il matérialise.






dimanche 2 juillet 2017

Eduardo Arroyo, "Dans le respect des traditions"

Fondation Maeght, Saint Paul de Vence
           Du 1 juillet au 19 novembre 2017




La peinture sera toujours l'histoire d'un regard qui met en scène autant l'artiste lui-même que les sujets ou les personnages qu'il évoque. De ce croisement naît un récit d'autant plus prégnant que l'artiste, ici, se veut aussi écrivain et qu'il revendique sa passion pour Joyce et la littérature américaine.
« J'aurais voulu être bibliothécaire » déclare Eduardo Arroyo, en jetant un regard désabusé sur l'art d'aujourd'hui : « Il y a trop de mauvais artistes qui ne servent strictement à rien ». Bibliothécaire, Arroyo l'est assurément, du moins dans l'idée de cette nouvelle de Borgès « La bibliothèque de Babel », nouvelle que l'écrivain conclut ainsi : «  Le désordre apparent, se répétant, constituerait un ordre. Ma solitude se console à cet élégant espoir. »
Le regard est central dans l'oeuvre d'Arroyo. Ardent ou éteint. Yeux hallucinés ou absents. Soleil abandonné pour l'éclat carcéral d'une simple ampoule . Tout ici est récurrent et se développe selon un principe sériel. Les regards espionnent, tapis dans l'ombre. Souvent, le fond noir structure le tableau : Le visible pèse comme une menace. L'histoire de ce regard, interdit ou volé, qui s'accomplit dans la figure de « Suzanne et les vieillards » ne cesse de hanter la peinture et le peintre. 

Associé au courant de la « figuration narrative » à partir des années 60, l'artiste développe un récit sous une forme littéraire précise qui bouscule toute linéarité. Elle rappelle les techniques du monologue intérieur et , plus précisément, ce qu'on a nommé le « flux de conscience » dans l'écriture, en particulier celle de Joyce ou de Faulkner : Alternance de sauts associatifs et dissociatifs pour décrire le point de vue cognitif d'un personnage. C'est dans la création de cette syntaxe particulière introduite dans la peinture que se développe l'oeuvre d'Arroyo.

Comme chez Joyce, on retrouvera ici les éléments obsessionnels de l'art, de la vie et de la mort, de la religion, et de la relation à une patrie. Arroyo est le peintre de l'Espagne et de l'exil. Ce pays, ce « paradis des mouches »  - lieu de pourrissement- ne cesse de le hanter par son ambivalence. Le peintre le confronte à son histoire et aux modèles étrangers qui ne cessent de l’interpeller. Van Gogh, Rembrandt, Van Eycq, Hodler ou l'influence de Picabia. Il se saisit des ambivalences, des éléments récurrents pour installer une mise en scène particulière où l'homme est toujours menacé dans son existence, exilé par la violence historique.

 Davantage que le cri d'un peintre engagé, il faut voir chez Arroyo, l'expression d'un traumatisme dans une grammaire picturale très personnelle. Mais le peintre ne cesse cependant de se déplacer ; il s'exerce à tous les supports. Écrivain, mais aussi décorateur de théâtre. Parfois sculpteur, il s'empare de la pierre comme, ailleurs, il découpe le caoutchouc. Et toujours cet univers nocturne derrière lequel se tapissent des ombre inquiétantes, des vêtements vides de corps, des humanités désertes...


Arroyo observe ce « grand combat », comme l'écrivait Henri Michaux:

"On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
                             Et on vous regarde.
                             On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret."
                     Observer les corps absents pour esquiver les coups. Comprendre les règles du jeu pour entrer par effraction dans les règles de la peinture. Et plutôt que de penser politiquement le monde, penser celui-ci poétiquement pour dire la politique et ses drames.